Le 21 novembre dernier. Un cri de joie retentit dans le Flanders Expo de Gand, celui de Gert De Mangeleer et de Joachim Boudens. Les deux jeunes Flamands sautent de leur siège, tombent dans les bras l’un de l’autre… Ils viennent d’apprendre, devant le gratin de la gastronomie belge, que leur “Hertog Jan” compte désormais une troisième étoile ! Un événement puisque le dernier à avoir décroché la récompense suprême, en 2005, était Peter Goossens au “Hof van Cleve”. Installé à Sint-Michiels, dans la banlieue de Bruges, le duo flamand contribue à faire de la Venise du Nord la deuxième ville étoilée de Belgique, avec la seconde étoile obtenue par le “Jonkman” et les trois étoiles du “Karmeliet”.
Solide gaillard de 34 ans, cheveux noirs, Gert contraste avec son complice Joachim, long échalas roux de 31 ans, élu meilleur sommelier de Belgique en 2004. Un tandem qui a réussi, en quelques années, à faire du “Hertog Jan”, l’ancienne brasserie de Guido Francque, l’une des plus grandes tables du monde. Le premier macaron tombe en 2006, le second il y a deux ans seulement ! A la vue de la cuisine de De Mangeleer, la décision du Michelin est cohérente, en tout cas dans l’air du temps.
Ayant digéré les égarements moléculaires, le chef s’inscrit dans le courant technico-émotionnel, qui remet en avant, avec plus de sobriété, les produits. A l’image de l’école scandinave emmenée par René Redzepi au “Noma” à Copenhague. Même si De Mangeleer estime que ce n’est pas sa cuisine. “Mais on aime les chefs et les restaurants qui ont une philosophie, une histoire, une vraie personnalité. Beaucoup essayent de les copier mais il n’y aura jamais qu’un Ferran Adrià et qu’un René Redzepi… La force du “Noma”, c’est d’avoir été le premier à faire du “Noma”.” Les chefs qui les font rêver ? Le Hollandais Jonni Boer (“De Librije”), les Français Michel Bras, Michel Troisgros et Alexandre Bourdas (“Sa Qua Na”) ou les Espagnols Andoni Aduriz (“Mugaritz”) et Martin Berasategui.
Saint-Jacques crues, caviar et radis noir
Son style, le chef le conçoit comme très personnel. Formé, comme le trois étoiles néerlandais Sergio Herman à l’école hôtelière de Bruges, il n’est pas passé par les cuisines des plus grands chefs. Même s’il a travaillé 6 ans, avec une liberté totale, chez Danny Horseele au “’t Molentje”, où il rencontre Boudens et obtient 2 étoiles. Si le style est personnel, il est néanmoins à l’écoute des techniques les plus modernes. De Mangeleer refuse pourtant de parler de cuisine moléculaire. “Nos meringues sont uniquement faites à base de blancs d’œufs frais et nos gels avec de l’agar-agar. Il n’y a aucun produit chimique. Mais la simplicité n’est pas simple. Pour préparer un croustillant de pied de porc et de céleri-rave, il faut 48 h ! Et notre salade de tomates-cerises estivale, cela fait cinq ans qu’on la met au point, en variant les tomates du jardin. C’est une simplicité très travaillée…”
Toast de cèpes et pied de porc fondant, exceptionnel!
Il y a un an et demi, Joachim et Gert ont acquis, à quelques km de leur resto, une ferme qui leur fournit tous leurs légumes. Lesquels occupent souvent le devant de la scène, même en plein hiver. Ils déménageront d’ailleurs leur restaurant dans un an et demi ou deux pour se rapprocher de leur potager. “Un de nos cuisiniers, Bart, était passionné de jardin. Il travaille désormais là-bas sur 1,5 ha de terres et dans deux serres de 500 m². Dès le départ, on a choisi le bio; c’est important de respecter l’environnement. On cherche à cultiver des choses très spécifiques; on a une collection de 4 630 fruits et légumes, dont 12 oseilles et 52 tomates-cerises… On travaille notamment beaucoup les jeunes légumes, très visuels dans l’assiette. On sème ainsi toutes les semaines des radis pour en avoir toujours de la même taille. Au printemps, on a 200 herbes fraîches et fleurs et toutes sont utilisées pour leur goût. Ici, tout est pensé dans l’assiette.”
Il faudra attendre encore un peu avant de pouvoir s’attabler à la ferme…
Parfois un peu trop pensé même. Erreur de jeunesse sans doute. Le chef est ainsi adepte du foodpairing, une théorie qui stipule que certains produits peuvent être associés car ayant une molécule odorante commune. A l’image de l’intéressant “Kiwitre” de Sang-hoon Degeimbre. Une source d’inspiration qui donne parfois des accords en demi-teinte. Comme lorsque le chef tente d’associer raisins, truffe et Vieux Bruges. Alliant inventivité naturelle, audace et savoir-faire irréprochable, on doute que De Mangeleer ait réellement besoin de cela.
Pour le duo gagnant du “Hertog Jan”, le triomphe de la gastronomie flamande n’est pas un hasard. “Il y a trois grandes écoles hôtelières en Flandre. Il y a beaucoup de concurrence. Imaginez que, dans un petit rayon, vous trouvez Herman, Van Hecke, Goossens et maintenant nous… Sans compter leurs élèves, qui commencent à ouvrir leurs propres restaurants. C’est peut-être aussi lié au fait qu’il y a plus de business en Flandre. On était complet midi et soir avant même d’avoir deux étoiles et avec seulement 5 à 10 % de touristes. Je me souviens, lors d’une visite chez Degeimbre à Noville, d’avoir été impressionné par le fait qu’il était installé dans une région “morte”…”
Leur terroir flamand, Gert et Joachim y sont très attachés. Au gré du menu, on retrouve ainsi le Vieux Bruges, la bière Achel, le fromage Achelse blauwe…“Si on trouve des produits régionaux top, comme le porc Duke of Berkshire, élevé en Flandre occidentale, on les utilise. Mais notre agneau vient du Limousin et notre chevreuil d’Autriche…”, explique De Mangeleer. Un chef qui, épaulé par un sommelier-maître d’hôtel hors pair, devrait encore nous surprendre. Il appartient en tout cas à cette jeune garde des “Flemish Foodies” qui rêvent de voir un jour la Flandre devenir, après la Catalogne et la Scandinavie, la nouvelle destination gastronomique mondiale.
Joachim Boudens, un maître de maison accueillant et pro