Fin septembre, le trois-étoiles brugeois “De Karmeliet” fermera ses portes fin septembre. Son chef Geert Van Hecke avait formé toute une génération de jeunes chefs, dont Maxime Collard. Entretien croisé entre le maître et l’élève…

Van Hecke, de Chapel à Collard

En novembre dernier, Geert Van Hecke annonçait la fermeture du “Karmeliet” pour raison de santé (mais aussi parce que son restaurant nécessitait de gros travaux de rénovation trop onéreux). Si le Brugeois est un chef discret – il n’a jamais quitté sa cuisine pour participer au cirque médiatique –, l’annonce n’est pas passée inaperçue chez les gastronomes belges… Ils sont ainsi nombreux à se presser dans la Langestraat à Bruges pour savourer une dernière fois la cuisine classique de haute volée de Van Hecke qui, pendant 20 ans, aura su maintenir ses trois étoiles Michelin.

Van Hecke fut le premier chef flamand à décrocher un troisième macaron. Alors qu’aujourd’hui, tous les trois-étoiles belges sont en Flandre. Dans quelques mois, ils ne seront donc plus que deux : le “Hertog Jan” du jeune Gert De Mangeleer, à Bruges également, et le “Hof Van Cleve” de Peter Goossens, à Kruishoutem. Une page de la gastronomie belge se tourne.

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Photo Christophe Bortels

Durant sa carrière, Van Hecke sera resté imperméable aux modes, restant fidèle à la cuisine française. Ce cap classique, le chef flamand ne s’en est jamais dérouté. “J’ai été chez “El Bulli”, Adrià est venu chez moi. J’apprécie. Mais moi, j’aime la cuisine de Ducasse. Le goût et le produit. Il faut un menu qui donne faim, pas ces “menus dégustation” où tous les plats se ressemblent. Pourquoi doit-on tous faire des présentations en demi-cercle et des lignes de sauces sèches…, explique le chef. Je n’ai jamais suivi tous ces trucs, comme la fumée sous cloche ou les additifs. Je déteste ces béarnaises au siphon, qui retombent après quelques instants, même dans certains étoilés. La béarnaise, ça se fait à la main. Y’a pas de secret !”

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Photo Christophe Bortels

La marque d’Alain Chapel

Après ses études à la prestigieuse école hôtelière “Ter Duinen” à Coxyde, Geert Van Hecke est passé par les cuisines du “Sanglier des Ardennes” et de “La Villa Lorraine”, alors triplement étoilée. Mais la rencontre décisive se fera à Mionnay, près de Lyon, en la personne du grand Alain Chapel, l’un des instigateurs de la Nouvelle Cuisine. Le jeune Flamand y fait ses armes aux côtés de Michel Roux (aujourd’hui trois étoiles au “Waterside Inn” près de Londres), avant de céder le relais à un certain Alain Ducasse…

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Ce qu’Alain Chapel a transmis à cette nouvelle génération? “La cuisine, c’est simple comme le bonheur.” Soit l’expression de produits d’exception et de saison, à travers des cuissons parfaites, des assaisonnements précis et de grandes sauces. “Chapel m’a appris la cuisine intelligente, avec des menus équilibrés, des assiettes où se côtoient produits nobles et produits simples. Dans les grandes maisons belges à l’époque, on trouvait du turbot au caviar. Cela n’a pas de sens !, se souvient le Brugeois. Chapel m’a aussi appris le terroir. Il ne travaillait que des produits de chez lui. Ce qui est plus difficile à faire en Belgique, même si ça change. On faisait des tripes de volailles de Bresse, des pieds de veau, des écrevisses… Les faisans arrivaient entiers; il fallait les plumer. Chaque jour, on recevait 10 kg de grenouilles vivantes à nettoyer – c’est interdit aujourd’hui… Les anguilles et les carpes étaient vivantes. Ça saigne comme un cochon une carpe ! C’était très dur. On commençait 7 h 45 et on finissait à minuit. Parfois, je n’arrivais même plus à plier mes doigts…”

Ces valeurs de travail et d’authenticité se reflètent toujours dans les assiettes du “Karmeliet”. Si Van Hecke a développé sa propre vision de la cuisine française, il remet ainsi de temps à autre à la carte un feuilleté d’asperges en hommage à son mentor…

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Les mises en bouche, ultra raffinées, du « Karmeliet ». Avec de la tête pressée, comme chez Chapel…

 

Le goût de la transmission

Cette passion de la grande cuisine française, Van Hecke l’a transmise à son tour aux jeunes passés par ses cuisines, qui lui rendent un bel hommage dans “Onze chef”, ouvrage paru il y a quelques mois chez Lannoo (qui pourrait être prochainement traduit en français). On y croise des chefs qui ont désormais tracé leur voie, comme Angelo Rosseel (deux étoiles à “La Durée” à Izegem), Filip Claeys (doublement étoilé au “Jonkman” à Bruges) ou Maarten Bouckaert (qui vient d’ouvrir son “Castor” à Waregem). Ou encore un petit Wallon, Maxime Collard.

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Photo Christophe Bortels

Le jeune Ardennais de 32 ans a bossé de 2004 à 2009 au “Karmeliet”, avant d’ouvrir “La Table de Maxime” à Our, étoilée depuis fin 2010. Durant ces cinq années brugeoises, il est passé par tous les postes en cuisine, jusqu’à celui de sous-chef. Et il sait ce qu’il doit à Geert Van Hecke. “Ce que je fais chez moi, c’est une réinterprétation de tout ce que j’ai appris ici : toutes les bases, les sauces…”, explique Collard, toujours ému de retrouver son ancienne maison et son ancien “chef”.

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Entre le chaleureux Geert Van Hecke et son ancien second Maxime Collard, la complicité est toujours de mise… Photo Christophe Bortels

“Venir travailler dans un trois-étoiles était un rêve depuis tout petit. J’ai commencé aux “Forges du Pont d’Oye” à Habay-la-Neuve, alors étoilé. Et puis j’ai écrit à plusieurs maisons. Je suis arrivé ici, j’ai rencontré le chef et j’ai tout de suite su que c’était là que je voulais travailler. Je ne parlais pas un mot de néerlandais mais mais on apprend vite, surtout en buvant un verre après le service…”, raconte le jeune homme timide. Qui estime que Geert Van Hecke a fait école  : “Quand je vais manger chez Angelo à “La Durée” par exemple, je retrouve son influence, dans la façon de travailler, l’esprit du plat, la générosité… »

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Mises en bouche tout aussi travaillées du côté de « La table de Maxime » à Our…

Le regard tourné vers l’avenir

Après trois semaines de vacances en juillet, “De Karmeliet” rouvrira pour un dernier tour de piste jusqu’à sa fermeture définitive fin septembre. Au menu, Van Hecke glissera, selon les saisons, quelques-uns de ses grands classiques. Comme le “lapin à la royale”. Une relecture du classique lièvre à la royale, où le lapin est désossé, farci au foie gras et braisé à la bière Rodenbach. On reverra également passer ce pithiviers à la volaille de Bresse, truffe, salsifis et foie gras ou ces huîtres au caviar, qui laissent un souvenir inoubliable à Maxime Collard…

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Photo Christophe Bortels

Mais la fermeture du “Karmeliet” ne signifie pas que Geert Van Hecke renonce à la cuisine ! Il garde le bistrot “Refter”, tandis que des travaux sont en cours au numéro 11 de la Langestraat, pour accueillir son nouveau restaurant, qui ouvrira à la fin de l’année. “J’ai ma cuisine; je ne vais pas en changer… On ira vers plus de simplicité, avec une carte plus courte : une seule mise en bouche, un choix de deux entrées, d’un poisson et d’une viande… Mais on aura toujours une belle carte des vins, de belles nappes, un décor chaleureux et personnel”, dévoile le chef. Qui promet des prix à la baisse (autour de 150 € par personne tout de même, vin compris)…

Une nouvelle page reste à écrire!

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Photo Christophe Bortels

Où déguster leur cuisine?

De Karmeliet

Installé dans une très belle demeure du Vieux Bruges, Geert Van Hecke, grand amateur d’art, a créé pour son « Karmeliet » un cocon chic et chaleureux décoré de tableaux et sculptures qu’il affectionne. Un écrin qui sert parfaitement sa cuisine classique raffinée matinée de quelques touches exotiques.

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Photo Christophe Bortels

On ne s’ennuie en effet pas à la table du grand Geert Van Hecke, avec un superbe et indémodable vol-au-vent de sot-l’y-laisse de pintadeau de Bresse, asperges vertes de Provence, ris de veau et sauce créée aux morilles fraîches.

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Ou un étonnant tartare de maigre mariné, associé à un œuf à la neige aux épices, à de l’encornet et à une crème d’anchois. Où le combava amène fraîcheur et dépaysement.

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Tandis qu’en salle, son épouse Mireille est à la manœuvre d’un magnifique chariot de fromages.

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Juste à côté de sa table gastronomique, le bistro « Refter », ouvert en 2009 et géré par son fils, est beaucoup plus abordable (lunch à 18€ et menu à 37€) avec des propositions plus simples qui font là aussi la part belle aux traditions belges et françaises mais revisitées à la sauce Van Hecke !

La table de Maxime

Maxime Collard est le digne héritier de Geert Van Hecke. Fin 2010, un an après s’être installé dans le très joli hameau d’Our, dans une belle maison en pierre aménagée de manière contemporaine par l’entreprise de travaux public Thomas & Piron, propriétaire des lieux, il décrochait d’emblée son premier macaron Michelin.

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Et Collard n’a rien oublié des leçons apprises chez Van Hecke, notamment pour proposer des gibiers à la cuisson parfaite et des sauces longues en bouche en mettant toujours en avant la richesse de son terroir ardennais. Avec par exemple un suprême de faisan cuit enrobé dans une feuille de chou vert, servi avec une déclinaison de topinambours et une raviole croustillante aux champignons des bois.

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Mais comme son maître, le jeune chef ardennais n’est pas enfermé dans son terroir, comme le montre ce filet de sole en croûte d’herbes posé dans un yaourt au curry, tempura de king crab et sommités de chou-fleur en pickles. La cuisine de Maxime Collard est celle des grands chefs, privilégiant avant tout les bons produits, avec une bonne base classique qui lui permet une créativité maîtrisée.

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Autre point fort, le prix ! Chez Maxime, on se régale de menus à 45€, 55€ et 72€. Il y a quelques mois, il a ouvert à deux pas « Les Terrasses de l’Our », une brasserie où on se régale, le midi, pour 23€ (entrée-plat ou plat-dessert) et le soir atour d’un menu bistronomique 3 serv. à 35€. Et on peut même loger sur place à des prix très raisonnables. Que demande le peuple ?