On nous l’avait malmenée, corrompue, volée, sacrifiée sur l’autel du fast breakfast à l’américaine dans les diners et plus encore dans les motels US pouraves. Où, au petit-déjeuner, on est invité à cuire soi-même sa Belgian Waffle dans un fer rond, avec une pâte qui tient plus de la crêpe ou plutôt du pancake. Godverdoemme! Et pour masquer son goût peu flatteur, pas d’autre choix que de la recouvrir de sirop dégoulinant, même pas d’érable le plus souvent…

Mais il ne faut pas aller chercher si loin de quoi s’offusquer. Le centre-ville de Bruxelles est truffé d’échoppes à touristes où la gaufre de Bruxelles est insipide et où on peine à la distinguer sous une myriade de garnitures de qualité douteuse.

Photo Bernard Demoulin

« [À Bruxelles,] la plupart des gaufres vendues sont des gaufres congelées ou des gaufres à la levure chimique. La pâte monte directement dans le gaufrier, mais on n’a pas le croustillant, la couleur d’une vraie gaufre de Bruxelles! », se désole Yves Mattagne. Le chef doublement étoilé du Sea Grill est l’âme créative d’un nouveau concept appelé « Gaufres & Waffles », dont les co-fondateurs sont son fils, Sébastien Mattagne, en charge de l’opérationnel, et Michael Chiche, responsable du marketing et de la communication. Tandis que David Ghysels (créateur du concept « Dinner in the Sky »), gère la société et s’occupe du développement à l’étranger.

Ouverte le 6 septembre dernier dans la Galerie du Roi, en plein coeur de la capitale, « Gaufres & Waffles » entend rendre ses lettres de noblesse à la gaufre de Bruxelles.

Réinventer la gaufre

L’idée est partie d’une volonté de travailler la gaufre de Bruxelles en version salée. « Il y a plus de 20 ans, j’ai fait une gaufre salée aux algues et citron qui accompagnait une recette avec du caviar. Puis j’ai continué à décliner la gaufre de Bruxelles en noir, en jaune, en rouge, pour faire un concept belge au Sea Grill. Tout le monde a adoré cette gaufre. Mon fils et ses associés sont venus vers moi en me disant que ce serait super de travailler la gaufre salée en monoproduit », raconte Yves Mattagne. Son fils Sébastien enchaîne: « On ne voulait pas surfer sur la belgitude mais remettre en valeur un produit qui a complètement été délaissé dans le centre de Bruxelles. On voulait que les gens mangent sur place ou en take away, sans couverts, comme la vraie gaufre de Bruxelles à la base. »

Mais ce qui distingue cette gaufre, c’est son anatomie particulière. Soit une face A classique, avec vingt-quatre petits carrés, et une face B inédite, avec six grands carrés plus profonds bordés d’une bande de quatre petits carrés. « On a essayé de garnir des gaufres classiques mais la garniture tombait tout le temps », explique Yves Mattagne. « Nous étions tous dans la cuisine, on dessinait et puis on a pris un couteau et on a aplati les carrés. On a remarqué que ça tenait bien mieux », ajoute Sébastien Mattagne. « Il fallait qu’on puisse manger la gaufre et ses garnitures debout. J’ai donc demandé à notre fournisseur de gaufrier HVD s’il pouvait nous fabriquer un moule spécial. Mais j’ai voulu garder la bordure de quatre petits carrés pour qu’on reconnaisse absolument la gaufre de Bruxelles », insiste le chef. Une idée assez géniale!

La gaufre cannibale au tartare de boeuf.

La patte Yves Mattagne

Au menu de « Gaufres & Waffles », six gaufres salées et cinq sucrées. Où l’on retrouve bien entendu la gaufre de Bruxelles sucrée originale réalisée dans un moule classique. Et ce qui plaît dès le départ, c’est la qualité de celle-ci, servie dans son plus simple appareil, avec juste un peu de sucre glace. Elle est joliment dorée, aérienne et croustillante comme il se doit. Préparée tous les jours dans la petite cuisine au sous-sol, elle a surtout ce bon petit goût de levain.

« On a d’abord travaillé sur la gaufre pour garder l’authenticité. On a fait une recette de gaufre à l’ancienne, avec des produits de première qualité, des oeufs frais, de la farine bio du moulin Morreels dans le Limbourg, du beurre frais, du levain, de l’eau, du sel et du sucre. La vraie frite de Bruxelles, c’est avec de la graisse de rognons. La vraie gaufre de Bruxelles, c’est comme nous la faisons maintenant! », lance Yves Mattagne.

Mais on retrouve la patte du chef doublement étoilé dans les garnitures originales. « C’était la priorité: amener mon style de cuisine et de l’originalité sur les gaufres. On a pris la gaufre bruxelloise et on l’a fait voyager. On a le Mexique, avec la gaufre poulet. L’Asie, avec le foie gras, le croque-monsieur franco-belge, la Scandinavie, avec le saumon, la veggie thaï… » « Et puis la tartare, qui s’inspire du toast cannibale bruxellois. Tu adores l’américain en plus! », ajoute de manière complice Sébastien.

Ce qui étonne aussi dans ce fast-food, c’est la complexité de certaines garnitures que l’on ose qualifier de gastronomiques. La « Duck + foie gras » est ainsi composée de canard laqué, de dés de foie gras, de nougatine au sésame, de sauce plum – un secret bien gardé du chef — de cacahuètes, de piment rouge, de concombre, d’oignon vert, de coriandre, et de pétales de tagètes.

La gaufre « Duck & foie gras ». ©Photos Bernard Demoulin

Un concept bien ficelé 

Si les Mattagne planchent encore à l’amélioration du moule à gaufre, qu’ils sont en train de faire breveter, ils pensent déjà à exporter le concept… « Nous serons présents au Wolf (le nouveau marché gourmand du centre-ville, NdlR) début décembre ,où nous proposerons entre autres nos cornets de carrés de gaufre. Et nous sommes en négociation pour l’aéroport », annonce Sébastien Mattagne.

Alors qu’Yves Mattagne rêve déjà à la plus grande liberté que lui offrirait une adresse en Asie. Un investisseur taïwanais semble d’ailleurs intéressé. « Les Asiatiques sont plus curieux et la charge salariale est moindre que chez nous. On pourrait s’amuser et proposer des gaufres à des prix plus démocratiques. Mais, bien sûr, on travaillerait avec des produits de là-bas », explique le chef.

En attendant, père et fils pensent déjà la carte de cet hiver. Ils installeront une demi-meule de raclette dans la galerie. Fromage et viande des grisons donneront le ton! Tandis que pour les fêtes, Yves Mattagne a déjà en tête une recette avec des huîtres. Ce qui n’est pas (encore) du goût de Sébastien… Qui, lui, souhaite organiser brunchs et petit-déjeuners le week-end, ainsi que des ateliers gaufre en soirée, où chacun sera libre de choisir ses garnitures.

À voir Yves Mattagne s’amuser comme un fou avec ce nouveau concept de street-food bruxellois, on en oublierait presque qu’il s’apprête bientôt à quitter pendant quatre mois son Sea Grill — le temps des travaux de rénovation — pour un projet pop up….

Envie d’y goûter?

  • Gaufres and Waffles. 6 Galerie du Roi, 1000 Bruxelles.
    Tous les jours de 11h30 à 19h.
    Prix de 5 à 16€.