On n’associe pas spontanément Québec et fromages. Sinon peut-être au fromage en grains, ce cheddar frais qu’on parsème sur les frites de la poutine nationale… Durant la période coloniale, le Québec fut en effet chargé de produire du cheddar pour la couronne britannique. Et, comme dans le reste de l’Amérique du Nord, celui-ci reste ultra-dominant. Pourtant, depuis une vingtaine d’années, les choses bougent au Québec.

 

L’exception québécoise

S’il reste bien loin des 25,9 kg dévorés par Français et par an, le Canadien est, avec 13,2 kg, un bon consommateur de fromage (derrière les 15,4 kg de son voisin américain). Même s’il mange d’abord du cheddar (31 %) et de la mozzarella (26 %) produits à échelle industrielle, contre seulement 21 % de fromages fins.

Le tableau est ceci dit très différent si l’on se concentre sur la Belle province, où nos cousins québécois goûtent de plus en plus au plaisir de déguster un beau plateau de fromages artisanaux. Un fromage désormais vu comme un produit à part entière et non un simple ingrédient à glisser dans le hamburger ou la poutine… La situation du Québec (qui fabrique près de la moitié de la production nationale, soit 225490 tonnes en 2016) est en effet totalement atypique puisque, sur les 667 fromages recensés au Canada, 447 sont fabriqués au Québec (contre 125 en Ontario voisin et seulement 65 dans le reste du pays !).

Suivant un mouvement analogue à celui que l’on peut observer en Nouvelle-Angleterre, de l’autre côté de la frontière avec les Etats-Unis, de nombreux artisans québécois passionnés se sont réappropriés leur terroir, qu’ils soient fermiers, éleveurs, viticulteurs, brasseurs, producteurs de cidres ou fromagers. Après avoir longtemps stagné autour des 90 fromageries artisanales (dont une cinquantaine de micro-fromageries, représentant moins d’1% de la production), ce chiffre est en train de repartir à la hausse, comme l’explique Olivier Laurin, du Centre d’expertise fromagère du Québec. Formé à la fabrication du fromage en France, ce jeune conseiller en transformation fromagère  accompagne en ce moment le lancement de cinq nouvelles petites fromageries.

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Le lait cru : un acte de résistance !

Un boom bienvenu après la fermeture d’une trentaine de fromageries artisanales par le ministère de l’Agriculture, des pêcheries et de l’alimentation du Québec (Mapaq) suite à la crise de la listériose en 2008. Laquelle a frappé le pays douze ans après l’autorisation de la fabrication et la commercialisation au Canada de fromages au lait cru de plus de 60 jours. Tandis que, depuis 2008, le Québec, seul, a autorisé la fabrication de fromages au lait cru de moins de 60 jours. Une première en Amérique du Nord !

Ce combat pour le lait cru aura été de longue haleine, comme s’en souvenait le chef Jean Soulard en 2014 dans les colonnes du “Soleil”: “Ce qui me reste en mémoire, c’est l’image de Luc Mailloux, à l’époque porte-parole des producteurs et importateurs de fromages au lait cru, en train de distribuer son fromage aux députés dans le très solennel hall d’honneur du Parlement du Canada, discutant, argumentant et disant à qui voulait l’entendre que personne n’allait mourir en mangeant son fromage.”

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La crise de la listériose a cependant bien failli signer l’arrêt de mort du lait cru au Québec. Dans la foulée, fin 2010, le Mapaq créait le Centre d’expertise fromagère du Québec, pour aider les petits producteurs à développer de nouveaux produits, à améliorer la qualité et la rentabilité. Mais comme l’Afsca chez nous, le Mapaq impose des conditions très strictes, poussant beaucoup de fromagers à passer du lait cru au lait thermisé. Au Québec, certaines voix accusent même l’organisme de contrôle d’être responsable du suicide de Rudy Ducreux, qui avait repris en 2009 la ferme de Luc Mailloux à Saint-Basile, près de Québec. Ce Lyonnais, qui s’était fait un nom avec son Gaulois au lait cru, estimait les contrôles trop stricts, expliquant qu’il lui aurait été plus facile de produire ses fromages en France et de les exporter vers le Québec…

Dans le contexte du CETA, la Mapaq songe cependant à assouplir les normes de production du fromage au lait cru, pour les harmoniser avec l’Europe. Même si les fromagers artisanaux québécois voient d’un mauvais œil ce Traité de libre-échange transatlantique, craignant l’arrivée massive sur leur sol de fromages étrangers moins chers.$

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En 2010, après la crise de la listéria, le ministère québécois de l’Agriculture et de l’Alimentation a créé le Centre d’expertise fromagère du Québec pour venir en aide aux petits producteurs.

Le bonheur est dans le pré

Fin février, dans le cadre du festival multipluridisciplinaire Montréal en Lumière, était organisée dans le hall du Complexe Desjardins la 11e Fête des fromages d’ici. Une vingtaine de fromagers, dont les plus réputés, et des milliers de gourmands étaient au rendez-vous. L’occasion pour les “stars” du fromage québécois de se retrouver, comme le fantasque Jean Morin de la Fromagerie du Presbytère et Marie-Chantal Houde de la Nouvelle-France. Ou encore le jeune Simon-Pierre Bolduc, à la tête de La Station, fromagerie familiale fondée à Compton dans les Cantons de l’Est en 2004, réputée pour son Alfred le Fermier au lait cru. “A l’époque, on a aussi lancé une microbrasserie. Mais on a bu plus de bière qu’on en a faite…”, plaisante le jeune homme de 33 ans. Le plus beau compliment qu’on puisse lui faire 10 ans plus tard ? “Qu’on me dise : ça goûte l’Alfred, ça ! Cela signifie que c’est un fromage unique.”

Avec 65-70000 kg annuels, la production de la Station reste ultra-artisanale, dont la moitié est écoulée en circuit court autour de Compton, notamment grâce à un magasin à la ferme. Pour gagner en qualité, Simon Pierre a réduit sa gamme, même s’il planche sur de nouveaux projets, dont des fromages ultra-frais de type faisselle, quasi inexistants au Québec, même si la demande est grandissante.

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Un cercle vertueux

Plus à l’ouest, près de Saint-Jean-sur-Richelieu, la fromagerie Au gré des champs a, elle aussi, choisi en 2000 un modèle de production artisanal. En cette fin février, il reste un peu de neige dans les pâtures. Pourtant, la trentaine de vaches brunes suisses sont dehors. Nourries au foin en hiver, ces bêtes visiblement heureuses fournissent le lait bio qui servira à fabriquer l’excellent Gré des champs (pâte durée affinée trois mois) ou le Carignan-Salière (6 mois).

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Même chose du côté de Sherbrooke à la fromagerie de la Nouvelle-France de Marie-Chantal  Houde. A l’heure de la traite, le second berger Bénédicto Desbiens explique qu’ici aussi, la centaine de brebis passent l’été aux champs et sont nourries au foin vert en hiver. S’avançant docilement dans la salle de traite, chaque brebis fournit environ 1,5 l de lait par jour, qui donnera naissance aux excellents Zacharie Cloutier et La Madelaine, deux des fromages québécois les plus réputés.

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Car il s’agit bien là d’un vrai cercle vertueux. Alors que la qualité grimpe en flèche, les Québécois sont de plus en plus fiers de leur nouveau terroir fromager. A commencer par les chefs, qui, de plus en plus, font honneur à leur carte à ces fromages artisanaux. C’est vrai dans les tables chics comme “Toqué !” de Normand Laprise à Montréal (considéré comme l’un des meilleurs restaurants du Canada) mais aussi dans les néobistrots branchés…

Faire du fromage au lait cru en Amérique du Nord est un acte de résistance contre les lobbies de l’industrie agroalimentaire…

 

Les visages du fromage québécois

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Figure de proue. Personnage haut en couleurs, Jean Morin est l’un des pionniers du fromage artisanal au Québec. A la tête de la Fromagerie du Presbytère, ouverte en 2005 à Sainte-Elizabeth-de-Warwick, à l’est de Montréal, il produit d’excellents fromages au lait de vache, dont le Louis d’or au lait cru et le Bleu d’Elizabeth, au lait thermisé.

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Résistante. Installée à Témiscamingue, à sept heures de route au nord-ouest de Montréal, Hélène Fassard s’est lancée il y a 20 ans dans la production de cheddar au lait cru à la fromagerie “Fromage au village”. Affiné 6 à 24 mois, son formidable Cru du Clocher a été intégré dans l’Arche du goût de la Fondation Slow Food pour la biodiversité.

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Renouveau. Après avoir travaillé aux côtés de Jean Morin à la Fromagerie du Presbytère, Marie-Chantal Houde s’est lancée à son tour avec son frère Jean-Paul en 2009. Formée en France, elle produit à la bergerie de La Nouvelle France à Racine, près de Sherbrooke, des fromages de brebis expressifs. Dont le formidable Zacharie Cloutier, une pâte ferme au lait cru.

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L’abbaye du Saint-Benoît-du-Lac, en bordure du lac Memphrémagog, produit une dizaine de fromages différents.

Un plateau québécois

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  • Alfred le Fermier. Affiné sur des planches de bois 8, 18 ou 24 mois, cette pâte pressée cuite bio au lait cru de vache vient de la ferme de La Station de Compton dans les Cantons-de-l’Est. Laquelle propose également un très bon Chemin Hatley (Caseus du meilleur fromage bio québécois 2016) ou une Raclette de Compton.
  • Bleu bénédictin. romage de vache au lait pasteurisé, ce sympathique bleu est l’un des rares fromages d’abbaye du Québec. Il est fabriqué par les moines de lAbbaye de Saint-Benoît-du-Lac, qui produisent également de la fontina ou du fromage en grains.
  • Cheddar de l’Ile-aux-Grues. Située sur une charmante île du Saint-Laurent, la Fromagerie de l’Ile-aux-Grues produit de bons cheddars au lait thermisé affinés 6 mois, 1 an ou 2 ans. A goûter également, le Riopelle de l’Isle, une pâte molle à croûte fleurie au lait de vache thermisé.
  • Clos-des-Roches. Fromage fermier au lait cru bio, cette petite merveille lancée par la Fromagerie des Grondines, entre Trois-Rivères et Québec, est une belle pâte pressée et cuite et à croûte lavée de type beaufort ou gruyère. Affinage : 8 à 14 mois.
  • Cru du clocher. Un des rares cheddars au lait cru du Québec, produit par la Fromagerie Au Village, au nord-ouest du Québec, à la frontière avec l’Ontario. Sa version réserve deux ans est un fromage de caractère tout en subtilité. Et pour les fans de poutine, on trouvera aussi ici du fromage en grains (cheddar non affiné).
  • Le Gré des champs. Installée sur 65 ha, la ferme Au gré des champs produit depuis 2000 parmi les meilleurs fromages québécois, à partir du lait cru bio du petit troupeau d’une trentaine de belles vaches brunes suisses. Le fromage-titre est une pâte ferme affinée 3 mois pleine de saveurs. Mais ici, tout est bon : Carignan-Salières, Frère chasseur ou encore le Péningouin, premier fromage au lait cru de moins de 60 jours d’Amérique du Nord.
  • Louis d’or. Disponible en versions 6 mois et 2 ans (Caseus 2016 du meilleur fromage au lait cru), c’est la Rolls de la Fromagerie du Presbytère à Sainte-Elizabeth de Warwick. Soit une magnifique meule de 40 kg de lait cru de vache, à croûte lavée, pâte ferme pressée cuite. La fromagerie de Jean Morin est également célèbre pour son Bleu d’Elizabeth ou son Taliah (Caseus d’or 2016).
  • Maurice O’Bready. Ce crotin de chèvre est produit par la Fromagerie La Maison grise à Wotton, au nord de Sherbrooke, qui produit une dizaine de fromages à partir du lait de ses propres chèvres. On les trouve à Montréal au Marché Jean-Talon et à la fromagerie Hamel.
  • Tomme de Kamouraska. Affinée en cave naturelle minimum quatre mois, cette tomme de brebis au lait cru délicate est la première création, en 2004, de Pascal-André Bisson (fromager) et Rachel White (bergère), de la fromagerie Le Mouton blanc, qui vendent également la viande de leurs agneaux.
  • Tomme du Maréchal. Cette tomme au lait cru de 75 chèvres alpines vieillie six mois est une création de la Chèvrerie du Buckland, au sud de Québec. Cette toute petite production artisanale se trouve notamment au marché Jean-Talon et à la fromagerie Hamel à Montréal.
  • Zacharie Cloutier. Lancée par Marie-Chantale Houde à Racine, en Estrie, la Fromagerie de la Nouvelle France produit d’excellents fromages fermiers au lait de brebis. Outre le multi-primé Zacharie Cloutier (une pâte ferme au lait cru affinée 6 mois ou un an), on pourra également essayer La Madelaine (Caseus d’argent 2016), une pâte molle au lait pasteurisé vieillie un à deux mois.

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=> Rens. : http://fromagesdici.com.

 

Où faire son plateau de fromages?

Quelques adresses à Montréal où trouver de bons fromages artisanaux: Marché Atwater, Marché Jean-Talon (où l’on trouve notamment la petite fromagerie « La moutonnière », juste en face de « Qui lait cru »), Le marché des saveurs du Québec (à Jean-Talon), fromagerie Hamel (plusieurs adresses, dont à Jean-Talon et Atwater) ou « Bleu Persillé »  (sur le plateau).

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