Marquée par les traditionnelles agapes, la fin d’année n’est a priori pas propice à la mesure. Pourtant, certains chefs tentent d’appliquer leur philosophie y compris durant les fêtes.

Rares sont les restaurants gastronomiques à accueillir des clients pour les réveillons. Les chefs et leur personnel profitent souvent de ces quelques jours où les gens préfèrent passer du temps en famille pour prendre un repos bien mérité. Le prix prohibitif des menus des quelques adresses ouvertes est de toute façon souvent dissuasif.

Mais lorsqu’en plus, on souhaite ajouter une dimension durable aux ripailles de fin d’année, trouver la table ad hoc s’avère quasi impossible… En cette période, pas facile en effet de faire l’impasse sur les produits de luxe, pas toujours au diapason des préoccupations environnementales. Pourtant, quelques chefs, qui mettent en pratique toute l’année une philosophie de cuisine durable, apportent des solutions…

© De Vijf Seizoenen

Ode aux producteurs locaux

S’il ferme sa Grappe d’or à Torgny à Noël et au Nouvel An, Clément Petitjean a concocté pour les fêtes un menu 5 serv. à emporter (67€) faisant la part belle aux producteurs locaux. Le Gaumais y travaille notamment la truite du Fourneau Marchand à Étalle, à côté de chez lui, qu’il prépare comme un saumon en bellevue.

« Les chefs doivent être une vitrine pour les producteurs. »

Clément Petitjean

« Nous travaillons avec des produits locaux toute l’année et pendant les fêtes, j’essaye de trouver un compromis entre produits nobles, locaux et durables », explique Petitjean, conscient de devoir aussi faire plaisir à ses clients. Pas facile, ainsi, de se passer de coquilles Saint-Jacques ou de homard dans son menu festif — proposés tout de même avec des légumes de ses maraîchers ou de son jardin. Mais pour le reste, on reste dans du local, avec cette pintade fermière de la coopérative Coq des Prés farcie et gnocchis de touffaye (sorte de potée gaumaise). 

© La Grappe d’or

C’est dans son tout nouveau Victor, bistrot ouvert il y a quelques mois à Arlon, que Clément Petitjean passera le Nouvel An, en associant ses deux équipes. Au menu « Victor vs Grappe d’or » (81€), mousse de jambon d’Ardenne affiné par Murielle Courtois à Bastogne, épaule d’agneau de la Chèvrerie du Hayon dans le Luxembourg belge, foie gras poêlé de la Ferme de la Roussette à Sommethonne, filet de biche Wellington… 

« Pour moi, les produits locaux, c’est la Belgique mais aussi les frontières autour de nous. Au Victor, on est sur Arlon. On a donc pas mal de légumes ou de salaisons du Luxembourg et de la Lorraine française », raconte le chef étoilé, qui affiche au quotidien 80 à 90% de matière première locale à sa carte. « Les gens viennent aussi chez moi pour les produits locaux. Mais travailler local est plus compliqué qu’avec une centrale d’achat. L’artisan n’a pas toujours le temps de te répondre, de te livrer… Avant, je me déplaçais tous les mercredis pour rencontrer mes producteurs. Grâce au Réseau Solidairement, qui me permet de commander en ligne chez une trentaine de producteurs, je gagne du temps. Les produits locaux, c’est aussi plus cher que de la merde chez Metro! L’agneau de Nouvelle-Zélande, par exemple, est moins cher que l’agneau belge. Mais derrière le produit, il y a quelqu’un que tu connais et dont tu as envie de valoriser au mieux la philosophie. Les chefs doivent être une vitrine pour les producteurs. »

© La Grappe d’or

Ambassadeur North Sea Chef, Petitjean met aussi un point d’honneur à cuisiner des poissons de la mer du Nord. C’est ainsi du merlan qui sert à réaliser le fish and chips à la carte du Victor.

En mode végétal et zéro déchet

Lorsqu’on connaît le coût environnemental de la production de viande, la cuisine végétarienne et/ou végétalienne est — n’en déplaise à certains — une cuisine d’avenir. Et chez Humus & Hortense, le restaurant végétal de Nicolas Decloedt près de la place Flagey à Bruxelles, on aurait tort d’associer les mots « privations » et « punitions » à une telle perspective, tant le chef est créatif et sait insuffler de la gourmandise à tout ce qu’il touche.

Lui aussi fermé pendant les réveillons, le restaurant bruxellois propose toutefois à sa clientèle un menu 4 serv. à 62€ à emporter, à décliner en version végé ou vegan. Avec du kimchi maison au chou pointu et aux herbes, avec une crème de beurre noisette. De la betterave rouge confite au four, crème de fromage blanc, fruits rouges en pickles. Et du céleri-rave rôti laqué au jus de légumes, baies de cornouiller fermentées et champignons sauvages des Ardennes. 

« On ne fait rien de plus que ce que l’on fait toute l’année, car j’estime que nous allons déjà au bout des choses. Nous pratiquons une cuisine végétale avec 100% de produits locaux, car on veut rendre hommage aux producteurs belges. Pour notre menu spécial réveillons, nos légumes proviennent de chez Dries Delanote du Monde des Mille Couleurs à Ypres, le pain vient de chez Charli et le chocolat vient de chez Van Dender à Bruxelles. Je travaille aussi avec la fromagerie Chèvre-Feuille, la ferme Henin pour le beurre et Graines de curieux dans la province de Namur pour le sarrasin », détaille le chef flamand.

« Tous ceux qui viennent chez nous se rendent compte qu’ils n’ont pas besoin de la viande ou du poisson pour se régaler. » 
Nicolas Decloedt

Pour accompagner ses plats, son épouse Caroline Baerten a par ailleurs sélectionné des vins nature, mais aussi un choix de cocktails botaniques, avec ou sans alcool, réalisés dans un esprit zéro déchet, à partir d’infusions ou de macérations de parties de fruits, légumes ou aromatiques n’ayant pas trouvé leur place dans les assiettes.

© Humus & Hortense

Fermentations et cueillette

Pour Decloedt, végé et fêtes peuvent parfaitement rimer. « Tous les gens qui viennent chez nous se rendent compte qu’ils n’ont pas besoin de viande ou de poisson pour se régaler », se réjouit-il. Précisant que sa clientèle compte de nombreux omnivores avides de découvrir une cuisine végétarienne gastronomique. Pour y parvenir, le chef utilise notamment les fermentations pour apporter de la profondeur et de l’umami à ses créations. « Avec la fermentation, on n’invente rien! On remet en valeur des techniques ancestrales pour les rendre contemporaines », explique-t-il.

Une philosophie qu’il partage avec Jonas Haegeman, chef du Vijf Seizoenen à Brakel. « Quand ma soeur Laurence et moi avons repris la brasserie de mes parents il y a dix ans, on a voulu proposer une cuisine plus gastronomique, mais aussi plus saine. Mais on n’apprend pas ça dans les écoles de cuisine en Belgique, où l’enseignement est surtout technique. Mais j’ai ensuite appris la cuisine végétale auprès de Frank Fol (star en Flandre, surnommé « chef des légumes », NdlR). J’ai également été nourri par les principes de la cuisine macrobiotique que pratiquaient mes grands-parents », raconte le jeune chef de 35 ans.

© De Vijf Seizoenen

Pour Haegeman, cuisiner sainement, c’est d’abord mettre le légume au centre de l’assiette. « Dans la cuisine classique française, on commençait par la viande, avant de penser aux garnitures… Nous ne sommes pas des activistes du climat, mais nous préférons la cuisine légère et saine. Cela signifie ne pas manger beaucoup de viande ou de poisson. » Mais manger sainement, c’est aussi manger local, selon lui. « Nos légumes viennent des fermes aux alentours. On fait avec ce qu’ils récoltent et la saison. Mais, honnêtement, en hiver, c’est plus difficile. On est à 60% de produits locaux, alors qu’en été, cela peut atteindre les 100%. »

« On n’essaye pas à tout prix d’être durable mais notre façon de cuisiner est durable. C’est comme ça que la cuisine devrait être. »
Jonas Haegeman

Pour parer aux difficultés hivernales dans la variété des assiettes, Jonas et sa soeur ont mis en place différentes stratégies. Rien ne se perd, tout se crée avec le céleri-rave, dont il font frire les racines ou utilisent la peau et les feuilles pour réaliser des bouillons. Ils sont également adeptes des conserves. « En saison, on fait fermenter les peaux des asperges, que l’on glisse dans un délicieux beurre blanc, s’enthousiasme Jonas Haegeman. Ma soeur est aussi herboriste. On cueille donc beaucoup d’herbes locales, que l’on fait sécher et que l’on utilise durant l’hiver pour donner de la saveur aux plats. »

© De Vijf Seizoenen

Si De Vijf Seizoenen propose, lui aussi, un menu à emporter à ses clients, le restaurant sera également ouvert les 24 et 31 décembre à midi. Au menu, coquilles Saint-Jacques et chou-rave; sole, courge et tomates-cerises fermentées; et faisan, risotto d’orge et champignons des bois. Ici aussi, le chef a dû faire quelques concessions pour plaire au plus grand nombre…

© De Vijf Seizoenen

Preuve que les mentalités doivent encore évoluer pour que l’on puisse dissocier fêtes et surconsommation, en contradiction avec les nouveaux impératifs environnementaux et sociétaux.