La Villa Lorraine a fait peau neuve avec à sa tête la famille Litvine et le grand chef Yves Mattagne.

Un second souffle pour une institution

De nombreuses familles bruxelloises ont des souvenirs liés à La Villa Lorraine. « C’est ici qu’avec mes parents on venait fêter un bon bulletin », se souvient Tatiana Litvine, qui a aujourd’hui repris le flambeau du groupe Litvine, qui a multiplié les étoiles ces dernières années avec La Villa in the Sky, La Villa Emily, Da Mimmo et l’ancien Sea Grill.

Serge, le papa, gère toujours les finances du groupe, mais il a décidé de lever le pied et de laisser sa fille, Tatiana, s’occuper de l’administration, du marketing et de la communication, secondée par sa soeur Sasha, tandis que son frère Vladimir est consultant culinaire pour les restaurants non étoilés du groupe (Le Variété, Odette en Ville, Lola et Voltaire).

Tatiana Litvine, 37 ans, se souvient aussi qu’ado, La Villa était le premier resto à tester qu’elle avait sur sa liste. « Mon père avait plein de souvenirs liés à La Villa; on a retrouvé de vieilles photos dans les albums de famille. On habite à côté, près de l’Hippodrome de Boitsfort, et chaque fois qu’il passait devant, il se désolait de voir l’établissement partir en lambeaux. Et puis il adore la cuisine, il cuisine même très bien, et ça a toujours été un rêve pour lui d’avoir un restaurant. C’est pour ça qu’il a tant insisté auprès de Michel Leempoel et des Vandecasserie, pour racheter La Villa, alors qu’elle n’était même pas à vendre… » C’est chose faite en novembre 2010.

Rajeunir l’image de « La Villa »

L’ambition des Litvine a toujours été de rendre son lustre d’antan à l’honorable institution bruxelloise. C’est en ce sens qu’Yves Mattagne a accepté de relever le défi, suite à la fermeture de son Sea Grill. « Avec ou sans étoiles, on a eu envie que les gens retrouvent le plaisir de venir à La Villa, un plaisir qui s’est un peu estompé au fil des années. Il ne s’agit pas de critiquer les chefs qui se sont succédés, mais c’est une nouvelle Villa, avec une nouvelle façon de voir la gastronomie. On veut un service plus décontracté, pas stijf. Que les gens s’amusent. Je veux décoincer tout ça! », explique en souriant le jeune chef de 58 ans. 

Exit donc la cravate de rigueur pour les hommes — un dress code qui a longtemps perduré à La Villa —, tandis qu’un an de travaux sont passés par là… « On voulait faire venir une clientèle plus jeune, des gens de notre génération et donc casser les codes dans le décor, le service et dans l’assiette », raconte Tatiana Litvine. 

Les travaux ont été confiés au bureau d’architectes A3 Development, qui a choisi des couleurs dans l’air du temps et végétalisé le décor. Tandis que l’assiette a été repensée pour se faire plus ludique, plus démocratique aussi, que ce soit au restaurant gastronomique, et plus encore au Lounge bar, inspiré du Art Club, le pop up qu’Yves Mattagne a ouvert entre les deux confinements aux Musées Royaux des Beaux-Arts.

Art Club & Cie

« Les gens n’ont plus envie de payer 700€ pour aller manger à deux. On veut attirer tout le monde! », insiste Yves Mattagne, qui a profondément été marqué par son expérience au Art Club. « Le Art Club, c’était la cuisine que j’adore manger et inspirée de mes voyages. J’ai adoré cuisiner devant les clients. Le Art Club est là dans la partie Lounge de La Villa. Mais je veux aussi que le style Art Club reviennent au restaurant… » s’enflamme le chef.

Mattagne a carte blanche, précise Tatiana Litvine. Le resto s’appelle d’ailleurs désormais La Villa Lorraine by Yves Mattagne. « Serge m’avait déjà contacté il y a dix ans.  Il voulait qu’on reprenne La Villa ensemble, mais j’ai dit non puisque je venais de démarrer le Sea Grill, entièrement rénové, en tant qu’indépendant », confie le chef. Voici donc désormais le rêve de Serge Litvine exaucé, depuis la revente du Sea Grill (dans lequel l’investisseur bruxellois avait des billes depuis 2015), suite au rachat de l’hôtel Radisson par un groupe chinois.

Les étoiles, on verra…

Pour ce qui est des étoiles — qu’il s’agisse de récupérer les deux du Sea Grill ou d’atteindre le Saint-Graal des trois macarons —, même son de cloche du côté d’Yves Mattagne et de Tatiana Litvine. « Ce n’est pas la priorité! On veut avant tout que le restaurant soit complet, que les gens soient contents et reviennent! » disent-ils d’une seule voix.

Avec un restaurant pouvant atteindre les 150 couverts, entre le gastronomique, le Lounge, la terrasse et les salons, on comprendra que ce soit la priorité. Mais Yves Mattagne est un chef qui sait faire, fort d’une expérience hôtelière solide, démarrée au Hilton de Bruxelles, puis de Londres. Il a ainsi ouvert des dizaines d’hôtels à travers le monde en tant que consultant, de Chicago à Bangkok, en passant par Berlin. Il a aussi cuisiné dans le désert pour des cheiks ou installé le premier restaurant sur le circuit de F1 d’Abu Dhabi. Et le chef qui aime relever des challenges compte bien continuer sur sa lancée — avec l’ouverture prochaine d’un hôtel avec l’architecte Sarah Lavoine… « C’est ce qui fait la grande force d’Yves Mattagne. Une expérience de trente ans, riche de voyages et d’événements à l’étranger… et une technicité hors pair! », s’enthousiasme Tatiana Litvine. 

Et aux langues qui sifflent que Mattagne aurait peut-être pu décrocher trois étoiles s’il était resté dans ses cuisines, le chef répond par un pied de nez: « Il y a plein de chefs qui sont restés dans leur cuisine et qui les attendent toujours les trois étoiles… »

La nouvelle jeunesse d’Yves Mattagne 

On les imagine heureux comme des papes… attablés, la veille, à la terrasse de La Villa Lorraine, Roger Souvereyns (ex-Scholteshof) et Freddy Vandecasserie (qui a longtemps été le chef ici, cf. encadré), se régalent d’un classique de l’ancien Sea Grill: un turbot généreux, servi avec une béarnaise au homard réalisée avec la fameuse presse Christofle, dont il n’existe que cinq exemplaires dans le monde… 

« Freddy Vandecasserie est déjà venu deux fois et a déjà réservé une troisième et une quatrième fois », confie fièrement Yves Mattagne, qui a repris en main cette institution bruxelloise depuis le 11 juin dernier, après un an de travaux.

Souvenirs de voyage

Si la déco a été entièrement repensée — plus jeune, plus moderne, tout en restant dans l’opulence —, l’esprit reste à peu près le même, avec deux espaces distincts: le restaurant gastronomique et un espace plus lounge, proposant une carte de petits plats à partager plus accessibles sur le thème du voyage, cher à Yves Mattagne.

Côté gastro, on est accueilli par un grand professionnel, le directeur de salle Fabrice d’Hulster, qui, comme une bonne partie de l’équipe, a suivi Yves Mattagne, après 25 années à ses côtés au Sea Grill au centre de Bruxelles.

Ce midi-là, il fait magnifique. On s’installe, comme tout le monde, en terrasse. Et l’on apprécie le sens du détail. Menu aux couleurs de l’artiste Stefan de Jaeger, dont les tableaux ornent les murs intérieurs, et puis ce très chic beurre Bordier, aux initiales « LV ». On se laisserait presque tenter par les plats signature du Sea Grill: le homard bleu breton à la presse ou le turbot rôti à l’arête… Mais on est là pour goûter au nouveau menu d’Yves Mattagne, décliné en 5 ou 7 serv. (145-175€ + 60-85€ pour les vins).

Un menu où le chef doublement étoilé se fait plaisir. Pour accompagner le tartare de boeuf Wagyu, associé à du caviar et à une gelée de tomate, on retrouve ainsi sa célèbre gaufre (ici aux algues), dont il a même tiré un concept, Gaufres & Waffles, qui possède deux adresses à Bruxelles.

Tandis que, dans nombre d’assiettes, transparait son amour de l’Asie. Comme cet hamachi (sériole du Japon), servi cru dans un jus de cerises magnifique d’une grande complexité, où Mattagne joue sur une multitude de billes aux saveurs et textures variées pour créer la surprise… 

Cuisine gourmande et ludique

Suit la désormais célèbre langoustine cuite sur galet de Mattagne. En ce moment, elle est flambée au saké et s’offre une version terre-mer savoureuse et raffinée, avec un gyoza au foie gras et un consommé de canard laqué. Waouw!

C’est lorsqu’il se concentre sur peu d’ingrédients et qu’il joue la carte du local qu’Yves Mattagne est le plus grand, comme avec cette sole « de nos côtes », servie avec un maki d’huîtres, des asperges des dunes et une incroyable mousseline au beurre noisette. Avec ce meursault 2015 de chez Henri Germain, on frôle la perfection!

On aime aussi cette nouvelle jeunesse du chef, cette hardiesse à proposer en plein menu gastronomique un mini hamburger tout droit sorti de la carte « lounge ». Mais pas n’importe quel burger, une variation sur l’un de ses classiques, au ris de veau et à la béarnaise de homard. Une tuerie!

Passée une trop rare île flottante en pré-dessert, le repas peut se terminer sur une magnifique assiette. Grâce à un magnifique dressage au cordeau — une des grandes forces de Mattagne —, des rubans de rhubarbe prennent vie sur une meringue garnie de crème au fenouil et d’un envoûtant sorbet au galanga. Du grand art!

La Villa, une longue histoire

  • XIXe siècle: l’endroit est d’abord un hôtel-café à l’orée du Bois de la Cambre
  • 1939: première étoile Michelin
  • 1953: reprise par Marcel Kreusch
  • 1960: deuxième étoile
  • 1972: premier restaurant triplement étoilé hors de France, grâce au chef Camille Lurquin
  • 1984: mort de Marcel Kreusch et reprise par le chef brugeois Freddy Vandecasserie
  • 1985: perte de la troisième étoile
  • 1997: perte de la deuxième étoile
  • 2006: perte de l’étoile
  • 2010: rachat par Serge Litvine
  • 2014: le chef Alain Bianchin récupère une étoile
  • 2020: fermeture pour travaux
  • 2021: arrivée du chef Yves Mattagne (ex-Sea Grill**)