Cette année, Terra Madre avait placé en son centre l’Arche du goût, projet qui, à terme, a pour ambition de répertorier 10000 produits en voie de disparition à travers le monde. Au Salon du goût Slow Food de Turin, le concept est devenu très concret!

Relocaliser les productions alimentaires

Samedi, discutant avec le grand chef péruvien Gastón Acurio, très actif aux côtés des communautés paysannes andines, Carlo Petrini, président de Slow Food, réinsistait sur cet objectif. « L’Arche du goût est une métaphore créée il y a quelques années contre une autre métaphore, celle du Déluge universel. Le Déluge, c’est un système de production massif qui, de façon violente, a privilégie la quantité, sans aucun respect de la qualité, des liens sociaux et de l’économie locale. Ce système a peut-être résolu le problème de la malnutrition mais a détruit de façon systématique la biodiversité. Depuis 1900, celle-ci a diminué de 70%. Des espèces de fruits, de légumes, de céréales, d’herbes, des races animales… dont beaucoup avaient plus de 1000 ans, ont été éliminées car pas assez productive pour l’agriculture intensive… »

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1500 produits à Turin

En Italie, le travail du Slow Food a déjà porté ses fruits. Ce sont ainsi des centaines de produits qui ont été sauvés, dont la production a été relancée en travaillant avec les paysans locaux et dont la distribution est assurée, notamment via la chaîne de grandes surfaces gourmet « Eataly », présente à Turin, Milan, Rome, Gênes et même New York.

« En Italie, on a construit une petite économie qui est devenue grande. Au début, on nous disait: « Pourquoi défendre ce petit haricot ou ce fromage? Cela n’a aucun sens dans l’économie globale… » Aujourd’hui, si l’on met tous ces produits bout à bout, c’est devenu plus important que le marché classique. Il faut faire ça partout! Le marché mondial ne va pas nous aider; c’est le marché local qui va prendre le relais. Le monde sera sauvé au niveau local. »

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Au Salon, les délégués Slow Food du monde entier avaient amenés pas moins de 1500 variétés de pommes, de céréales, de fromages, de vinaigres, de courges… déposés dans l’Arche du goût. De quoi donner au concept théorique une réalité très concrète et très émouvante.

L’Arche sur Google

Et comme tout le monde ne peut se rendre à Turin pour découvrir cette biodiversité menacée, Petrini a récemment passé un accord avec Eric Schmidt, le grand patron de Google, pour que l’Arche soit accessible à tout un chacun sous forme numérique, avec une fiche détaillée et une photo de tous les produits inscrits. Google se chargera également du référencement et de la géolocalisation de tous les jardins Slow Food en Afrique. Là encore, des infos détaillées présenteront chaque projet, tandis que des vidéos sur YouTube feront vivre le travail de la terre, les récoltes, etc.

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« Trois jours après ma discussion avec Monsieur Google, je reçois un coup de téléphone de chez Google, qui me dit: « On a un problème… A part les grandes villes, on n’a pas encore cartographié l’Afrique… ». Alors j’ai appelé Eric, qui m’a dit: « Pas de problème! Dans six mois, c’est fait! » Fantastico! », s’enthousiasmait Petrini, samedi, lors de sa conférence de presse.

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Rendre l’estime de soi aux producteurs

Pour Slow Food, le plus important n’est pas de défendre un produit, de lui donner une visibilité internationale mais, ce faisant, de rendre à son producteur l’estime de soi. Confirmation du côté de Terra Madre avec Helianti Hilman, fondatrice de Javara, société qui commercialise 500 produits (épices,  farines et riz) issus tout l’archipel indonésien, où le Slow Food est implanté depuis 2008. « Si je me suis engagée dans le Slow Food, c’est parce qu’on fait la même chose, on partage les mêmes valeurs. Le combat n’est pas politique; il s’agit plutôt de revenir à nos racines. »

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Présidente du convivium Kemang de Jakarta, Helianti est fière de présenter à un public cosmopolite le résultat de son travail avec 15000 petits paysans pour préserver la biodiversité de son pays. « Avant les années 70, on comptait plus de 700 variétés de riz en Indonésie. Aujourd’hui, il n’en reste que 500, dont seulement 40 se retrouvent sur le marché », déplore-t-elle.

Un lieu d’échanges

Pour la jeune femme, venir au Salon du goût de Turin est essentiel. « Tout est question d’éducation, de partage, de réseau. Ici, on ne se sent plus seuls. On rencontre des gens qui, comme nous, se sentent étrangers dans leur pays parce qu’ils vont à contre-courant. On apprend les uns des autres. Par exemple, comme nos petits producteurs ne peuvent pas se payer une certification bio, on a emprunté en Inde le système Organic Trust (bio par confiance). Tout est basé sur la transparence. Si vous ne nous croyez pas, les portes de nos fermes vous sont ouvertes… »

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Et puisque le slogan de Slow Food est le « bon, propre et juste », Javara intègre une forte dimension sociale à son projet. Les prix sont négociés avec les paysans, auxquels la société offre par ailleurs une couverture sociale, chose très rare en Indonésie. « Mais l’argent ne suffit pas. Il faut qu’ils puissent être fiers de leur travail. C’est pourquoi on les amène avec nous sur les salons. » 

« Je suis heureux d’être ici »

Martin, producteur d’épices, notamment de clous de girofle, avait ainsi accompagné Helianti à Turin. « Ici, je me sens heureux. Cela m’inspire de rencontrer d’autres producteurs. Entre paysans et artisans, on partage nos problèmes et l’on essaye d’y apporter des solutions… »

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