Scorpions, Carolina Reaper… Ce ne sont pas les noms de hard-rockers des Seventies, mais bien ceux des piments les plus forts du monde, tel que déterminé sur la fameuse échelle de Scoville — inventée 1912 par le pharmacologue Wilbur Scoville, elle mesure la force des piments (la quantité de capsaïcine) en unités —, et par le Livre Guinness des Records.
Des piments avec lesquels s’amuse Thibault Fournal. Trentenaire originaire de Beauvais et établi à Bruxelles depuis dix ans, celui-ci vient de lancer « Swet », une marque de sauces piquantes raffinées mais surtout naturelles — entendez sans additifs —, élaborées le plus souvent possible avec des produits locaux. Pour ce faire, Thibault Fournal travaille avec La Vivrière, une coopérative regroupant acheteurs, et producteurs dans un rayon de 40 km autour de Bruxelles. Tandis que ses piments viennent des Antilles françaises, du Rwanda et d’Ouganda — ses préférés, car les fruits ont des saveurs complexes —, mais aussi de Hollande, d’Italie ou d’Espagne.
Some like it hot
Thibault Fournal n’est pas le seul Bruxellois à être mordu de piments! À Evere, Pierre-Alain Dercourt, 28 ans, a créé en juillet 2020 sa société « Spitfire Chillies ». Pour s’amuser, il faisait pousser de manière biologique des piments rares et surtout les plus brûlants dans le jardin de ses parents… Ce jeune traducteur s’est lancé après avoir été inondé de demandes sur son compte Instagram et est très vite devenu le plus grand vendeur de graines de piment en Belgique! Parmi ses clients, 5% de locaux mais surtout 80% d’Américains et de Canadiens.
« Avec l’émergence des cuisines internationales, mexicaine, thaï, coréenne, indienne, avec les séries américaines, les Belges se sont familiarisés avec le piment », explique Pierre-Alain Dercourt. Au point qu’une véritable communauté d’amateurs s’est créée il y a cinq ans à Ham, près d’Hasselt, autour de la « Chili Fest », qui accueille des stars internationales du genre.
Chez nous, le grand public reste cependant sensible à la brûlure du piment. Ainsi, il y a quelques mois, la Mexicaine Selene Ruiz (El Taco Mobil) se plaignait à raison d’un public bruxellois encore trop frileux, qui ne parvenait pas toujours à appréhender les variations subtiles qui existent entre les différentes variétés de piments, et qui concevait avec difficulté qu’une cuisine relevée pouvait être raffinée.
Piqué de piments
On est en tout cas bien loin de l’amour des Américains pour le piment, qui ont même inventé un mot de slang (argot) pour ceux qui aiment ça, à savoir « chilihead », littéralement tête de piment! Ainsi, à peu près chaque état des Etats-Unis a sa sauce de prédilection. La Tapatio à Vernon, en Californie, la Texas Pete en Caroline du Nord, Pain is Good à Kansas City ou encore, en Louisiane, la Crystal et, évidemment, sur Avery Island, le plus que centenaire Tabasco – sauce cardinale, modèle du genre en matière de standardisation, fabrication et distribution aux États-Unis…
C’est d’ailleurs après avoir regardé un documentaire sur la société familiale des McIlhenny que Thibault Fournal réalise ses premières expérimentations… Tout commence il y a 10 ans, mais c’est depuis un an et demi que le Français fabrique de la sauce piquante de « manière obsessionnelle ». Une marotte qu’il étale dans les moindres recoins de son appartement forestois. Sur les étagères de la cuisine, sont ainsi alignées les sauces ramenées de ses voyages. Il y a même, dans un petit flacon, un reste de son tout premier essai. La Sun-Burn, réalisée avec des habanero d’Ouganda et des mangues du Congo. Et partout, du plan de travail au sol, des caisses contenant des bouteilles de ses 70 réalisations épicées. Tandis qu’à la main, il tient un carnet, petit répertoire où il consigne de manière précise toutes ses expérimentations.
La langue en feu
Pour mettre au point ses recettes, Thibault Fournal a proposé des « torture tests », des dégustations de ses hot sauces pour recueillir l’avis d’amis ou de passionnés prêts à se faire mal pour la bonne cause et lui donner de précieux conseils. On s’y prête avec joie! On goûte, ça arrache, mais qu’est-ce que c’est bon!
De temps à autre, le jeune homme commente: « Après la Sun-Burn, j’ai eu envie de faire une sauce piquante pas exotique, conçue pour aller avec les plats de ma grand-mère monégasque, une blanquette de veau, une pissaladière… Avec un mélange d’épices travaillé qui ne vient pas altérer le goût subtil des plats de notre cuisine franco-belge. En même temps, je n’allais pas mettre du ketchup sur un plat de ma grand-mère, je me serais pris une claque! »
Cette sauce existe en trois versions: une douce (Pears) avec des poires et des habaneros verts, une moyennement forte (Pears for Tears) et la Tears, super hot, avec des Carolina reapers. « C’est la plus belge de mes sauces, car elle est réalisée avec des poires d’ici. En général, mes sauces sont plus belges que françaises. Il y a une vraie culture de la sauce en Belgique, notamment grâce aux baraques à frites! En tout cas, je ne cherche pas à faire une sauce américaine ou mexicaine. C’est à ma sauce! »
Une belgo-attitude qu’il compte bien renforcer à terme en collaborant avec Pierre-Alain Dercourt, qui lui fournirait des piments fraîchement poussés à Bruxelles.
Ces sauces piquantes subtiles et pour toutes les bouches séduisent aussi par un packaging incisif conçu par Thibault Fournal lui-même, qui est aussi designer et graphiste. Un peu à l’image de la très branchée Matshi, sauce imaginé par le duo parisien de TheSocialFood qui cartonne!
Envie d’y goûter?
- Rens.: Etsy.com/shop/SpitfireChillies (graines) et Swet.be (Torture box 8 sauces/60€ et assortiments 3 sauces/25-30€).
Flacons individuels disponibles au « Petit Mercado », chez « Rocco Pantalon », chez « Rebel Winebar » à Bruxelles (le plus, on peut y goûter la sauce avant de l’acheter!) ou chez « Fiasko » dans la région du Centre.
Des collab’s qui arrachent
À côté des lots de 200 à 300 bouteilles (Sun-Burn, Fumado…) et des éditions LAB ultra-limitées (moins de dix flacons), à base d’ingrédients les plus divers, Thibault Fournal lance aussi quelques collab’s. Histoire de faire parler de lui et de repousser plus loin encore sa créativité débordante.
Avec l’un de ses revendeurs, la jardinerie branchée Rocco Pantalon, il sort la « Rocco Yuzu », une sauce à base de yuzu qui balance grave, produite en seulement 30 exemplaires et qui devrait faire fureur. Tandis qu’il bosse pour la cantine asiatique Old Boy, séduite par l’énergie du jeune Français, sur un condiment d’inspiration thaïe, à base d’un mélange subtil de curcuma frais et de mangue.
Dans les cartons, il y a également une sauce inspirée de la Samouraï, mais qui arrache vraiment, et qui sera mélangée à de la mayo pour accompagner les frites du spot à burger du moment, Rambo. Une bombe qui devrait s’appeler Napalm!
Enfin, avec son ami Kenzo Nakata, le chef de chez Gramm, toujours à Bruxelles, Thibault Fournal bosse sur une série de menus en format « apéro », qui devraient voir le jour en février. Le thème? Remettre en cause les a priori sur les plats classiques généralement servis avec des hot sauces, comme les chicken wings, en les revisitant ainsi que leur assaisonnement, avec des produits locaux et des techniques élaborées.
Pousser à avoir un regard différent sur les sauces piquantes, qui ne font pas que tabasser mais qui peuvent être aussi de nouvelles sources d’inspirations culinaires, c’est ce que Thibault Fournal cherche à démontrer!