Tables gastronomiques, bistrots, pizzerias, producteurs… La crise du coronavirus a impacté toute la chaîne de l’Horeca. Après deux ou trois semaines très difficiles suite à l’annonce de la fermeture des bars, cafés et restaurants le 14 mars dernier, beaucoup se sont mis en mode traiteur et autres plats à emporter. Mais tous appréhendent la réouverture, qui devrait se faire progressivement en ce début du mois de juin. Petit tour d’horizon en cinq épisodes.

Première étape du côté du Dillens à Saint-Gilles, un bistrot qui a été obligé de se réinventer durant la crise. 

Un bistrot obligé de revoir son business model

À 31 ans, Benjamin Raickman est un patron inquiet. Ayant débuté comme serveur au Belga, place Flagey, pendant ses études, le jeune homme a été piqué par le virus de l’Horeca. Après avoir gravi les échelons au Potemkine puis au Flamingo, toujours à Bruxelles, il reprend avec son associé Thomas Cherdo Le Dillens en juin 2013. Depuis, ce petit bistrot saint-gillois ne désemplit pas. Notamment grâce au talent du jeune chef Benjamin Rauwel, qui a rejoint l’équipe depuis un an. Mais aujourd’hui, Raickman vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Comme pour beaucoup de restaurateurs, cette crise du coronavirus a agi sur lui comme un révélateur, amenant les trois associés à revoir complètement leurs plans pour l’avenir. « Pour des endroits comme les nôtres, plus proches d’une brasserie, nos business models ont fait leur temps. Je pense que ça n’existera plus, à part dans de grandes brasseries, où l’on est prêt à mettre le prix. Nous, on doit garder des prix de quartier, mais cela nous coûte trop cher en main-d’oeuvre… »

Changer de business model

Pour limiter les risques, l’idée serait de s’orienter vers une formule plus classique, un bistrot de la mer ouvert seulement le soir par exemple. « Ce qui se fait de plus en plus, à Paris ou à Londres, c’est d’avoir un seul créneau: le midi ou le soir. En Belgique, la culture du lunch n’est pas très ancrée. On va plutôt au café pour prendre une soupe et une tartine qu’un déjeuner complet. » Le patron craint d’ailleurs que la généralisation du télétravail mise en place par les sociétés n’implique « une grosse diminution de notre clientèle des bureaux dans le quartier. On se fait beaucoup de souci pour le midi… »

« On a voulu Le Dillens comme un bistrot à l’ancienne, où ça parle fort, où la lumière est basse… Dans un premier temps, j’ai déjà retiré 20 places assises sur 60, sans compter le comptoir. Juste pour nous permettre de gérer le resto à trois: deux en salles en un en cuisine. Si on devait espacer les tables d’1,5 m, on on descendrait à 30 couverts. Ce sera très dur de tenir le coup en mode bistrot. Avec notre formule de petits tapas, on a besoin de masse, de passage… La réouverture des bars et cafés purs, je ne la vois pas avant très longtemps », prédit le jeune homme.

Pas de réouverture en juin

Pour Raickman, la réouverture des bars et restos début juin « serait une grosse erreur » « Si on va dans un établissement Horeca, c’est pour passer un bon moment, convivial, pour laisser de côté son anxiété. Si les gens sont servis avec des masques, qu’on a des détecteurs de température ou des plaques de Plexiglas entre les tables, cela ne servira à rien. Cela nous mettra dans une situation plus difficile encore. Et s’il y a une deuxième vague et qu’on doit à nouveau fermer, certains établissements ne rouvriront pas… Si l’Horeca n’est pas aidé, la crise pour l’emploi sera bien plus violente qu’on pourrait l’imaginer! »

Le jeune patron plaide donc pour des mesures gouvernementales fortes en soutien du secteur: gel des charges patronales pour 2020, facilités d’emprunt, prolongement jusque fin août du chômage-passerelle pour les employeurs et du chômage technique pour les employés… « Personnellement, je pense que la vraie bonne stratégie pour le gouvernement, ce serait de repousser la réouverture des restaurants et des bars en même temps, pour éviter toute concurrence déloyale. De toute façon, notre saison est atomisée… », se désole Raickman. Qui ne comprend pas qu’un bistrot comme le sien, qui fait un chiffre d’affaires annuel d’un million d’euros risque la faillite au moindre couac. « J’ai peur que deux mois de fermeture ne vienne remettre en cause le travail de 7 ans… »

Soutenir ses producteurs

Côté positif, le patron du Dillens se réjouit d’avoir retrouvé du temps pour lui. « C’est la première fois que je m’arrête autant. J’ai compris, comme beaucoup de copains, qu’on était enchaînés à nos établissements. On réfléchit donc avec mes deux associés à un concept qui nous permettrait de garder plus de temps pour nous. »

Durant la crise, Le Dillens a par ailleurs dû se réinventer, en mettant notamment en place des paniers à emporter, pour soutenir ses producteurs, comme Terroirist (fruits et légumes), Titulus (vins), Seghers (viande)… Un concept qui devrait se prolonger après la crise.

« Beaucoup de gens nous demandent un service traiteur, mais on ne veut pas travailler avec Uber et Deliveroo; ce n’est pas notre philosophie. On imagine peut-être un système traiteur zéro déchet, avec des bocaux à venir chercher sur place. On va voir si ces deux idées ne sont pas trop chronophage et énergivores. Mais en tout cas, on ne veut pas avoir tous nos oeufs dans le même panier. Avec ça, on aura déjà une structure pour tenir le coup… », conclut Raickman.