Périple à la recherche des saveurs d’antan, entre vieille émission de télévision et bouquin culte…
Tout a commencé à la boucherie-charcuterie Jaspart (ex-Poncelet), en plein coeur du charmant village de Paliseul. On avait dégusté son excellent Cobourg d’Ardenne le matin même. C’est la perle locale qui nous avait tapés dans l’oeil sur la table du petit-déjeuner du Gastronome, restaurant étoilé du coin (cf. Quid du 6/3). Il fallait qu’on ramène ce Cobourg à la maison et, avec lui, un peu d’Ardenne.
Arrivé chez Jaspart, boucherie connue dans la région pour posséder son propre abattoir, on fait la file… Pendant ce temps, on admire les noix de jambons et les pipes ardennaises suspendues aux crochets à viande. Collé le nez à la vitrine, on remarque aussi deux choses… Un livre de cuisine un peu ancien, maintenu ouvert sur un pupitre pour partitions aux pages consacrées aux carbonnades. Et puis, rareté, du boudin cru, noir et blanc. Il fallait qu’on goûte ça! Notre commande empaquetée sous le bras, retour à la casa.
Avant de cuisiner ce boudin cru, petite recherche sur le net… C’est là qu’on tombe sur la recette de la soupe de boudin noir de Madame Libin, à Theux, filmée dans sa cuisine par Philippe Gauthier dans Vieilles casseroles et bonnes recettes. Une émission de 1982 rediffusée en ce moment dans la boucle de nuit de la RTBF et dont 16 épisodes sont disponibles gratuitement sur le site de la Sonuma.
Dans les archives de la Sonuma
La séquence a notamment été exhumée, en août 2016, par Guillaume Moulaert dans la matinale de La Une/Vivacité. À l’issue de cette archive attachante, le chroniqueur raille « une émission très vivante, très punchy ». Tandis que la présentatrice Julie Van H paraît peu convaincue par cette soupe de boudin sans doute pas assez modeuse: « En tout cas, ça avait pas forcément l’air très appétissant, faut l’avouer, Guillaume. » « Je vais pas mentir, ça me tente pas des masses », acquiesce-t-il… Ces deux trentenaires goguenards ont bien tort! La recette, testée et approuvée, vaut vraiment le coup (cf. ci-dessous)!
Après quelques recherches supplémentaires, on comprend que cette recette de Mme Libin est également reprise dans ce livre aperçu dans la vitrine de la boucherie, la veille: Les Meilleures recettes de Wallonie recueillies par Zone verte. Publié en 1981 par RTC Namur, l’ouvrage est le résultat d’un concours organisé auprès des auditeurs des émissions radio Zone Verte et Allo tout l’monde. Départagées par un jury prestigieux (Pierre Romeyer, M. Zygo, Jacques Kother…), ces recettes d’amateurs — dont « le lièvre à la Louise » est sorti vainqueur, permettant à Mme Jauret-Leroy de Forrières de gagner un chauffage solaire de l’eau sanitaire fabriqué par une société wallonne — ont ensuite été réunies en recueil.
Après avoir goûté à cette spécialité ancestrale, une chose était sûre: il nous fallait ce livre! L’ouvrage n’a évidemment pas connu de réédition. Mais un détour par Google nous apprend qu’il est toujours possible d’en dénicher quelques exemplaires. Il a même pris de la valeur… Vendu 350 francs (8,75€), il se trouve aujourd’hui aux alentours de 60€. On en commande un exemplaire au Festin de Babette, librairie spécialisée dans la gastronomie et l’œnologie basée à Montmorillon, entre Limoges et Poitiers. Dans la foulée, son propriétaire Robert de Jonghe nous envoie un petit e-mail: « Le livre partira demain matin et retrouvera son pays d’origine dans les plus brefs délais. Bonne lecture et… bonnes recettes. »
Un livre patrimoine
Quelques jours plus tard, le facteur sonne à la porte et dépose le paquet tant attendu. Et ce n’est pas sans émotion qu’on le déballe pour découvrir cette capsule temporelle aux pages jaunies et à l’odeur de vieux papier. Qui s’ouvre par un très bel avant-propos de Michel Hansenne, alors ministre de la Communauté française.
« Ces recettes ne sont pas le fait de Maîtres ès Art Culinaire, mais la somme de bonnes volontés et de l’enthousiasme suscité par l’appel des animateurs de la RTBF-Namur auprès d’une population intéressée par le sujet et soucieuse de faire redécouvrir une richesse gastronomique régionale oubliée. Par cette collecte de recettes notées — il y a longtemps — en de petits calepins à la couverture aujourd’hui graisseuse et maintes fois rafistolée, soit hâtivement écrites sur un morceau de papier jauni, mis de côté au fond d’un pot fêlé ou d’un vieux vase inutilisé, l’équipe de « Zone Verte » et de « Allo tout l’monde » a réalisé un guide pour les sans-guides, qui emmènera le curieux sur des sentiers peu fréquentés, à la découverte de ce coin du passé où l’on s’attarde encore à mitonner le plat ancestral », écrit-il notamment, dans un beau texte très lyrique.
« Rien de tel que l’art consommé de nos grands-mères, qui surent si bien mettre en valeur les maigres ressources d’un pays avare, en des préparations simples mais succulentes, qui conservaient aux choses le goût de ce qu’elles sont. »
Michel Hansenne
Le ministre, comme le journaliste Philippe Gauthier — qui en avait fait une croisade personnelle —, avaient à coeur de défendre une cuisine wallonne déjà supplantée, alors, dans nos restaurants — à coups de steak à la provençale ou d’entrecôte à la bordelaise — par la cuisine française, voire exotique, plus à la mode. « Nous avons entrepris le sauvetage de nos chefs-d’oeuvre culinaires en péril », s’enflamme le journaliste de la RTBF dans sa préface. Une préoccupation finalement toujours d’actualité…
Le plein d’histoires et d’émotions
En parcourant cette somme de 464 recettes, on est envahi par l’émotion. Car si le livre est d’un abord peu séduisant — le papier est rêche, la mise en page sommaire, les dessins basiques et il n’y a pas de photos… —, on est émerveillé de tenir dans les mains des recettes wallonnes qui ont parfois plusieurs siècles, transmises de générations en générations. Et, lorsqu’on lit les anecdotes familiales liées à certaines préparations, on a presque l’impression d’entrer dans l’intimité de ces cuisiniers amateur — d’autant plus lorsqu’on associe la lecture du livre et le visionnage de l’émission!
On s’amuse aussi à redécouvrir ces mots de patois oubliés, comme le sont parfois les préparations qui s’y rattachent. Comme ces « retirures », des pot-au-feu dont on retire viandes et légumes pour les servir ensemble, tandis que le bouillon de cuisson devient un potage. Ou ce « atchiss », un plat de pieds de porc typique du Brabant wallon. Des recettes qui, bien souvent, parlent d’un temps où l’on pouvait encore tuer le cochon à la ferme et où l’on mettait en valeur jusqu’au moindre os de l’animal. On se réjouit également à la lecture de cette recette de chou rouge de M. Deladrière à Cofontaine, adressée à sa fille Evelyne sous la forme d’une poésie.
Le tome 1 avait eu tellement de succès qu’un tome 2 est paru en 1989. Pourtant, on n’a pas l’impression que les choses aient tellement changé depuis 40 ans. Ce patrimoine culinaire wallon semble plus que jamais délaissé…
La soupe « Oui, Monsieur »
Alors oui, on peut se moquer gentiment de l’émission, très datée (1982 quand même…), Vieilles casseroles et bonnes recettes. Mais n’est-ce pas dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes? Face à Philippe Gauthier, Madame Libin apparaît impressionnée, très polie, ponctuant toutes ses réponses à l’animateur d’un respectueux « Oui, Monsieur ».
Marque de politesse extrême que l’on retrouve chez la plupart des ménagères filmées à l’époque, et qu’on leur emprunte pour renommer cette excellente soupe, qui « se mangeait, soit après la messe de Minuit ou au dîner (déjeuner, NdlR) du jour de Noël. Elle provient de la soeur de maman », commente Mme Libin dans Les Meilleures recettes de Wallonie recueillies par Zone verte, dont on reproduit ici le texte.
Une recette d’un autre temps, que l’on préparera uniquement à partir de « soupe de boudin », l’ingrédient indispensable qui donne toute sa profondeur au bouillon. On pourra demander à son boucher de réserver cette eau de cuisson des boudins noirs. À moins de trouver, comme à la Boucherie Jaspart à Paliseul, du boudin cru et de le cuire soi-même 40 min au court-bouillon.
Seule petite incartade à la recette de Mme Libin, on a remplacé les petites pâtes par du riz et l’on n’a pas enlevé la peau du boudin, que l’on a coupé en rondelles…
Ingrédients
1 kg de jarret de boeuf, 2 poireaux, 5-6 carottes, céleri branche, sel, soupe de boudin (chez le boucher), 500 g de boudin noir, vermicelle, bouillon, thym, laurier, poivre, clou de girofle en poudre.
Préparation
Prendre un beau jarret de boeuf. Le faire cuire doucement pendant une bonne heure dans 3 litres d’eau avec du thym et du laurier.
Pendant le temps de cuisson, écumer la mousse.
Après ce temps, ajouter les poireaux entiers, les carottes, le céleri, le tout coupé en julienne. Saler et laisser cuire une bonne heure.
Après ce temps, enlever le jarret de boeuf et ajouter à la place 2 litres et demi de soupe de boudin (ce n’est rien d’autre que le liquide dans lequel le boucher cuit ses boudins pour Noël). Avec cela, ajouter le boudin noir, dont on a enlevé la peau et que l’on a découpé en petits morceaux.
Laisser cuire le tout un quart d’heure. Après cela, mettre une poignée de vermicelles, une pincée de thym, du poivre, un peu de poudre de clou de girofle et goûter afin de savoir ce que l’on doit mettre de sel.