À l’occasion d’un dîner à quatre mains avec le chef sud-africain Kobus van der Merwe, Willem Hiele nous a fait découvrir son terroir de la mer du Nord.
Avec les superbes clichés du photographe Pieter D’Hoop (sauf mention contraire).
On le dirait tout droit sorti d’un épisode de Games of Thrones. Stature de géant, cheveux noués tel un samouraï, Willem Hiele saisit quelques crevettes grises ; elles gigotent encore. Jamais on en a vu de plus fraîches ! C’est qu’elles viennent d’être pêchées à quelques kilomètres à peine, sur une plage d’Oostduinkerke.
Le chef, aux mains massives mais habiles, commence à les décortiquer. Willem aime proposer, en guise de bienvenue aux invités de son restaurant éponyme de Coxyde, un tartare de ces petits crustacés caché dans une feuille moutardée de capucine. Dans cette simple bouchée, toute la cuisine du chef est résumée.
Le terroir de la mer du Nord est toujours en toile de fond dans la cuisine de Willem Hiele. Il y a aussi les légumes du jardin familial, celui qu’entretient son père, et qui fait partie intégrante de l’univers de Hiele.
Enfin, il y a ce style de cuisine qu’il cultive, franc et spontané, brut mais savoureux, en réinventant quelque peu les codes du restaurant gastronomique.
À la pêche aux crevettes
Car chez Hiele, on ne fait pas de chichis ! L’un de ses plats signature est ainsi un cappuccino de crevettes grises servi avec un beurre parfumé avec le même crustacé. Un bonheur pour les papilles qui tient à une divine longueur en bouche et, bien sûr, à la qualité des produits utilisés.
Le chef flamand a mis cinq ans pour convaincre les pêcheurs de crevettes à cheval d’Oostduinkerke, les paardenvissers, de lui fournir leurs précieuses crevettes. Seulement douze familles pratiquent encore cette pêche traditionnelle inscrite en 2013 par l’Unesco sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
C’est de septembre à novembre que les crevettes sont les meilleures, comme l’expliquent Stefaan et Chris, deux pêcheurs de Saint-André invités par Hiele avec Dina, leur superbe cheval de trait brabançon. “Sur la bande de sable de Dunkerque à Ostende, les eaux sont plus riches en nourriture, ce qui donne cette saveur et cette couleur particulières aux crevettes”, s’enthousiasment les pêcheurs.
Willem Hiele a de la chance, il travaille le produit à peine sorti de l’eau! Les crevettes grises qu’on trouve en grands magasins ont, elles, été pêchées en haute mer et sont gorgées de sulfites, pour supporter le voyage jusqu’au Maroc, où elles sont épluchées, avant de revenir sur nos étals… Stefaan et Chris sont venus au restaurant avec le fruit de leur pêche du jour. Après les avoir triées, ils cuisent les crevettes dans un grand chaudron rempli de bouillon de crevettes — en fait l’eau de cuisson parfumée de la veille — ; l’odeur du fumet est enivrante ! “Je peux pleurer quand je sens l’odeur de cuisson des crevettes”, confie Willem.
Cueillette dans les dunes
Le week-end dernier, Willem recevait à Coxyde le chef sud-africain Kobus van der Merwe (cf. ci-dessous). Avec lui, il partage le même amour de la mer, de la côte, où ils puisent tous deux leur inspiration. La côte Ouest de l’Afrique du Sud et son océan pour Kobus, la mer du Nord pour le chef flamand.
Willem adhère ainsi à la charte North Sea Chefs, créée en 2008 par Filip Claeys (De Jonkman** à Bruges), qui invite les chefs à cuisiner des poissons de manière locale et durable en évitant les espèces menacées par la surpêche comme le cabillaud, et en proposant plutôt des poissons moins connus ou issus de la capture accessoire. Willem travaille ainsi exclusivement avec des poissons de la mer du Nord et remplace par exemple la bonite par des œufs de turbots fermentés et séchés pour réaliser un dashi de la mer du Nord.
Willem Hiele place également au centre de sa cuisine la cueillette, dévolue à l’un des membres de son équipe, qui parcourt chaque jour les dunes alentours à la recherche d’asperges et autres plantes sauvages. Le chef connaît la nature environnante comme sa poche. En se baladant avec lui et Kobus près du restaurant, on est impressionné par ses connaissances botaniques et on grappille ici et là de la roquette sauvage, des roses des dunes ou des fleurs d’aubépine.
On retrouvera un peu plus tard les asperges sauvages dans l’assiette, proposées avec du jaune d’œuf séché au sel, une vinaigrette à l’asperge, du fromage de chèvre local fumé par le chef et des herbes sauvages. Un plat simple qui joue sur l’instantanéité, la fraîcheur.
Une atmosphère unique
En effet, on ne vient pas chercher chez Willem Hiele une technique sclérosée, mais une cuisine simple et spontanée, au diapason avec son environnement. Si une clientèle de plus en plus nombreuse fait également le voyage à Coxyde, c’est pour découvrir un endroit unique, emprunt d’une atmosphère particulière.
Le chef et sa femme, Shannah Zeebroek, sont la huitième génération à occuper cette maison de pêcheurs datant de 1832. Au-dessus de la salle du restaurant, on aperçoit la porte de la chambre d’enfant de Willem et son ours en peluche, perché sur une poutre. En pénétrant dans ces lieux, on a un peu l’impression d’entrer dans la famille. L’accueil chaleureux et enjoué de la pétillante Shannah y est aussi pour beaucoup!
Cette ancienne philosophe, formée au vin sur le tas, s’occupe avec brio des accords mets-vins ou bières, en nous épargnant le jargon indigeste des sommeliers. Tandis que Willem s’amuse avec sa nouvelle cuisine extérieure — boulanger pendant douze ans, il devrait proposer dans les mois qui viennent charcuteries maison, pains et pizzas en mode bistro — ou avec son barbecue.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : Hiele est un perfectionniste ! Cet ancien surfeur, qui a voyagé aux quatre coins du monde à la recherche de la vague parfaite, s’est mis à la cuisson au feu de bois lors d’un voyage en Nouvelle-Zélande. Et il maîtrise aujourd’hui la flamme à la perfection. Il cuit ainsi d’énormes turbots directement au barbecue sous des toiles de jute mouillées. Une technique qu’il a mise au point de manière empirique et qui donne un résultat bluffant ! “Je ne veux pas juste nourrir les gens, mais leur faire plaisir, leur montrer ma région, leur faire partager mes émotions, mes souvenirs, mon enfance…”
Willem Hiele a tout compris.
Envie d’y goûter?
- Willem Hiele. Pylyserlaan 138, 8670 Coxyde.
Ouvert du mercredi soir au samedi. Fermé dimanche, lundi, mardi et mercredi midi.
Rens. : 058.59.62.21 ou www.willemhiele.be.
Un quatre mains par-delà les mers
En choisissant de réunir, le 15 juin dernier, Kobus van der Merwe, 39 ans, chef du Wolfgat à Paternoster en Afrique du Sud, auréolé du prix de “restaurant de l’année” par les World Restaurant Awards, et Willem Hiele, 37 ans, dans le restaurant de ce dernier à Coxyde, Alexandra Swenden (consultante gastronomique à la tête du Swenden Creative Studio) a eu un coup de génie!
Les deux chefs, pourtant éloignés de plusieurs milliers de kilomètres, ont en effet de nombreux points communs. “C’est intéressant de travailler avec Kobus car, comme moi, il a une petite cuisine, qui n’est pas luxueuse. Nous devons donc pousser notre créativité, utiliser le feu, faire de la cueillette. Où est l’instinct du cuisinier s’il a un équipement de pointe ?”, s’interroge Willem.
Ces deux chefs partagent aussi des expériences professionnelles malheureuses dans les grands restaurants. “Une cuisine, c’est comme une piste de danse. Quand il n’y a pas de bonne musique, on sent une mauvaise énergie”, explique Willem qui, comme Kobus, a créé dans la maison de ses parents un nouveau genre de restaurant gastronomique, à taille humaine, où il est plus question de passion que de technique. “J’aime l’approche naturaliste, avec un minimum d’interventions et des présentations simples”, ajoute Kobus van der Merwe qui, de la même manière que son comparse, préfère laisser parler les ingrédients.
Apéro au jardin
Lors de ce repas joliment scénographié, tantôt au jardin, tantôt au restaurant, la collaboration était brillante et les chefs parlaient d’une seule voix.
On débutait de façon bucolique, sous le pommier où Willem et Shannah se sont dit oui il y a six ans, par un jus à base de cinq variétés de pommes du jardin, garni d’herbes et de fleurs.
L’apéro se poursuivait un peu plus loin sous une tente, où les multiples mises en bouche invitaient à une balade au jardin ou à la mer.
Arrivé 48h plus tôt d’Afrique du Sud, Kobus van der Merwe avait déniché chez Dries Delanote, jardinier star du Monde des mille couleurs, près d’Ypres, des épinards des dunes, proches de ceux qu’il trouve chez lui. Avec ceux-ci et des épinards du jardin, il a proposé un morogo inspiré d’un plat paysan sud-africain, composé aussi de pommes de terre et de navets. Il a en fait confectionné des rouleaux à tremper dans une salsa épicée aux baies du jardin, elle-même inspirée d’une sauce à la tomate de là-bas, la sheba.
Les « deux frères » proposaient également de belles huîtres de Grevelingen (en Zélande), l’une fumée au barbecue avec du physalis des Mille Couleurs, l’autre crue, avec des asperges des dunes fermentées, des fraises pas encore mûres et une vinaigrette à la fraise.
Willem sortait encore de son chapeau un délicieux rouleau à la betterave farci de crème de hareng et posé sur un cracker de riz.
Le restaurant « Wolfgat » – qui signifie tanière de loup ou plus exactement de hyène, car il n’y a pas de loup en Afrique du Sud – tire son nom de la grotte sur laquelle il est installé. Une grotte où l’on a trouvé des traces d’occupation préhistoriques. « J’aime penser à ce que ces premiers hommes mangeaient, de la viande, des coquillages, des plantes… », raconte Kobus, qui s’en inspire pour créer certains plats. Ce chef anthropologue prépare ainsi dans son restaurant un plat signature avec du Springbok, l’antilope sauteuse d’Afrique australe ou des limpets – des gastéropodes endémiques des côtes sud-africaines et alimentation de base de ces premiers hommes – aux plantes sauvages.
Durant le repas chez Willem, Kobus faisait un clin d’oeil à son pays en proposant, avec son hôte, une dégustation intitulée « Limpet », soit des gaufres cuites au barbecue, garnies de bigorneaux, crème d’anguille et poudre d’algue.
Avant de repasser à l’intérieur, ces bouchées champêtres se terminaient, du côté de la nouvelle cuisine extérieure de Willem, où, dans son four à pizza, Kobus avait cuit de la foccacia, parsemée de cendre comme en Afrique du Sud (askoek = pain à la cendre). Sur celle-ci, le chef sud-africain venait déposer du bokkom, soit du poisson (du merlan en l’occurrence) séché et salé au soleil, émietté dans du beurre fondu. Une claque!
Repas dans une maison de pêcheur
C’est dans la charmante demeure familiale de Willem, une maison de pêcheur datante de 1832, que se poursuivait ce divin repas. Pour accompagner celui-ci, Shannah avait choisi des vins ou des bières découverte, de Belgique ou d’Afrique du Sud, comme cette perle, un Elemental Bob Retro Series rouge, composé de 80% de cinsaut et 20% de pinot noir produit au Cap-Occidental.
Qu’il est beau ce tartare! Le loup de mer est mêlé à une mayonnaise au blanc d’oeuf, à de la racine d’oxalys et à des pétales de mauve, et recouvert d’une feuille de géranium sauvage frite, d’une vinaigrette au géranium et d’autres pétales.
Arrive ensuite un arbre étrange, un chou-navet aux branches entremêlées qui cachent quelques moules fumées. Chacun se saisit d’un coquillage et l’ajoute à un plat composé de chou-navet cru, de pommes, de moules et d’un bouillon réalisé avec des moules et réveillé par une huile à la livèche.
Autre plat très esthétique, des raviolis au fromage de chèvre sont présentés avec des petits pois et leur jus, des fleurs de pois, des feuilles de sauge croustillantes et de la pancetta maison au porc des Ménapiens.
Mais il temps de sortir à nouveau, pour déguster des coeurs de poireaux cuits à la braise trempés dans une mousseline à l’huile de poireau. Des fleurs et des herbes du jardin décorent joliment cette bouchée végétale.
Kobus s’inspire enfin du sosatie, un plat sud-africain: des brochettes de viande (habituellement réalisé avec de l’agneau ou du mouton) au curry cuites au barbecue. Mais pour s’acclimater au terroir belge, c’est de la lotte qui est ici grillée, avec un curry masala à base d’ail des ours. Et servie avec un chutney de butternut, une harissa maison réalisée par Willem et une crème de coco. Très réussi, ce plat proposait sans aucun doute les saveurs les plus exotiques.
Le chevreuil qui vient ensuite est né d’une réflexion sur l’alimentation du jeune cervidé, qui se nourrit de baies. C’est donc elles qui servirons d’accompagnement! La viande, parfaitement, cuite se marie ainsi harmonieusement à des groseilles et à des betteraves fermentées, à une crème de dattes au jus de baies d’argousier et whisky fumé. Enfin, quelques jeunes pousses de maïs sucrées amènent un joli contraste de couleur et de la fraîcheur à ce plat savoureux.
Avant d’ouvrir son restaurant, Willem a notamment été pâtissier dans un restaurant étoilé de la région. Et il n’a rien perdu de son savoir-faire. En fin de repas, il émerveillait avec un délicieux gâteau spongieux aux framboises et cassis, servi avec une soupe froide à la rhubarbe et roses des dunes, ainsi qu’un sorbet aux framboises.
De quoi donner très envie de participer au volet B du projet où, cette fois, c’est Willem Hiele qui fera le déplacement chez Kobus en Afrique du Sud, les 7 et 8 décembre prochains.
- Réservations à partir du 3 septembre prochain. Rens.: www.wolfgat.co.za.
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