On est le 30 septembre, place De Brouckère à Bruxelles. La 8e édition du « Dinner in the Sky » prendra bientôt fin… En attendant, on foule le tapis rouge qui mène au salon de l’hôtel Métropole, superbe palace art-déco rouvert pour l’occasion. De la terrasse, une coupe de champagne à la main, on admire la plateforme baptisée « Dinner in the Sky 2.0 ».
Au lieu d’une grande table unique pouvant accueillir 22 personnes, la nouvelle structure se compose de huit tables rondes de quatre personnes réparties autour d’une cuisine centrale, où le chef peut aller librement à la rencontre de ses invités. De quoi vivre un repas dans le ciel en mode Covid-free. Et surtout très cosy. Harnaché à son fauteuil autour d’une table dressée avec soin, on a presque l’impression d’être au restaurant… Ce jour-là, celui du chef étoilé Alain Bianchin.
Cette année, pour chasser la morosité ambiante, le « Dinner in the Sky » a décidé de faire son show. Un écran digital rend notamment hommage à l’icône belge Annie Cordy, disparue il y a peu. Des flammes jaillissent… Cette fois, on se croirait presque à Las Vegas. Mais quelques instants plus tard, une fois monté à cinquante mètres dans les airs, face à l’alignement impressionnant du boulevard Anspach, plus de doute: on est bien à Bruxelles!
Une expérience un peu magique qui donne envie de rencontrer l’un des créateurs du concept, le publicitaire David Ghysels.
S’adapter au virus ou presque
Il aime rester dans l’ombre et se faire discret. C’est d’ailleurs un homme simple que l’on retrouve, déjà attablé à la Winery Brugmann, habillé d’une veste légèrement élimée, dont le bleu fait ressortir son casque de boucles brunes. David Ghysels a le regard vif et pétillant de ceux qui ont plus d’un tour dans leur sac. C’est que le bougre a tout de même réussi à vendre son concept de repas dans les airs dans 64 pays!
Et il a su réagir rapidement face au Covid, alors que le secteur de l’événementiel est quasiment à l’arrêt depuis le printemps. « C’est ce que toute la presse internationale a cru, mais l’idée de cette nouvelle table n’est pas liée au virus!, lance-t-il, le sourire en coin. On a créé la plateforme originale en 2006. En 2008, on sortait une plateforme « Marriage in the Sky ». Et on avait de plus en plus de demandes de gens à la recherche d’une ambiance plus cocooning. Donc, en 2010, on lance cette plateforme « Lounge in the Sky », devant le palais 10 du Heysel, pour une séance photo avec les Maîtres Cuisiniers de Belgique. Elle est partie tout de suite en Arabie Saoudite! Et en 2019, la Malaisie, qui a déjà le premier modèle de table, la commande aussi. Stefan Kerkhofs, mon associé, qui était parti là-bas pour faire la formation; revient et me dit, alors qu’on est sans cesse à la recherche de nouveaux modèles: ‘On est cons! La plateforme suivante on l’a déjà!’ » 
Plusieurs plateformes de ce type ont été construites — 235000€ pièce, contre 145000€ pour la table de base… — pour quatre événements prévus en Belgique cette année: à Anvers, durant le World’s 50 Best, à Courtrai, dans le Limbourg et à Bruxelles. « Même si à cause du Covid, les deux premiers ont été annulés. »
Un projet né d’un coup de pub
« Pour le « Dinner in the Sky », les budgets de production sont énormes! Pour fêter nos dix ans, les dix plateformes autour de l’Atomium, ça nous a coûté 1,24 millions d’euros. Ici, place de Brouckère, c’était 320000€. En cette période d’incertitude totale, il faut avoir du courage en tant qu’entrepreneur! Mais on est porté par les gens. C’est du rêve, du sourire qu’on offre », s’enthousiasme David Ghysels pour ce projet fou, né à l’origine d’un coup de pub…
On est en 2004. Quelques années auparavant, le publicitaire a fondé son agence de communication « Hakuna Matata ». Il s’est spécialisé depuis peu dans le secteur de la gastronomie et reçoit une demande des Jeunes Restaurateurs d’Europe (JRE), qui veulent faire un coup médiatique pour se faire connaître. « Durant un brainstorming, une collaboratrice me parle d’un ami restaurateur qui a eu l’idée d’un dîner suspendu. D’abord, je me dis que ce n’est pas mon truc, les grues, pas mon métier. Mais je reçois de plus en plus de demandes de sociétés qui veulent célébrer un événement. Le copain restaurateur me montre des plans: une table de 24 places où on est attachés avec un baudrier au crochet d’une grue. Il me dit que j’en aurais pour 5000€ max. J’ai lu Benoît Brisefer et la patrouille des Castors, alors je dis: Allons-y! Mais très vite, je me rends compte que ça va pas être de la rigolade… »
Un temps, Ghysels pense même tout arrêter. Mais les JRE le relancent. Quelqu’un lui conseille d’aller voir une boîte dans le Limbourg, Fun Group, « qui soulève des caisses à savon sur des événements ». « Je leur envoie un mail avec mon dessin. Le mec m’appelle dans l’après-midi. Il est méfiant; il s’est déjà fait piquer des idées par Endemol. Il me toise. C’est qui ce fransquillon de Bruxelles? Mais très vite Stefan Kerkhofs me dit OK. Ils avaient, eux aussi, un projet appelé ‘Dinner in the Sky’… » Le Flamand est toujours son associé aujourd’hui. 
Quelques bonnes fées
Ghysels investit 12000€. Et, le 24 avril 2006, après quatre mois de travail, la table est enfin, installée à côté du Mess, boulevard Louis Schmidt à Etterbeek. « Le nom, la cuisine au centre c’est Stefan; les sièges autour de la table, les chefs connus, c’est moi. J’étais leur premier client et ils avaient bien l’intention d’en faire un business. À l’époque, j’avais juste fait ça pour les Jeunes Restaurateurs d’Europe. J’avais eu la présence d’esprit de leur demander de revêtir leur veste et leur toque et, grâce à Stefan qui avait contacté Reuters, les images ont fait le tour du monde… », se souvient David Ghysels. Au même moment, dans son classement des dix restaurants les plus originaux du monde, Forbes Magazine place le « Dinner in the Sky » aux côtés d’El Bulli ou du Fat Duck!
L’entrepreneur belge aime citer les autres « bonnes fées » qui ont fait le succès du projet. Dont un certain trois étoiles français. « Fin 2006, une agence événementielle d’Amiens souhaite organiser un ‘Dinner in the Sky’ en face de la cathédrale. Ils choisissent comme chef Alain Passard, qui me dit: ‘Tu te rends pas compte, ça, c’est la cuisine vérité. T’es à poil devant les clients, tu dois tout faire. Ça, c’est la cuisine que j’aime!’ C’est lui qui nous a ouvert les portes en France. À tel point que le magazine Cuisine créative m’appelle pour organiser un dîner au jardin des Tuileries. Un événement de quatre jours avec dix chefs et 28 étoiles. Ils étaient tous là: Passard, Veyrat, Alléno… » Tandis que le prince Albert de Monaco fait appel aux petits Belges pour célébrer ses 5 ans d’accession au trône avec Joël Robuchon aux fourneaux!
Ces événements très médiatisés attirent l’attention un peu partout. « Je recevais un mail toutes les secondes de Nouvelle-Zélande, du Japon, d’Inde… Mais je n’ai pas tout de suite senti l’opportunité business. On a commencé par louer la table, puis on en a vendu une première à un Allemand. C’est là qu’on a créé une société avec Stefan. On vendait la table, une formation et la licence de la marque, tout en gardant la propriété de celle-ci », explique Ghysels, qui n’a donc rien à voir avec l’organisation des événements à l’étranger, même s’il veille toujours un peu au grain.
Dinner in the Sky bruxellois
Quant aux événements bruxellois, organisés en propre cette fois, c’est grâce à la Ville de Bruxelles et à son collaborateur Michaël Chiche qu’ils sont nés. « En 2013, arrive Brusselicious et Philippe Close me dit que ce serait chouette de participer, mais qu’ils n’ont pas les budgets pour louer la table… Je laisse tomber, mais Michaël Chiche, qui faisait son stage chez Hakuna Matata, insiste pour que nous produisions nous-mêmes l’événement. On a démarré par quatre lieux bruxellois, en changeant toutes les semaines pendant un mois. Michel Troisgros avait été invité, mais il y avait aussi Pierre Wynants et, déjà, les Bruxellois d’aujourd’hui: Lionel Rigolet, Yves Mattagne, David Martin, Luigi Ciciriello, Giovanni Bruno, Pascal Devalkeneer… »
Ghysels pensait ne faire qu’une année mais Brusselicious a duré trois ans… Et aujourd’hui, on en est à la 8e édition…
Mais à 55 ans, cet entrepreneur à succès réserve encore des surprises. Après avoir lancé il y a un an le concept mono-produit Gaufres and Waffles (cf. Quid du 12/10/2019) avec le chef Yves Mattagne et son fils Sébastien, David Ghysels a un autre projet d’envergure en tête. « Avec ‘Dinner in the sky’, ce qui m’amuse, ce n’est pas l’attraction, mais la marque. Et elle est forte. Quand tu réfléchis, il n’y a pas de marque internationale de restaurants gastronomiques. » Il ouvre son Mac et poursuit. « Ce projet sur l’eau, c’est un restaurant fixe de 80 places tout en verre, avec trois niveaux d’expérience dans le vide… et sans cette horrible grue. Il y a deux ans, on avait signé pour Dubaï, puis tout s’est arrêté… »
Mais ce fils d’artistes — son père est un sculpteur belge reconnu et, avec sa mère d’origine arménienne, ils possèdent la plus belle collection au monde de bijoux ethnographiques — frustré par le design actuel des plateformes compte bien voir se réaliser ce projet qu’il a lui-même dessiné en s’inspirant d’un palais stambouliote. « Ça sortira un jour et ça fera plein de petits… On a toujours fait des blagues belges jusqu’à présent! Ce serait bien de finir sur quelque chose d’un peu sérieux », conclut-il en riant!
Renseignements: