Le 21 mai prochain, la Comédie française proposera une rencontre littéraire et gourmande entre le chef trois étoiles Alain Passard qui, il y a 10 ans, tournait le dos à la viande pour se concentrer sur le légume, et le comédien Guillaume Gallienne. Nous les avions rencontrés lors du festival Paris des Chefs.

Le 17 octobre dernier, la Comédie Française lançait son cycle “Lecture des sens”, proposant la rencontre entre l’univers de la littérature et celui de la gastronomie à travers des duos de comédiens et de personnalités de la cuisine. Laurent Stocker et le sommelier Philippe Faure-Brac (du “Bistrot du sommelier” à Paris) ouvraient le bal. “Une tentative pour envisager autrement le goût vert d’une salade ou le piment d’une mandarine, pour apprécier l’odeur du cuir ou l’humus d’un bois, pour sortir de nos habitudes et aller vers l’inconnu de ce que nous croyons si bien connaître. Que les mots de l’auteur ouvrent nos sens et que nos artistes nous mènent par le bout de leur savoir en partageant leur passion ! Une soirée lecture, dégustation, explication…”, explique la maison de Molière. Le 21 mai prochain – inutile de se précipiter, c’est complet depuis des mois –, Guillaume Gallienne et le trois étoiles Alain Passard se rejoindront sur la scène du Studio Théâtre pour clore ces rencontres, autour de textes de grands auteurs.

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Mosaïque céladon “belle saison”, un collage d’Alain Passard.

Les deux hommes se connaissent. Le père de Gallienne a souvent emmené le futur comédien à “L’Arpège”. Entre les deux, est née une réelle complicité. Que l’on entrapercevait, il y a quelques semaines, lors du festival Paris des chefs. Sur la scène de la Mutualité, le chef et l’acteur cuisinaient ensemble une poêlée de légumes de saison improvisée. “On a un petit peu la même sensibilité. La créativité de Guillaume m’intéresse, comme celle d’un peintre, d’un musicien ou d’un sculpteur. J’adore capter des moments, des mots, un geste, un son. Je pense que tous les artistes s’imprègnent d’autres univers”, expliquait Alain Passard. Qui, sans fausse modestie, se perçoit comme un artiste. “Moi, à mon niveau, avec le légume, oui. Autant sur le tissu animal, je me posais la question. Mais avec le légume, il y a un côté artistique. Il y a ce cahier de couleurs que la viande n’a pas.” “On est dans la sève et dans le jus, enchaîne Guillaume Gallienne. Pour moi, Alain est un peu ce que Paul Klee est en peinture. Klee a hérité énormément de la musique, du mouvement et de la cadence. Alain est simple et généreux, subtil. C’est toujours une énorme concentration du présent. C’est l’éphémère poussé à un absolu extrêmement concentré.”

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Guillaume Gallienne et Alain Passard préparant une poêlée de légumes sous le regard amusé de Julie Andrieu en janvier dernier à « Paris des chefs ».

Quand il n’est pas aux fourneaux à réinventer la “cuisine légumière”, Alain Passard a d’autres passions, joue du saxophone, réalise des collages, qu’il a notamment publiés dans un très joli ouvrage (cf. ci-dessous). “Quand je cuisine, je ne pense pas musique et quand je joue de la musique, je ne pense pas cuisine, tempère Alain Passard. Mais je l’approche de la même manière; il y a toujours cette notion de plaisir. Quand j’ai un rendez-vous avec mon saxo, c’est un moment fort. Et quand j’ai rendez-vous avec mon fourneau, c’est pareil. Quand j’ai rendez-vous avec un collage, c’est pensé. C’est un vrai message pour les jeunes: il faut que tout devienne un rendez-vous.”

Cette volonté de tout vivre au présent explique sans doute pourquoi ce grand nom de la cuisine française n’a pas cédé aux sirènes de la notoriété pour ouvrir des succursales de “L’Arpège”. “C’est pas du tout ma démarche. Quand on a son nom sur la carte d’un restaurant, il faut y être. Les gens viennent goûter la main d’Alain Passard. C’est comme quand on va voir Guillaume. Il faut l’intégrer ça mais c’est un choix de vie. Mes confrères ne le vivent pas de la même manière. Et puis je me plais chez moi. J’aime ma maison, mon restaurant avec mes clients et mes équipes. Je suis porté par cette créativité. Je me dis : qu’est-ce que je vais faire au déjeuner ? Qu’est-ce que je vais mettre dans la casserole ? Il faut avoir envie de cela. Certains n’ont plus cette envie, c’est respectable. De toute façon, avec le virage que j’ai pris il y a dix ans en me concentrant sur les légumes, je n’avais pas le choix. Je me devais d’être présent dans ma maison pour donner le tempo, parce qu’on ne fait pas un virage comme ça en étant à Londres, Tokyo ou New York. En plus, je pense que je ne saurais pas le faire…” “Pour l’instant, chéri, pour l’instant. Attend, le taquine son comparse. On ne sait jamais. Des bons seconds bien dressés pendant 20 ans et zou !”

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Tomates mozza à la vanille, verveine citron.

En parcourant l’affiche de “Paris des chefs”, on se demande si Passard a vraiment besoin d’ouvrir ailleurs. En effet, nombre d’étoiles montantes comme Bertrand Grébaut (“Septime”) ou David Toutain (“Agapé Substance”) ont été formés à “L’Arpège”. “C’est ça ma force, j’étais tout le temps là avec eux. La définition d’un grand chef, c’est celui qui fait école, pas celui qui fait la meilleure cuisine. Ils me le disent : “On a envie de travailler avec vous.” Parfois, si je m’absente pour un voyage, ils ont envie que je sois là. Comme un client qui décide de venir dîner chez moi, eux aussi choisissent de venir travailler ici, parce qu’ils veulent voir la main de Passard, pas celle de son second ou de son troisième. C’est une fierté ensuite de les voir s’installer.”

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A “Paris des chefs”, Gallienne était l’invité du chef, sur la scène du Studio Théâtre, les rôles seront inversés. “Non, c’est lui la star, se défend le pensionnaire de la Comédie française et animateur de l’émission de lecture de France Inter “Ça peut pas faire de mal”. Alain a participé à une de mes émissions consacrée à la bouffe. Il m’avait très gentiment dit une recette.” Preuve que Passard est considéré comme un créateur, toujours sur Inter, Vincent Josse était venu à “L’Arpège” pour son excellente émission “L’atelier”, habituellement consacrée aux artistes. “L’important, c’est de donner envie aux jeunes. Je ne peux pas refuser une émission comme celle-là parce qu’il y a des mômes qui vous écoutent. Dans les écoles hôtelières, vous n’imaginez pas les retours qu’on peut avoir.”

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Ratatouille “bigouden” au beurre salé mi-crue mi-cuite.

Sa créativité, Alain Passard l’a concentrée depuis une décennie sur les légumes, en créant notamment trois potagers bio, cultivés à l’ancienne avec des chevaux de trait. Une démarche très en avance sur son temps et aujourd’hui reprise par nombre de grands chefs. “Je pense avoir été un précurseur. On fait des essais. Si on fait un navet qui nous plaît pas, on le virera. On cherche toujours des saveurs nouvelles ou anciennes.” “Réussir à faire bouffer à quelqu’un de la génération de mon père du rutabaga, il allait le faire !”, s’enthousiasme Guillaume Gallienne.

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Oignon cardinal et cœur de laitue aux anchois.

Face aux délires hyper techniques d’une certaine cuisine contemporaine, Passard propose en effet d’en revenir à l’hyper simplicité. “Je ne sais pas si c’est ça la vraie modernité mais c’est mon ressenti. J’ai 40 ans de fourneaux et voilà, aujourd’hui, ce qu’il en sort. Des choses simples avec un beau geste, un visuel permanent, une compréhension de ce que je fais. Et surtout avec un plaisir. Je ne me force pas, je ne suis pas dans la recherche en permanence. J’ai préparé mon truc, j’ai regardé les choses. C’est tout. Je n’ai jamais été influencé par le moléculaire. J’ai gardé ma personnalité. Parce que j’ai été formé par des chefs qui avaient une forte personnalité. Je pense qu’avoir un tempérament aide, ne pas se laisser influencer par ce qui peut tourner autour de nous. Le rêve qui me reste, c’est le fond de l’assiette. Trouver des choses, aller plus loin. Comme un peintre termine une toile et qui se dit que la prochaine sera autre chose.”

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De son côté, Gallienne ne cache pas son admiration pour le chef, qui l’inspire… “Il était tellement installé. Dire tout d’un coup, stop: “Je me consacre uniquement aux légumes”, c’est une prise de risques énorme pour un trois étoiles. C’est comme si, tout d’un coup, un grand acteur de cinéma disait, stop, j’arrête tout, je ne vais faire que du théâtre. Et puis le fait d’être tout le temps au présent, à la limite de l’improvisation, c’est quelque chose d’important pour nous les comédiens. Etre précis dans le geste mais ne pas enfermer son travail dans la précision, dans une règle technique déjà élaborée et digérée. Comme une recette ou l’on doit tout peser. Lui, il fait confiance à qui il est, au goût, ici et maintenant. Les comédiens ont aussi besoin d’être au présent, sinon le spectateur ne ressent rien. Il ne voit que quelqu’un qui dit son texte, qu’il a appris, de la technique, mais il ne se passe rien, ça ne vibre pas. Etre à la fois généreux et subtil, ça demande une concentration énorme. Mais je n’ai pas vu souvent Alain à l’œuvre. Je n’aime pas aller en cuisines, ça les dérange. Je respecte la concentration qu’il y règne. Moi-même, je n’aime pas du tout quand on vient me voir en coulisses…”

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À table

Apres avoir travaillé au « Carlton » à Bruxelles pendant deux ans, où il décroche deux macarons, Passard rachète « L’archestrate » d’Alain Senderens en 1986′ qu’il rebaptise « L’Arpège ». Dix ans plus tard, il décroche sa 3e étoile. Tandis qu’il abandonne la viande rouge en 2001 en déclarant : « Je pense être allé assez loin dans le domaine de la volaille et de la viande. Aujourd’hui, j’aspire à une autre exploration qu’est le légume. »

Toujours en rayons

guillaume galienne,alain passard,comédie française,paris des chefs,lecture des sensEn 2010, Passard publiait « Collages et recettes », étonnant livre de recettes, non pas illustrées par des photos mais par de superbes collages poétiques du chef. Une ode à la couleur et aux produits.

  • Publié chez Alternatives (110 pp., env. 29€).

Prix France Info de la BD d’actualité et de reportage 2012, « En cuisine avec Alain Passard » est un superbe album signé par le dessinateur Christophe Blain. Celui-ci a suivi Alain Passard en cuisine et dans ses jardins, tandis qu’il illustre certaines recettes du chef.

  • Publié chez Alternatives (110 pp., env. 29€).

À la radio

Avant de débuter, cet été, le tournage de son premier film, « Les garçons et Guillaume, à table! », d’après son spectacle, Gallienne termine la saison de son émission de lecture « Ça peut pas faire de mal », écoutée tous les samedis à 18h10 sur France Inter, par plus d’un million d’auditeurs!

Sur les planches

Depuis le 28 avril et jusqu’au 12 juin, Guillaume Gallienne est à l’affiche de « Une puce, épargnez-là » de l’Américaine Naomi Wallace dans une mise en scène d’Anne-Laure Liégeois au Théâtre éphémère de la Comédie française.

Dans l’assiette

Alain Passard ne choisit que des légumes de saison, varie les formes, les couleurs, les découpes. Il les cuit à feu doux, bien espacés, dans un très grand sautoir avec un fond d’eau, privilégiant ainsi le « confort de cuisson ». Ajoutant en fin de cuisson une noix de beurre, assaisonnant légèrement de poivre et de fleur de sel.