La cérémonie du World’s 50 Best Restaurants, qui élit chaque année le meilleur restaurant du monde avait lieu cette année à Anvers, mardi dernier. Si tout le monde n’avait pas pu faire le déplacement, 170 chefs de plus de 20 pays différents et 175 médias internationaux étaient attendus dans la ville portuaire belge.
Au cours de cette grand messe des foodies du monde entier, c’est le Noma de René Redzepi à Copenhague, récompensé récemment d’une troisième étoile au guide Michelin, qui a été élu meilleur restaurant du monde au très influent, mais aussi critiqué, classement des World’s 50 Best Restaurants.
Il succède au chef italo-argentin Mauro Colagreco, du Mirazur à Menton, récompensé à Singapour en 2019, et qui fait désormais partie des « Best of the Best » et disparaît du classement.
Le Danemark et l’Espagne en tête
Dans une ambiance électrique, celle de la joie des retrouvailles après des mois de pandémie et une année 2020 privée de classement, Redzepi a décroché son cinquième titre (2010, 2011, 2012 et 2014) en montant sur scène avec toute son équipe. Plus tard, pendant la conférence de presse, le chef danois a insisté sur les raisons de son succès: « J’ai 79 secrets et ils s’appellent Anna, Kenneth, Peter… Si nous sommes ouverts depuis 18 ans, c’est grâce à toute une équipe! »
Une victoire sans surprise — des bruits circulaient dès les premiers jours sur la victoire inévitable du Danois — et un palmarès qui marque, encore une fois, la prédominance de la cuisine nordique et du Danemark, avec le restaurant Geranium de Rasmus Kofoed à Copenhague en deuxième position.
La troisième place revient, elle au Asador Etxebarri à Nizkaia, du chef basque Victor Arguinzoniz, qui a popularisé la cuisine à la braise dans le monde. En tout, ce ne sont pas moins de six restaurants espagnols qui sont dans le classement (Disfrutar, Mugaritz, Elkano, Diverxo et Azurmendi), dont deux dans le top 10.
Les États-Unis parviennent, eux aussi, à inscrire six restaurants dans le classement. Le premier, Cosme à New York, est en 22e position, puis suivent Benu à San Francisco, Singlethread, toujours en Californie, Atomix et Le Bernardin à New York, et enfin L’Atelier Crenn à San Francisco.
L’heure du bilan
Quelques jours plus tôt, lors de la conférence de presse de présentation de l’événement, William Drew, directeur du 50 Best, rappelait combien ces 18 derniers mois avaient été difficiles pour le secteur de l’Horeca, obligeant les chefs du monde entier à se réinventer. Pendant la cérémonie il a par ailleurs souligné la disparition de nombreux restaurants dans le monde: The Ledbury à Londres, The Test Kitchen au Cap ou encore Relae à Copenhague, pour ne citer qu’eux.
CEO de William Reed (qui possède le 50 Best), Charles Reed a aussi évoqué en conférence de presse le « Recovery program » mis en place par le 50 Best pour aider le secteur. Ils ont ainsi récolté 1,29 millions de dollars, en proposant des expériences gastronomiques inédites via des ventes aux enchères et la publication d’un livre de cuisine.
Besoin d’un changement radical
Toujours pendant la conférence de presse, le chef Mauro Colagreco a expliqué ce qu’a signifié pour lui ces quasi deux années d’arrêt. « On doit tout repenser! », a-t-il résumé. La veille, lors des 50 Best Talks, Daniel Humm, le chef du Eleven Madison Park à New-York réfléchissait, lui aussi, au futur. Selon le chef suisse, dont l’annonce, il y a quelques mois, de transformer son adresse de Manhattan en restaurant végétarien avait fait grand bruit, « il est trop tard. On ne peut plus parler de durabilité. Nous avons besoin d’un changement radical. Nous ne sommes pas contre la viande, mais nous sommes pro planète!»
Pour lui, il ne suffit plus de s’approvisionner chez des producteurs locaux pour bien faire… Une réflexion sur le même thème portée par l’artiste et food designer Adelaide Lala Tam, originaire de Hong Kong mais basée à Rotterdam, invitée à participer aux San Pellegrino Food Meets Talent. La jeune femme, qui questionne nos choix alimentaires, a définitivement marqué les esprits avec son projet 0,9 grammes de laiton. Une machine qui vend des trombones réalisés avec des balles utilisées pour tuer des bovins dans les abattoirs… En interagissant avec la machine, les acheteurs l’apprennent et repartent avec un souvenir constant de la mort de l’animal. Dans un autre projet, elle a adopté une vache ,qu’elle a appelée Romie ,et dont elle documente la vie dans les moindres détails jusqu’à sa mort… Difficile de rester insensible.
Bien-être au travail
Autre thème important évoqué pendant le 50 Best, le bien-être au travail dans l’Horeca, un millieu où les employés sont fortement soumis au stress. Lors des 50 Best Talks, Kris Hall, fondateur en mai 2019 du « Burnt Chef Project » en Grande-Bretagne, insistait ainsi sur le fait que quatre employés sur cinq du secteur ont souffert d’un problème de santé mentale pendant leur carrière… Ce chiffre explique peut-être en partie les difficultés de plus en plus importantes — et ce dans le monde entier — pour trouver du personnel qualifié motivé à travailler.
Il est important d’investir dans le bien-être de son personnel, comme l’a confirmé Daniel Humm, convaincu qu’il faut que les restaurants augmentent leurs prix pour offrir de meilleures conditions de travail. Montée sur scène avec René Redzepi pour recevoir le prix du meilleur restaurant du monde, une de ses collaboratrices l’a remercié de faire du Noma « le meilleur endroit du monde pour travailler ». Peu après, lors de la conférence de presse, le chef danois lui a répondu: « Nous ne sommes pas le meilleur endroit du monde pour travailler. Mais chaque jour, je vais au travail en essayant de faire de mon mieux. Pendant des années, je n’ai pas fait ça. Il y a eu des périodes où je ne pouvais pas me contrôler. Je me haïssais… ». Le chef qui hurle en cuisine n’est définitivement plus le modèle à suivre…
Mais ce qui a beaucoup marqué les esprits pendant ce World’s 50 Best, c’est aussi comment la Flandre a martelé devant les journalistes du monde entier la force de son territoire, en oubliant les autres régions et donc au détriment de la promotion de la Belgique dans son ensemble. Le fédéralisme belge et l’autonomie des régions notamment sur les questions touristiques, n’est évidemment pas étrangère à tout ça.
Avouons que la Flandre a vraiment investit dans sa gastronomie (cf. sous-papier), en attirant des événements culinaires à portée internationale, ou avec ce projet de centre culinaire à Anvers… Un investissement qui semble payer dans le world’s 50 Best, puisque les trois chefs belges présents dans le classement son flamands! Peter Goossens (36e), Nick Bril (66e) et Willem Hiele (77e).
Je pose ça ici. Sans remettre en question ce choix, on s’étonne quand même qu’aucun chef francophone ne soit présent dans le classement. Qu’un restaurant comme Bon Bon à Bruxelles ou un L’Air du Temps à Liernu ne soit même pas dans le top 100 est pour le moins étonnant! A quand aussi un investissement de la région bruxelloise ou wallonne dans notre gastronomie?
La Flandre investit dans sa gastronomie
Si les informations concernant le deal financier qui a présidé à la venue du World’s 50 Best à Anvers restent confidentielles — tout juste sait-on que Visit Flanders et la ville d’Anvers ont partagé les frais à 50/50 —, il est clair que les montants sont substantiels et que la Flandre a décidé de faire un gros coup. Espérant s’imposer comme la nouvelle destination gastronomique internationale, comme ont su le faire, avant elle, la Catalogne, le Pays Basque espagnol ou la Scandinavie.
Greet Gosseye, nouvelle responsable de l’équipe en charge de la section culinaire chez Visit Flanders, dévoile juste que c’est le 50 Best qui, après avoir fait un tour de Flandre, a choisi Anvers comme ville d’accueil. Il est vrai que la ville portuaire belge ne manque pas d’atouts, avec onze restaurants étoilés, dont le nouveau trois étoiles belge Zilte du chef Viki Geunes. Une ville qui devrait de plus bientôt compter un autre trois macarons Michelin, avec l’ouverture, ce 5 octobre à l’hôtel Botanic Sanctuary, du Hertog Jan de Gert de Mangeleer et Joachim Boudens, autrefois situé à Bruges.
Une stratégie gastronomique globale
Selon Greet Gosseye, la gastronomie est l’une des six thématiques choisies par Visit Flanders dans sa nouvelle stratégie touristique, car 40% des voyageurs tiennent comptent de l’intérêt gastronomique d’une ville lorsqu’ils choisissent leur prochaine destination.
La responsable détaille les plans de Visit Flanders: « Faire venir le 50 Best, ça fait partie d’une stratégie plus globale autour de la tenue d’événements gastronomiques à portée internationale en Flandre. Comme le 6e Forum mondial de l’Organisation mondiale sur le tourisme de gastronomie, qui aura lieu à Bruges début novembre. Cela fait aussi partie aussi du Flanders food festival du 1er octobre au 14 novembre, avec aussi des initiatives plus locales, comme les journées portes ouvertes chez les producteurs… ou encore la mise en avant des « Jong Keukengeweld », les jeunes chefs flamands. »
Mais Visit Flanders est aussi en train de construire un Centre culinaire à Anvers, où les foodies pourront découvrir la Flandre et son héritage culinaire, mais aussi ses innovations… Un centre qui contiendra un laboratoire créatif scientifique, un jardin communautaire, une micro-brasserie, un restaurant du futur… pour offrir des expériences variées aux visiteurs.
Une stratégie de développement du tourisme gastronomique flamand bien pensée et ficelée — à quand ce même investissement du côté wallon? — mais qui, on le regrettera, pour cause de fédéralisme belge et d’autonomies régionales, laisse peu de place à une promotion de la Belgique dans son ensemble. Tandis que la communication de Visit Flanders est surtout dévolue aux tourismes international et flamand, pas vraiment au tourisme national.
Les autres prix marquants du World’s 50 Best
Parmi les récompenses qui comptent, la cheffe Dominique Crenn (Atelier Crenn, San Francisco) est « l’Icône de l’année », tandis que la Péruvienne Pía León décroche le prix de la meilleure femme cheffe pour son restaurant Kjolle à Lima. Le formidable Ikoyi de Jeremy Chan et Iré Hassan-Odukale, à Londres, reçoit, lui, le titre de restaurant à suivre. Le Borago de Rodolfo Guzmán au Chili a été récompensé par le prix du restaurant durable.
Notons aussi la « meilleure entrée de l’année » (méritée), à la 15e place, du Lido 84 des frères Camanini à Gardone Riviera en Italie.
Résultats complets sur www.theworlds50best.com.