Et si l’hôtel était de dernier refuge des foodies en manque d’expériences gastronomiques?

En cette période de confinement deuxième génération, bars et restaurants sont à nouveau fermés depuis le lundi 19 octobre. De nombreux chefs se sont immédiatement remis en mode take-away, comme en avril et en mai. C’est le cas d’étoilés comme Sang-hoon Degeimbre (L’Air du Temps**), Christophe Pauly (Le Coq aux champs*) ou Karen Torosyan (Bozar Restaurant*), dont les formules à emporter avaient très bien fonctionné au printemps.

Si l’on est coincé dans un hôtel sans resto pour le boulot par contre, ne reste qu’une solution déprimante: manger seul dans sa chambre une pizza en carton commandée via Deliveroo ou UberEats. Le niveau zéro du room service… Testé et désapprouvé à Gand le 19 octobre dernier…

Pourtant, ce confinement 2.0 ne ressemble pas tout à fait au premier.

De nouvelles formules ont en effet fait leur apparition dans les hôtels, qui contrairement à ce qui s’est passé au printemps, peuvent pour l’instant continuer à servir à manger à leurs clients. Quitte à faire hurler certains restaurateurs, voyant là une concurrence déloyale alors que eux doivent rester fermés, voire certains hôteliers eux-mêmes.

Ainsi, à Gand, le bed and breakfast Ganda propose à ses hôtes de leur servir des plats de restaurants à la mode, comme Heritage ou Kin Khao. Parfois, l’expérience prend même des accents de table clandestine, comme au Nonam, à Gand toujours…

Une idée originale

Comme tous les restaurants, le Nonam a dû refermer ses portes. Son jeune chef propriétaire, Karel Van Oyen, qui avait déprimé sur ses plats à emporter durant le premier confinement, a imaginé cette fois une autre manière de faire découvrir sa cuisine à ses clients. Ses chambres étant quasiment vides en cette période, faute de touristes, autant les valoriser en version room service de luxe…

« Vendredi soir, après l’annonce de la fermeture des restaurants, je suis rentré chez moi après l’envoi du plat principal. J’étais très énervé. Je me suis disputé avec ma copine et j’ai passé toute la nuit sur Internet. Et le matin j’ai eu une idée: monter le restaurant dans les chambres, pour faire du room service. J’aurais pu garder le restaurant ouvert, mais on a beaucoup de fenêtres donnant sur la rue. Je n’avais pas envie qu’on voit les gens manger, que la police intervienne, même si c’est légal », raconte-t-il.

Un parfum de resto clandestin

Différentes possibilités sont ainsi prévues au Nonam, selon que l’on opte pour un menu 5 ou 6 services, pour une chambre simple ou une suite et que l’on prenne ou non le petit-déjeuner le lendemain, avec des prix oscillant entre 365€ à 485€ (pour deux personnes). Au lancement de son concept, le 22 octobre dernier, Karel Van Oyen avait même osé une formule plus audacieuse encore, façon hôtel de passe pour foodies en manque: il proposait à ses clients de louer une chambre à la soirée seulement, leur garantissant que l’expérience prendrait fin à 23h, afin qu’ils puissent rentrer chez eux en respectant le couvre-feu de minuit en Flandre. Selon l’interprétation du chef, rien dans la loi belge ne dit en effet que les « clients d’un hôtel » doivent forcément dormir sur place…

Depuis, suite à une plainte et à un contrôle de la police lundi soir, le chef a ceci dit dû supprimer l’option sans nuitée de son offre, même s’il n’y a eu aucune poursuite, parce que la loi n’était pas assez claire. Dans le même ordre d’idée, il y a quelques jours, le président du CD&V Joachim Coens a dû s’excuser, après avoir été pris en flagrant délit, via des photos diffusées sur Twitter, déjeunant dans un restaurant d’hôtel à Bruxelles où il ne séjournait pas.

Room service!

Reste que Karel Van Oyen a tout prévu pour proposer une expérience « Suite Escape » assez bluffante. Quand on arrive dans sa chambre, la table est déjà dressée, tandis que, réglée sur une chaîne de jazz classique, la télévision se charge de la musique d’ambiance. Reste à scanner le QR Code pour découvrir le menu… Et un « chat » est même disponible si on veut entrer en communication avec la cuisine.

Ici, tout a été pensé pour rester dans les clous de la loi. Le service de l’alcool étant interdit après 20h, y compris dans les hôtels, le serveur apporte donc au début du service, à 19h un grand saut à glace garni de petites bouteilles en plastique contenant les vins proposés en accord avec chaque plat.…

Pour le reste, hormis le serveur qui frappe systématiquement à la porte avant d’entrer dans la chambre et le fait qu’on mange non loin du lit et de la baignoire, on est clairement au resto. Avec des assiettes joliment dressées et une sélection de vins baladeuse. Mention très bien pour ce  blaufränkisch nature du domaine Hunny Bunny 2017 « No Sexual Service » 2017 (ça s’impose vu le contexte hôtelier!). Lequel accompagne joliment une mousse de foie de volaille et déclinaison autour de la betterave.

Une fois la table débarrassée, reste à enfiler son pyjama et à se glisser dans un lit douillet…

Et la formule semble plaire puisque le Nonam affiche complet le week-end prochain!

Une ouverture en temps de confinement

Si le Nonam cherche clairement à attirer des clients venant à l’hôtel pour manger, d’autres hôtels sont dans une démarche plus classique: offrir un repas à leurs clients. C’est le cas du tout nouvel hôtel Mercure, qui ouvrait ses portes, vendredi, à Han-sur-Lesse, avec un taux de remplissage quasi complet pour les deux semaines à venir (Toussaint) et pour les vacances de Noël. La clientèle étant à 90% flamande, l’hôtel a fait appel au chef flamand Benoit Dewitte pour son restaurant gastronomique Merlesse.

Étoilé au restaurant Benoit & Bernard Dewitte, celui-ci bosse depuis plusieurs mois sur la mise au point de la carte, « inspirée des Ardennes, mais aussi de mes voyages depuis 15 ans partout dans le monde ». Ainsi, lors d’un dîner-test, jeudi soir, on pouvait découvrir une « salade ardennaise » magnifiquement retravaillée, avec des pommes de terre, un fromage à raclette, du jambon fumé local, évidemment, et un jus d’oignon réduit lié à une huile d’oignon brûlé. Ou encore un beau pavé de cabillaud, parfaitement cuit, posé sur un risotto de céleri-rave, avec une sauce au beurre et au sherry.

La bouteille à table jusque 19h59

Lui-même propriétaire d’un restaurant ayant dû fermer ses portes, Benoit Dewitte trouve la situation très « étrange ». D’autant que les conditions sanitaires actuelles l’obligent lancer le Merlesse sur des chapeaux de roue, alors qu’il aurait préféré un démarrage en douceur. Les restos de la région étant fermés, les clients du Mercure vont en effet manger beaucoup plus à l’hôtel. Il a donc fallu imaginer une restauration plus accessible au bar, tandis qu’ils sont encouragés à consommer des plats à emporter ou à cuisiner dans les suites familiales, équipées d’une kitchenette.

Pour accueillir un maximum de client, le Merlesse proposera quant à lui une formule 3 services à 45€ en deux services de 40 couverts, sans doute à 18h et 19h30. Car, là encore, il va falloir jongler avec la réglementation, notamment pour respecter l’interdiction de « servir de l’alcool » après 20h. Même si, techniquement, le client peut recevoir une bouteille à table jusque 19h59 et ensuite remplir lui-même son verre…

Autant de conjectures ceci dit si jamais, ce week-end, était annoncé au niveau fédéral un reconfinement strict, rendant impossible les voyages de loisir…

Dîner à l’hôtel, la nouvelle tendance du second confinement?

Si la tendance « sleep & dine » s’affirme partout, les différentes formules inventives proposées aux quatre coins du pays rencontreront-t-elle le succès? Certains hôtels-restaurants affichent complet pour les deux semaines à venir, tandis que d’autres peinent à remplir ou doivent faire face à des règlementations sanitaires qui changent tous les jours…

Place Rouppe à Bruxelles par exemple, Fabian Henrion, propriétaire de l’hôtel de la Grande Cloche, voulait lancer une très chouette formule vendredi. « Pour qu’on continue à parler de nous et en solidarité avec les chefs », disait-il. L’idée? Inviter un chef et proposer un menu et une chambre double à 200€. Pour ce premier événement, le restaurant de l’hôtel, l’excellente pizzeria Pasta Madre, devait recevoir Jean Moeder, à la tête de l’iconique Moeder Lambic. Et des noms comme Thomas Algoet (Les Petits Bouchons) ou encore Bruno Timperman (Bistrot Bruut) circulaient déjà… Mais, faute de réservations suffisantes, l’événement prévu ce vendredi 30/10 a été annulé…

Luxe, calme et volupté

À Bruxelles toujours, à deux pas de la Grand-Place, le très chic hôtel Amigo — resté ouvert pendant la crise, contrairement à de nombreux palaces parisiens — lance quant à lui une formule « Staycation » à partir de 249€ (pour deux) où, dans le luxe, le calme et la volupté, on profitera d’une nuitée, d’un repas 2 serv. au restaurant Bocconi (hors boissons), d’un petit-déjeuner et d’une « Brussels Card », donnant accès aux transports de la Stib pendant 48h (mais plus aux musées de la capitale, ceux-ci ayant fermé leurs porte entre-temps).

À Halle, en Brabant flamand, l’hôtel-restaurant Les Eleveurs a été l’un des premiers à se lancer. Au prix de 260€ par couple (sans les boissons), chaque vendredi et samedi, on vous accueille pour un séjour en chambre double avec petit-déjeuner compris et un dîner 6 serv. orchestré par le chef Michel Borsy. Une formule qui semble rencontrer beaucoup de succès.

À Poix-Saint-Hubert, au coeur des Ardennes, les soeurs Piette ont par contre décidé, après moult hésitations, de fermer leur hôtel du Val de Poix et leur restaurant Les Gamines. « La Toussaint est l’une des semaines les plus importantes de l’année pour nous. Tout le monde vient en Ardenne pour les vacances, pour profiter du gibier…, explique Lola Piette. En ce moment, on oscille entre réservations et annulations et plusieurs raisons nous ont poussées à tout fermer. En restant ouvert, on expose notre personnel à plus de risques. Le serveurs sont masqués, mais pas les clients… Tandis que la règlementation manque de clarté. On n’a su qu’hier qu’on avait droit aux aides, même si on continuait à servir nos clients. Mais tant pis, si un reconfinement est décidé et que je me retrouve avec toutes les marchandises sur les bras, ça va me coûter de l’argent. Et puis on a décidé de prendre nos responsabilités, ce que le gouvernement ne fait pas. La situation est dramatique au niveau sanitaire et humain, ça devenait indécent de rester ouverts! »