Dans les années 2000, le Catalan fut l’un des chefs les plus influents, popularisant la gastronomie moléculaire. Depuis la fermeture de son mythique “El Bulli”, il promeut son héritage dans une série d’expositions. Dont l’une, “Notes on Creativity”, fera halte à Maastricht dès le 10 mars.

Balade à la elBulliFoundation

Ferran Adrià est-il fou ou génial ? Impossible à dire. Les deux sans doute. En tout cas, le chef catalan est totalement mégalomane. Encensé par la presse du monde entier, applaudi par ses pairs et par le guide Michelin (qui lui décerna trois étoiles), Adrià a été, grâce à son restaurant “El Bulli” de Roses, le chef le plus influent des années 2000, popularisant ce que l’on a appelé la gastronomie moléculaire. Si celle-ci est désormais tombée en disgrâce, ses techniques (cuisson sous-vide, basse température, espumas…) sont aujourd’hui utilisées dans toutes les cuisines !

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La fin de cette ère a été marquée par la fermeture d’“El Bulli” le 30 juillet 2011 (mais aussi du “Fat Duck” de l’Anglais Heston Blumenthalal, mais qui, lui, a rouvert). Depuis, Adrià n’est pas resté les bras croisés. Il s’occupe désormais de faire vivre son propre héritage. Car le chef entend bien laisser une marque dans l’histoire…

Un musée « El Bulli »

Nous faisant visiter sa “elBulliFoundation”, installée dans un ancien garage de Barcelone, le maestro s’enflamme. “Ici, il y aura une autobiographie d’“El Bulli”, un musée. On a conservé quelque 15000 documents; c’est unique dans l’univers de la gastronomie. Dans 100 ans, on comprendra encore ce que fut “El Bulli”, même si on aura oublié tous les autres restaurants !” Le chef bosse également, à la Cala Montjoi à Roses, à la transformation de son “El Bulli” original en un nouveau lieu qui entend révolutionner le concept de restaurant, entre expérimentation et exposition…

Il faut dire qu’“El Bulli” n’était pas un restaurant comme les autres… Celui-ci n’était ouvert que six mois par an, uniquement le soir, et était complet pour la saison le jour-même de l’ouverture des réservations ! Le reste de l’année, Adrià le consacrait à la création des nouvelles recettes dans son “laboratoire” à Barcelone.

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Et l’on venait des quatre coins du monde pour, non pas manger, mais vivre une expérience sensorielle, à coup de barbe à papa de poisson, d’air d’orange, de billes d’huile d’olive, de lièvre à la royale liquide… “Ce restaurant a été important car il a laissé une marque dans l’histoire mondiale…”, tranche sans fausse modestie Adrià, qui regrette cependant les nombreuses controverses liées à son utilisation massives d’additifs alimentaires pour créer ses textures magiques.

Des expositions itinérantes

Outre des activités de conseils pour l’industrie agroalimentaire ou pour l’ouverture de nouveaux restaurants (notamment ceux de son frère Albert, qui possède déjà six tables à Barcelone), Ferran Adrià travaille désormais à rendre visible au plus grand nombre sa démarche culinaire expérimentale. Et ce à travers nombre d’expositions (une dizaine jusqu’à présent) qui font le tour du monde et qui ont déjà attiré 2 millions de visiteurs ! Créée pour le “Drawing Center de New York” et légèrement réaménagée, l’exposition “Notes on Creativity” fait ainsi escale prochainement à Maastricht (cf. ci-dessous).

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Le déclic, ce fut évidemment l’invitation faite à Adrià de participer à la Documenta de Kassel en 2007 (sans rien y exposer, son restaurant de Roses étant son pavillon). C’était la première fois qu’un chef avait les honneurs du plus grand rendez-vous d’art contemporain au monde. Désormais, le Catalan n’était plus seulement un cuisinier, un artisan, il était un artiste ! Ce qui lui a ouvert de nouvelles perspectives. Même si le lien avec l’art a toujours été présent dans sa démarche. On a travaillé avec Frank Gehry, Jean Nouvel pour dessiner des restos, des cuisines, mais aussi avec des designers, des artistes…”, s’enorgueillit le Catalan.

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“Avec l’expo “Auditing the Creative Process”, on a compris qu’on pouvait décoder le principe de création et de l’innovation. On pourrait utiliser le langage de l’architecture par exemple mais je suis chef, j’utilise donc celui de la gastronomie”, explique Adrià, qui entend désormais appliquer le résultat de ses recherches sur l’innovation à d’autres domaines que la cuisine. “Albert et Ferran, c’est le meilleur des business models, que l’on étudie jusqu’à Harvard. Même si nous-même, nous ne l’avons pas vraiment compris totalement…”

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Une encyclopédie de la cuisine

A Barcelone, la “elBulliFoundation” est une véritable ruche. Partout, des panneaux retracent les moments forts de la carrière de Ferran Adrià. On le voit croqué en Simpson par Matt Groening himself, on découvre la fameuse Une du “New York Times” de 2003 sur la “Nueva Nouvelle cuisine”, qui avait fait chuter de son piédestal la gastronomie française. Tandis qu’une installation présente les photos des 1846 plats créés au “El Bulli”.

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Le chef hyperactif déambule fièrement entre ces reliques, évoquant à toute vitesse ses innombrables projets (notamment pour Disney ou pour le Cirque du Soleil à Ibiza)… Avant de s’arrêter au milieu d’une salle dans laquelle une vingtaine de jeunes gens (sur les 56 employés de la fondation) s’activent derrière leur écran à la création de la “BulliPedia”, la dernière idée folle du chef. Soit une encyclopédie culinaire en ligne, qui demandera 10 ans de travail et 20 millions d’euros de budget. Avec l’aide de scientifiques, d’historiens, d’universitaires, l’ambition est en effet de proposer une vision exhaustive et scientifique de la gastronomie, décrivant les ingrédients, les techniques, les ustensiles mais aussi l’histoire de la cuisine.

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Recherche théorique

Sur d’immenses tableaux, on découvre ainsi une classification rigoureuse, digne de Linné, de tous les éléments susceptibles d’être consommés. On peut classer les plantes de 50 façons différentes. Mais nous par exemple, contrairement à un botaniste, ça nous importe de faire la différence entre une plante sauvage et sa version cultivée… Pour comprendre, il faut organiser les choses”, explique le chef. Qui semble en effet avoir besoin de remettre de l’ordre dans toutes ces idées qui fusent dans sa tête.

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Il assume en tout cas cette envie de recherche purement théorique. C’est de connaissance dont ont besoin les chefs. Sinon, ils ne feront que répéter toujours les mêmes erreurs. Notre but, c’est de déterminer la quantité de connaissance minimale pour devenir un meilleur chef. Ensuite on partagera cela avec le monde…”

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De l’idée à l’assiette

Expo. Du 10 mars au 3 juillet, Marres (le Centre de la culture contemporaine de Maastricht) accueille l’exposition “Notes on Creativity”, légèrement retravaillée depuis sa présentation au Drawing Centre de New York. A travers des esquisses, des photos, des films mais aussi de la vaisselle et des ustensiles créés spécialement pour “El Bulli”, celle-ci entend montrer le processus créatif de Ferran Adrià. Comment, d’une idée, d’un dessin, le chef aboutissait à la création de ces centaines de plats expérimentaux (1846 au total) qui ont affolé les gastronomes du monde entier.

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Le directeur du Marres Valentijn Byvanck estime qu’Adrià a sa place parmi les artistes car sa cuisine était indissociable de l’idée de création. “Si l’on réfléchit à la cuisine, à l’innovation, on est un artiste. Peu importe qu’on n’aime ou n’aime pas, c’est la démarche qui compte…” Il souligne également une étonnante forme de synesthésie chez Adrià. “Le visuel est très important chez lui. Quand il vous explique quelque chose, il est toujours en train de dessiner. Et avant de cuisiner, il dessinait. Il dessine par exemple un carré, qui représente un champignon, et affirme qu’au moment où il dessine un plat, il en a le goût en bouche…”

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Dîner. Ferran Adrià sera présent à Maastricht le week-end du 19 mars. Le samedi 20, un dîner d’exception (1 000 € la place…) lui rendra hommage, préparé par une poignée de chefs qui ont été fortement influencés par sa cuisine moderniste, comme Jonnie Boer (“De Librije”*** à Zwolle), Sergio Herman (“The Jane”** à Anvers), Hans van Wolde (“Beluga Loves You”** à Maastricht) ou Margo Reuten (“DaVinci”**, à Maasbracht).

  • Expo “Notes on Creativity”, du 10 mars au 3 juillet au Marres à Maastricht.
    Rens. : www.marres.org.