Le Salon du goût de Turin se termine ce lundi, après cinq journées intenses de discussions et d’échanges autour de la gastronomie au sens politique. De quoi redonner confiance en l’avenir et en la solidarité internationale en ces temps sombres de repli sur soi…

Jamie susperstar

La salle « Gialla » du Lingotto, ancienne usine Fiat reconvertie en centre de conférence à Turin, était pleine à craquer, vendredi après-midi. Certains étaient là depuis plus de deux heures pour être certains de décrocher un siège. La raison de cette cohue? Le Salon du goût, rendez-vous bisannuel du mouvement Slow Food, accueillait un certain Jamie Oliver. « Je voulais venir depuis longtemps mais j’ai été très occupé ces dernières années », se justifiait-il devant un public enthousiaste.

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La star britannique est connue pour ses émissions de cuisine et ses livres, qui s’écoulent à des centaines de milliers d’exemplaires. Mais le chef rock-and-roll est aussi très engagé pour l’amélioration des cantines scolaires, combat qu’il a poursuivi aux Etats-Unis et désormais à l’échelle mondiale. Il y a 10 ans, son documentaire choc sur la malbouffe dans les écoles britanniques, diffusé trois mois avant les élections, avait débouché sur une décision politique: la création de normes encadrant les cantines. « Je m’étais rendu compte qu’en Grande-Bretagne, si vous fabriquiez des aliments pour chiens, il y avait une liste de normes épaisse comme ça à respecter mais aucune quand vous faisiez à manger tous les jours à des enfants! », expliquait Jamie, rappelant que, pour la première fois l’année dernière, plus de personne dans le monde sont mortes de maladies cardio-vasculaires que de faim…

 

Travailler dans les cantines et dans les jardins

C’est pour témoigner de ce combat victorieux que Jamie avait fait le déplacement à Turin, aux côtés de Carlo Petrini, président de Slow Food, et de celle qui fut l’une de ses inspiratrices: Alice Waters. Chef du restaurant « Chez Panisse » près de San Francisco, la vice-présidente de Slow Food International lançait il y a 20 ans un premier potager dans une école de Berkeley, pour apprendre aux enfants à faire attention à ce qui se trouvait dans leurs assiettes.

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Aujourd’hui, elle milite pour que les cantines scolaires américaines abandonnent le fast-food en travaillant avec les fermiers locaux. L’idée a été reprise par le Slow Food à travers son opération « 10000 potagers en Afrique », qui se donne comme objectif de développer les communautés locales, de donner du travail aux femmes et plus seulement dans un but éducatif… Carlo Petrini aime à ce titre citer son « ami » français Pierre Rabhi, le philosophe-jardinier: « Faire son potager est un acte politique. »

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A 40 ans, Jamie Oliver souhaite aujourd’hui élargir son combat en encourageant toutes les bonnes volontés: « Pour faire bouger les choses, j’ai compris que deux choses comptent: où vont vos votes et où va votre argent. Et ça chacun d’entre nous le fait. Il faut unir les forces. Une voix n’est pas assez; il faut un chœur. On combat des milliards de dollars de publicité qui, tous les ans, ciblent les enfants. Les gens contre qui on lutte sont très intelligents, stratèges et peuvent s’offrir les meilleurs avocats… »

Pour un hédonisme politique

Conquis à la cause, le public présent boit les paroles des intervenants, qui tous osent encore rêver d’un monde plus juste. Grand orateur, Carlo Petrini, surtout, réussit à déclencher l’enthousiasme chez ses auditeurs… « On ne vient pas au monde pour accumuler de l’argent mais pour être heureux, pour aimer les siens, sa communauté, son pays. La chose la plus importante, c’est le bonheur!, assène le chantre de l’hédonisme politique. Pour Aristote, la seule chose sûre dans la vie est la souffrance. Pour lui, le bonheur consiste à lutter contre cette souffrance. J’ai connu ces dernières années des expériences difficiles. Quand j’ai dû lutter contre la maladie, j’ai été heureux. Mais il ne faut pas seulement lutter contre sa propre souffrance, il faut lutter contre celle de ses proches, de ses voisins, de sa communauté, de son pays. Il faut lutter contre la souffrance de chaque personne dans le monde. C’est la seule façon d’être vraiment heureux. Et ce combat doit se faire dans la joie, dans l’allégresse! »

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Une autre mondialisation

En un quart de siècle de combat, Petrini a su faire évoluer son mouvement gastronomique, fondé en 1986 contre la mcdonaldisation du monde, en un combat politique beaucoup plus vaste. Car derrière les discours sous forme de prêches de Petrini, le Slow Food n’est plus depuis longtemps qu’un simple idéal. Il agit très concrètement pour peser sur la marche folle du monde.

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Pour s’en rendre compte, il suffit de parcourir les allées du Marché international, qui accueille les communautés Terra Madre, le bras politique de Slow Food, qui fête cette année ses 10 ans. Là, on voit à l’œuvre une autre mondialisation. Où les nonnes d’un temple bouddhiste coréen cuisinent aux côtés de petits producteurs d’épices indonésiens. Où l’on peut, dans la même journée, déguster un cidre méthode champenoise du Vermont, de délicats raisins secs afghans, une étrange algue des mers froides chiliennes ou des huîtres sauvages de la mer de Wadden, en Hollande. Sans oublier un morceau de fromage de Herve au lait cru et du sirop artisanal de Hesbaye et du Pays de Herve, les deux premières sentinelles Slow Food belges, présentées officiellement cette année à Turin. 

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Un réseau d’un million de personnes

A force de patience – on est slow ou on ne l’est pas… -, le message de Petrini finit par être entendu. Dans son dernier livre « Voler bene alla Terra », le Piémontais dialogue avec une vingtaine de personnalités de premier plan: Joseph Stiglitz, Alain Ducasse, Dario Fo, le prince Charles, Luis Sepúlveda ou encore Jonathan Safran Foer. Tandis que les idées Slow Food commencent à trouver un relais dans la classe politique, même au sein de la très libérale Commission européenne. Lors de la cérémonie d’ouverture, jeudi soir, Carlo Petrini a même pu compter sur le soutien de Michelle Obama et du pape

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Revendiquant 70000 membres, Slow Food est désormais présent dans 170 pays grâce à son réseau Terra Madre, qui agrège des milliers d’initiatives locales, réunissant au total un million de personnes actives. De quoi en faire désormais le plus grand mouvement citoyen à l’échelle planétaire. « Nous ne sommes pas un parti politique ou une association. Nous sommes un réseau. Et un réseau, c’est ingouvernable. C’est ça notre force! », se réjouissait ce week-end le pape du Slow Food… « Nous sommes le plus grand réseau vertueux multinational, bien plus important que n’importe quelle multinationale. Terra Madre n’a que dix ans. C’est maintenant que ça va commencer. » 

Samedi, lors de sa conférence de presse, Carlo Petrini se faisait même prophétique pour parler de l’avenir de son mouvement et de la planète et démentir l’idée qu’il ne serait qu’un doux rêveur… « Un de mes grands amis, une des plus belles personnalités de la culture européenne, Edgar Morin, est un grand ami du Slow Food. A 92 ans, il me disait: « Si je regarde l’économie, la politique, le monde aujourd’hui, je me dis que je vais mourir dans le désastre. Mais non car il y a des milliers et des milliers d’associations et de personnes qui s’unissent: Greenpeace, le WWF, pas seulement le Slow Food. » La politique ne l’a pas encore compris mais quand ce fleuve souterrain sortira de terre, il se passera des choses extraordinairesMorin dit que, pour cela, tout doit recommencer mais que tout a déjà recommencé. Ceci n’est pas un rêve, c’est la réalité.« 

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220000 visiteurs

Comme en 2012, le Salon du goût a accueilli cette année quelque 220000 visiteurs, dont 3000 délégués Slow Food et 400 journalistes internationaux (venus de 63 pays différents). Pour le public italien, ce Salon bisannuel est aussi (et parfois surtout) l’occasion de découvrir et d’acheter des milliers de produits artisanaux issus de toutes les régions d’Italie…