« Bienvenue à la plus géniale des conférences! » C’est n ces termes qu’Elke Markey lançait joyeusement la fête Zéro déchet qui avait lieu hier à Tour & Taxis à Bruxlles, au Herman Teirlinck Gebouw, l’un des superbes bâtiments administratifs du gouvernement flamand. A l’origine de l’événement, FoodWIN, une asbl basée à Bruxelles qui, depuis 2014, tente de créer un réseau entre les différents acteurs européens innovants dans le secteur du zéro déchet. Un réseau qui compte aujourd’hui 200 membres à travers toute l’Europe. Un projet ambitieux et nécessaire quand on sait que dans le monde nous jetons un tiers de la nourriture que nous produisons.
Mais voilà, FoodWIN ne recevant que des subsides flamands, les conférences se faisaient en anglais – c’est déjà bien! – et la remise des prix qui suivait en néerlandais… Il serait pourtant temps que les deux (voire même les trois) communautés de Belgique s’unissent sur le sujet. Ne doit-on pas mettre l’urgence climatique en tête de nos préoccupations?
Créer une culture du zéro déchet
Cinquante pour cent des émissions de gaz à effet de serre sont dues à la production et au transport alimentaire. C’est gigantesque. D’autant plus lorsqu’on connaît la note salée du gaspillage alimentaire… C’est pour cette raison qu’il est nécessaire d’agir à échelle gouvernementale mais aussi individuelle pour changer les choses. « Car la réduction des déchets est la troisième meilleure solution pour lutter contre le changement climatique », expliquait Elke Markey, faisant référence à de récentes études scientifiques.
Nous serons de plus en plus nombreux à vivre en ville d’ici à 2050. D’où l’idée de FoodWIN de rassembler une série d’acteurs qui ont trouvé des solutions sur le terrain urbain pour agir à tous les niveaux de la société. De la cantine des écoles et des hôpitaux, en passant par les foyers et les supermarchés. Car il faut créer une nouvelle culture, celle du zéro déchet.
Lutter contre le réchauffement climatique
Carine Millstone, pdg de Feedback Global en Grande-Bretagne, est une pionnière dans la lutte contre le gaspillage alimentaire au niveau des citoyens et du politique. Durant la première conférence, elle racontait comment, il y a dix ans encore, on parlait seulement du sujet via le prisme de la pauvreté et des enfants qui meurent de faim. « Bien sûr qu’il faut lutter contre l’insécurité alimentaire mais aujourd’hui, le gaspillage alimentaire c’est d’abord une tragédie environnementale. L’Accord de Paris – le premier accord universel sur le réchauffement climatique – n’intègre même pas la question du gaspillage alimentaire! »
La Britannique expliquait aussi comment, auparavant, le gaspillage alimentaire était souvent envisagé comme un problème technique. Aujourd’hui, on sait qu’une grande partie de celui-ci a lieu à la maison mais aussi dans les champs. « Ce qu’il est important de comprendre, c’est que ce gaspillage est dû à un dysfonctionnement de notre système alimentaire. A cause de la surproduction, mais aussi de la vente et des achats excessifs », concluait-elle.
L’intelligence artificielle, arme efficace contre le gaspillage?
Pour lutter contre les dysfonctionnements de notre système alimentaire, il est donc nécessaire de trouver des solutions. David Achard est Business Development Manager Benelux de la société Winnow, qui propose un système révolutionnaire faisant appel à l’intelligence artificielle pour réduire les déchets dans les cuisines de géants comme Ikea, Accor Hotels, Hilton… « Le gaspillage alimentaire représente environ 4 à 10% du food cost dans les cuisines du monde entier. Et celui-ci a toujours été difficile à mesurer. Nous proposons à des sociétés comme Ikea d’utiliser une poubelle intelligente, munie d’une balance et reliée à un ordinateur, qui permet d’identifier ce que les gens jettent. Ils peuvent ainsi chercher des solutions pour réduire le gaspillage et obtenir jusqu’à 65% de réduction de coûts. Ce qui peut représenter une économie de 30 millions de dollars par an pour certaines entreprises. »
Agir dans les cantines
Jasmien Wildermeersch, co-directrice de FoodWIN, travaille depuis deux ans à réduire les déchets alimentaires dans les cantines des écoles et des hôpitaux. « Pour que ça marche, il faut impliquer tous les départements. Les solutions sont ainsi mieux acceptées et mises en place correctement. Mais il faut d’abord diagnostiquer le problème. Parfois, il peut y avoir jusque 30% de déchets alimentaires dans une cantine. On ne peut pas copier-coller une solution, mais on remarque certaines tendances. Beaucoup de cantines, par exemple, proposent les mêmes portions à des enfants de 7 ou de 16 ans, ce qui n’est pas normal! »
A l’aide de logiciels, Jasmien aide les chefs à aussi mieux prévoir les quantités de repas qui seront commandées, en utilisant les données historiques. « Mais il faut aussi utiliser la communication car il s’agit avant tout d’un problème humain. Le mois dernier, j’ai visité une cantine scolaire où 90% des légumes étaient à la poubelle… Il faut donc agir avec les parents, les professeurs, les chefs de la cantine…. »
Créer du lien social
Karen Janssens, Program Manager de Flavour, raconte: « Lorsque je vivais au Nicaragua, personne ne jetait rien. C’est avant tout une question de moyens! Lorsqu’on jette, c’est un choix personnel mais aussi de société. La lutte contre le gaspillage alimentaire peut aussi être un levier d’inclusion sociale. » La jeune femme a créé « Food Act 13 », 5 plateformes régionales de redistribution en Flandre (et il y en aura bientôt 9 autres) qui ont déjà récupéré 920 tonnes de surplus alimentaires, ce qui représente 2300 tonnes de C02.
Ce qui signifie aussi la création de 52 emplois pour des personnes précarisées et la redistribution de nourriture à 75.000 personnes, via 184 organisations sociales. Un modèle vertueux! Avec « Foodsavers », différentes solutions sont mises en place, comme la création d’une plateforme digitale de redistribution (https://www.schenkingsbeurs.be) mais aussi la transformation d’aliments. « POD MI », par exemple, est une soupe réalisée avec des légumes invendus.
Convaincre les gens d’agir au quotidien
Katharine Fox est, elle, Project Lead chez Trifocal à Londres. On sait qu’une grande partie du gaspillage alimentaire a lieu au sein même du foyer. Ce projet a donc pour but de sensibiliser les citoyens à réduire leurs déchets. Sur différents réseaux sociaux, par des messages, des affiches ou des vidéos, des trucs sont données pour aider les familles à créer des réflexes et éviter les gaspillages.
On apprend ainsi à cuisiner le pied d’un brocoli, à conserver une laitue ou à congeler des blancs d’oeufs… « A Londres, il y a 900.000 tonnes de gaspillage alimentaire par an et on pourrait en éviter 540.000 tonnes. Et un petit changement dans le comportement quotidien des gens peut faire une grande différence », expliquait-elle de manière convaincue et convaincante.
Le gaspillage alimentaire comme source d’inspiration
Maxime Willems, fondateur du laboratoire Proef! à Schellebelle, à quelques kilomètres de Gand, travaille en étroite collaboration avec des restaurants (Bon Bon, Willem Hiele, Humus & Hortense…), des bars à cocktails (Yi Chan, The Pharmacy) ou des sociétés, pour les aider à créer des produits innovants et savoureux, en utilisant des nouvelles technologies ou des techniques ancestrales (ultra-sons, fermentation…). Il a ainsi créé « Supasawa », un cocktail mixer qui permet aux barmen d’ajouter une touche d’acidité à leurs cocktails sans utiliser du citron. Un substitut qui permet sérieusement de réduire leur impact sur l’environnement!
Mais Proef! agit aussi comme un incubateur, où d’autres personnes ayant des idées à développer autour du gaspillage alimentaire sont les bienvenues. Tandis que Maxime Willems collabore aussi au projet « Terroir » avec Steven Desair (Eatmosphere, Mary Pop-in), qui propose de revaloriser les produits de la gastronomie belge (surtout flamande), à travers des collaborations avec des chefs belges.
La lutte contre le gaspillage alimentaire, c’est rentable
Enfin, le Français Jean Moreau, président de Phenix, était venu expliquer combien sa start-up, active dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, connaît un succès grandissant en France. Cet ancien banquier, qui voulait trouver un métier chargé de sens, a eu l’idée, il y a 5 ans, d’agir au niveau des supermarchés pour créer un nouveau standard de recyclage des surplus alimentaires. Il a créé Easyturn, un outil génial, une sorte de GPS qui traque les dates de péremption pour aider les chefs de rayons à détecter rapidement ces produits sur le point de périmer et d’agir.
Easyturn permet ainsi aux grandes enseignes de procéder plus rapidement à des réductions de prix et, si le produit n’est pas vendu, à le rentrer plus vite dans la chaîne de recyclage, en l’orientant vers des associations de charité ou, en fin de course, vers la production de nourriture animale. L’entreprise fait aujourd’hui 9 millions de bénéfices, emploie 100 personnes et a réussi en 2018 à lever 15 millions d’euros. Et Phenix arrive bientôt en Belgique!
La Food Waste Alliance
A partir de ce 2 avril, FoodWin a aussi annoncé le lancement d’un service payant (en anglais, français et néerlandais) pour faciliter le lancement de projets autour du gaspillage alimentaire. Composée d’une équipe de chocs, qui a déjà réalisé de nombreux projets concrets en la matière et qui a donc l’expertise nécessaire, cette « Food Waste Alliance » devrait favoriser l’apparition de nombreuses initiatives pour réduire encore un peu plus le gaspillage alimentaire et notre impact sur l’environnement. Une bonne nouvelle!
Rens.: http://foodwastealliance.be
Les gagnants des Food Waste Awards 2019
Lors de la cérémonie qui avait lieu en fin de journée, les « Food Waste Awards » 2019 ont été attribués à
- Too Good To Go, une application qui met en lien les consommateurs avec les supermarchés ou les épiceries. Ils peuvent ainsi aller chercher un panier surprise composé des invendus du jour du commerçant. « Too Good To Go » Belgique a été lancée le 1er mars 2018 et compte déjà sur une communauté de 432.828 « Food Waste Warriors », qui peuvent récupérer leur panier auprès de 1.672 commerçants partenaires.
- Food Act 13, dont nous parlions plus haut et qui, à travers 14 plateformes locales situées en Flandre occidentale, récupère 200 tonnes de surplus alimentaires en les redistribuant via des organisations sociales tout en créant des emplois.
- Het Facilitair Bedrijf. Dans leur 10 cantines où ils travaillent en collaboration avec FoodWIN, ils ont mis en place un plan d’action avec comme objectif la diminution de 30% de leur gaspillage alimentaire d’ici 2030.
- De Trog. Cette boulangerie bio a aussi été distinguée car elle recycle son pain invendu en le proposant sous la forme de crostinis.
Rétroliens/Pings