Lundi 5 décembre, se déroulait à Tain-l’Hermitage le 8e championnat du monde de pâté-croûte, réunissant dans son jury une belle brochette de MOF. Une occasion unique de causer avec eux du retour, ou non, de la cuisine française classique…
Pâté en croûte, lièvre à la royale et Cie
L’année dernière, le guide Michelin offrait un second macaron à Eric Fernez “D’Eugénie à Emilie”. Cette année, Karen Torosyan décrochait une étoile à la “Bozar Brasserie” ainsi que le prix de meilleur artisan-cuisinier dans le Gault&Millau. Chef du formidable bistrot “L’assiette” à Paris, David Rathgeber est le nouveau chouchou de France Télévisions (on l’a vu récemment dans “C à vous”). Le cupcake est aujourd’hui ringard, détrôné par l’éclair ou le Paris-Brest… Autant d’indices qui montrent qu’après des années dominées par la créativité à tous crins, l’air du temps gastronomique est à un retour au classicisme à la française.
Un amour de pâté
Organisé depuis huit ans à Tain-l’Hermitage, dans la Drôme, le championnat du monde de pâté-croûte (cf. ci-dessous) va en ce sens. L’un de ses initiateurs, Mathieu Viannay, meilleur ouvrier de France (MOF) doublement étoilé qui revisite avec brio le patrimoine lyonnais à la mythique “Mère Brazier”, se souvient qu’il y a encore quelques années, ce symbole de la tradition charcutière française avait quasiment disparu des cartes, même dans les bouchons.
Aujourd’hui, que ce soit à “La Mère Brazier”, au “Relais Bernard Loiseau”** en Bourgogne ou à “La meunière”, le bouchon lyonnais d’Olivier Canal, le repas s’ouvre sur une tranche de pâté en croûte…
Et il n’y a pas que les Français qui s’y mettent. En 2014, c’est ainsi qu’un Japonais, Hideyuki Kawamura (de la “Maison Lameloise”*** à Chagny), décrochait le titre de champion du monde, suivi l’année dernière par le plus Bruxellois des Arméniens, Karen Torosyan. Tandis que la finale 2016 accueillait, ce lundi, un candidat américain et un Japonais, issus de sélections régionales à New York et en Asie.
Le retour des classiques
Et le pâté en croûte a fait des émules. On redécouvre ainsi aujourd’hui le lièvre à la royale, plat tout aussi mythique de la gastronomie française auquel “Libération” consacrait un long article il y a quelques jours et qui, lui aussi, a son championnat du monde… Sans même parler d’un “grand format” du “Monde”, toujours très partagé sur les réseaux sociaux, qui, il y a un an, prophétisait “le retour de la cuisine bourgeoise”.
Tout semble réuni pour parler d’un véritable retour en grâce de la grande cuisine française. Mais avait-elle disparu (en France tout du moins) ? Quand on discute avec les chefs réunis dans le jury du championnat du monde de pâté-croûte (avec une densité de MOF au mètre carré impressionnante), les avis sont plus contrastés. Président du jury, Régis Marcon (trois étoiles à Saint-Bonnet-le-Froid en Auvergne) préfère plutôt parler d’une “évolution dans la modernité.”
Besoin de se rassurer
MOF et deux étoiles au restaurant “Le 9e Art” à Lyon, Christophe Roure est un chef créatif. Pourtant, depuis dix ans, ses clients lui font remarquer qu’il est revenu à une cuisine plus classique. “Disons qu’on travaille mieux qu’avant. Je ne suis pas classique, même si je pars de la cuisine classique. Sans elle, impossible de faire du moderne”, estime-t-il. “Face à l’industrialisation de la cuisine, on a besoin de se rassurer avec ce qui fait notre identité.” Pas question pour autant de rejeter les acquis techniques de la modernité espagnole ou la naturalité scandinave. “Mais il ne faut pas suivre ces modes, juste continuer dans ce qu’on a toujours bien fait…”
Candidat pour la seconde fois cette année au championnat du monde, David Baroche, à la tête d’un café-brasserie à Paris, se félicite, lui aussi, du regain d’intérêt pour le pâté en croûte, à la carte de son premier resto dès 2001. “C’est vrai qu’il y a un effet de mode mais je suis content, car les gens remangent un produit un peu oublié”, explique ce fils de charcutier… “En période de crise, on a besoin de retourner à des valeurs sûres, au terroir. Manger, c’est un plaisir simple, que tout le monde peut pratiquer. C’est pour ça que la cuisine bourgeoise est si réconfortante…”
Régis Marcon parle, lui aussi, des classiques comme de “valeurs sûres” et de “réconfort” face à une recette que l’on connaît. “Pourquoi ça plaît ?”, s’interroge-t-il. “Parce que c’est plus gourmand, plus simple, plus partageur. Avec la médiatisation, les émissions de télé, on a beaucoup été vers les belles photos. Dans ce concours, beaucoup de candidats ont fait primer l’esthétique. Mais moi, ce que je cherche, c’est d’abord une belle croûte, une bonne farce, un bel équilibre du gras…”
Un effet d’optique ?
Preuve ultime du retour de cette cuisine à l’ancienne, Luc Dubanchet fait partie depuis quatre ans du jury de ce championnat du monde. “La boucle est bouclée parce qu’au départ, ce n’était quand même pas sa came le pâté en croûte…”, lâche Mathieu Viannay.
Créateur du mouvement Omnivore il y a 15 ans, Dubanchet est en effet le roi des tendances culinaires en France. Né d’un père charcutier entre Lyon et Saint-Etienne, il a néanmoins été nourri au biberon par la tradition française. “Cela fait partie de mon histoire, de mon paysage culturel. Je me suis épanoui dans les restaurants bourgeois de la région lyonnaise, comme Troisgros. Je regrette que cela ait un peu disparu…”, concède-t-il. “Je n’ai pas construit Omnivore contre ce patrimoine que j’aime beaucoup. Je préfère un bon vrai classique à un faux créatif ! Je n’ai jamais aimé la cuisine d’esbroufe, de chichis.”
Le gourou de la “jeune cuisine” refuse pour autant de tirer des conclusions trop hâtives. “OK, la jeune génération a envie du frisson d’un jus de viande ou d’une pâte feuilletée. Mais ce n’est pas pour autant que l’on assiste au retour de Marianne et de toute la cuisine française. Je me méfie des retours en arrière, surtout dans des périodes de repli sur soi et de nationalisme. Il faut être très vigilant. […] C’est important d’avoir des gens comme Karen Torosyan ou David Rathgeber mais on ne peut pas rester que dans la mémoire…”
Et le champion du monde est…
Lundi, 16 h 40, Tain-l’Hermitage : la finale du 8e championnat du monde de pâté-croûte est lancée. Le premier des 12 candidats commence à trancher son pâté dans l’office de la maison Chapoutier, grande enseigne viticole qui accueille comme chaque année l’événement. Il a une demi-heure pour dresser 14 tranches, plus six coupées en huit. Les premières sont pour le jury officiel; les secondes iront aux joyeux drilles de la confrérie du pâté-croûte, qui décernent leur propre prix.
Dégustation à l’aveugle
Tout ce beau monde est réuni dans une salle annexe. Dans une ambiance bon enfant, les 23 jurés dégustent à l’aveugle un par un les 12 chefs-d’œuvre en lice, tandis que Michel Chapoutier leur fait découvrir ses nouveaux crus en hermitage, saint-joseph ou côte-rôtie… Très appliqué, le président du jury Régis Marcon va jusqu’à croquer au crayon chaque tranche de pâté !
Plus nombreux sont les chefs qui les prennent en photos. Champion du monde en titre, le Bruxellois Karen Torosyan va même jusqu’à poster ses impressions en direct sur Facebook. Pendant qu’une équipe de “Quotidien”, la nouvelle émission de Yann Barthès (ex- “Le petit journal”) se promène entre les allées pour préparer un petit sujet, que l’on imagine forcément moqueur…
Penchés sur leurs tables, les jurés doivent prendre en compte l’aspect visuel général et de la tranche, la qualité de la croûte, de la gelée, de la farce… Une fois tous les totaux effectués, les fiches seront récoltées et dépouillées par une charmante huissier de justice, qui pousse la conscience professionnelle jusqu’à déguster l’un ou l’autre morceau en cuisine…
La simplicité l’emporte
Deux heures plus tard, en présence des édiles locaux (dont Laurent Wauquiez, président de la nouvelle région Auvergne-Rhône-Alpes), le nom du champion 2016 est annoncé. Il s’agit de Jérémy Delore, chef de partie à l’“Hostellerie La ferme du poulet” à Villefranche-sur-Saône. Comme le précise Régis Marcon, le jury a été séduit par “la simplicité et la réalisation parfaite de la croûte au beurre et de la farce.”
Là où tant d’autres candidats ont misé sur le visuel, Delore s’est en effet concentré sur le goût, mariant volaille de Bresse, ris de veau, foie gras de canard et noisettes. Il est suivi sur le podium par deux membres de très grandes maisons : Chikara Yoshitomi, de “L’Ambroisie”*** à Paris, et Aymeric Buiron de “La Mère Brazier”** à Lyon. Par leur talent et leur engagement, ces trois jeunes chefs auront en tout cas participé à la remise au goût du jour d’un merveilleux classique français trop longtemps délaissé aux mains des industriels…
Je n’ai pas très bien compris l’article : Croyez vous vraiment à un retour au classicisme ou le rapport entre un concours de pÂté en croÛte et cette tendance doit-eLle prise au second degré? Merci pour voS lumières