« La raclette, on en vend quasiment toute l’année. On a encore beaucoup de demandes en juin et juillet! D’ailleurs, on en trouve également en été dans les stations en France et en Suisse. » Fromager-affineur bruxellois réputé, installé rue Vanderkindere à Uccle, Julien Hazard confirme que la raclette est bien l’un des plats favoris des Belges, mais aussi des Français.
Selon une récente étude d’Opinionway, la raclette aurait en effet détrôné, fin 2020, le steak-frites en tête des plats préférés de nos voisins, qui en consomment en moyenne 1 kg par an. À tel point que la raclette occupe désormais 5% du rayon fromage des grandes surfaces!
Un fromage facile à faire
« Il n’y a pas vraiment de saison, nous explique Julien Hazard. Avant, sur le marché matinal, cela démarrait mi-octobre. Maintenant, dès septembre, dès que l’été est fini, on a envie de raclette! Même si, en été, il est plus difficile pour les grossistes de trouver de bonnes raclettes. »
« C’est un fromage assez facile à faire, poursuit le fromager. C’est une pâte pressée non cuite, qui demande deux mois de production et d’affinage. C’est assez court; on n’est pas sur 3-4 mois comme pour une Abondance par exemple. C’est parce que c’est un fromage jeune, non cuit, qu’il fond mieux. À la base, on n’égoutte pas trop le caillé, afin de garder un maximum d’humidité, pour que le fromage soit bien onctueux. »
Traditionnellement, la raclette est fabriquée dans le Jura français (avec le lait en trop du comté), dans le Jura suisse et en Savoie (par les producteurs de reblochon). « Les raclettes suisses ont plus de goût, car elles sont lavées plus souvent avec la morge, solution à base de saumure que l’on réutilise et qui contient les excédents de croûtes de fromage. Cela apporte une pointe de sel plus importante et plus de goût. La raclette de Savoie est souvent plus douce », détaille notre expert.
Pour tous les goûts
Il n’existe pas d’appellation d’origine protégée pour la raclette (juste une IGP pour celle de Savoie). Ce qui explique qu’on la fabrique partout et dans d’innombrables déclinaisons. Il suffit de se promener dans un rayon de supermarché pour s’en apercevoir. Un phénomène que l’on retrouve également chez les fromagers artisanaux.
« De plus en plus, c’est la bataille de celui qui en offrira le plus!, se désole M. Hazard. Sur les réseaux sociaux, je vois certains de mes collègues qui proposent 18, 20 raclettes différentes. C’est un sacré défi pour les vendeurs, qui doivent les détailler à chaque client! Chaque année, on goûte de nouvelles raclettes aromatisées et certaines sont intéressantes, comme celle à l’ail des ours par exemple. J’ai aussi une raclette au lait cru du Jura légèrement fumée dans les fours à saucisses de Morteau. » Testée et approuvée!
Sur l’étal de Julien Hazard, on retrouve cette année 10 raclettes différentes, toutes au lait cru, dont trois classiques (Jura, Savoie, Suisse), mais aussi une au lait de brebis (plus ronde, plus florale, mais plus grasse) et une au lait de chèvre, pour les intolérants au lait de vache. Mais on peut aussi faire fondre d’autres types de fromages, comme le morbier, légèrement cendré, en saison (de mars à décembre) ou sur des bleus, qui viendront corser les saveurs. Pour rester dans le Jura, on peut partir sur du bleu de Gex. Ou essayer une belle fourme de Montbrison, une AOP de Loire.
Si l’on préfère rester local, Julien Hazard propose de tenter en version raclette le Valèt, fromage produit à Waimes, dans les Cantons de l’Est. On est moins fans… On préfère nettement la raclette de son homonyme, Antoine Hazard à Sommière, que l’on déniche dans une autre adresse bien connue des gourmets bruxellois, le Saint-Octave, qui possède trois boutiques dans la capitale et qui propose également dans son assortiment de raclettes un excellent vacherin fribourgeois.
À chacun sa raclette
En vrai puriste du fromage, Hazard préfère ceci dit la vraie « raclette ». « Ça devient la folie des fromages à raclette aromatisés; les gens veulent toujours plus de saveurs différentes. Personnellement, je préfère me concentrer sur une seule raclette nature. Les petits poêlons des appareils à raclette ne chauffent pas le fromage de façon idéale; ça va trop vite, trop fort, la graisse sort. Alors que, comme son nom l’indique, la raclette consiste à racler le fromage à même la meule, pour avoir une partie du fromage fondant et l’autre pas tout à fait fondu. » Les bons fromagers prêtent d’ailleurs à leurs clients, sous caution, ces appareils prévus pour des quarts de meule (4-6 pers.) ou des demi-meules.
Côté accompagnements, le fromager bruxellois privilégie, là encore, la sobriété, préférant les charcuteries maigres: jambon cru (du pays, de Bayonne ou de Parme), jambon cuit d’Alsace légèrement fumé, viande des Grisons ou bresaola… Au Saint-Octave, on ose des charcuteries un peu plus fantaisistes et plus grasses, comme du collier d’Ardenne, aux notes fumées très prononcées, ou une sobressada de Majorque, aux intéressants parfums de paprika.
Chez From Comptoir, chaussée de Charleroi à Saint-Gilles, le choix de charcuteries est vaste et de qualité, provenant des Salaisons du Pont d’Amour à Dinant, de chez Sibilia à Lyon ou de la charcuterie Baud à Annecy (avec, par exemple, une coppa savoyarde qui fait carrément envie!). Installé depuis un an à Bruxelles, le Français Etienne Boissy (MOF fromager en 2004) propose, pour accompagner ces délices, une dizaine de raclettes différentes — dont une fontina italienne — et proscrit, lui aussi, les fromages aromatisés.
Varier les plaisirs
Mais il n’y a pas que la charcuterie dans la vie! On peut aussi se régaler avec des poissons fumés (hareng, haddock, anguille…) et des crevettes grises. Un accord inattendu qui fonctionne du tonnerre.
Certains agrémentent leur petit poêlon de fines tranches de champignons de Paris crus ou d’oeuf battu. Mais pourquoi ne pas y faire revenir, dans le gras du fromage précédent, un peu de chicon finement haché, avant de faire fondre sa nouvelle tranche de fromage? Que l’on déposera évidemment sur des pommes de terre en chemise et que l’on dégustera en croquant dans des petits cornichons et dans une salade bien vinaigrée, pour amener de la fraîcheur.
Côté vin d’accompagnement, c’est également la fraîcheur que l’on recherche, pour casser le gras du fromage. On optera donc pour un vin blanc sec pour laver la bouche, mais avec une certaine rondeur, pour tenir tête au fromage. Julien Hazard recommande par exemple une roussette de Savoie, un savagnin du Jura (typé ou ouillé) ou un viognier avec une certaine acidité.
Et la fondue dans tout ça?
Effet du confinement? Cette année a été marquée par le grand retour de la fondue savoyarde. « Les gens étaient coincés chez eux, et ça change un peu de la raclette », analyse Julien Hazard. Là encore, on pourra emprunter à son fromager préféré le caquelon et tout le matériel nécessaire pour pouvoir plonger son morceau de pain dans du fromage onctueux. Mais attention au gage si on le laisse tomber au fond!
Comme au Saint-Octave, Hazard propose ses propres mélanges à fondue. Cette année, il en a créé quatre. Sa fondue maison est ainsi composée de trois fromages suisses: du gruyère AOP, de l’emmenthaler affiné 12 mois en grotte et du sbrinz AOP (une sorte de parmesan). Sa fondue jurassienne est, elle, à base de trois comtés d’âges différents: 9, 21 et 28 mois.
L’art du mélange
« Comme on râpe le fromage à la minute, les clients peuvent créer leurs propres fondues. Mais on doit parfois leur expliquer que leur mélange n’est pas idéal. Plus le fromage est vieux, plus il est gras, plus la fondue relâchera de l’huile et moins la fondue ne sera pas homogène. Il faut qu’il y ait d’abord du fromage jeune dans le mélange », explique le fromager.
Pour varier les plaisirs, Hazard propose par exemple de remplacer le vin dans la fondue (toujours un blanc sec, de Savoie ou du Jura) par de la bière (une gueuze de chez Cantillon par exemple), de tremper des tranches de saucisses de Morteau dans la fondue du Jura — carrément décadent! — ou, quand le caquelon est à moitié vide, d’aromatiser le reste de fondue avec des cèpes séchés réhydratés ou des fines herbes, pour en changer les saveurs… Chez From Comptoir, Etienne Boissy recommande lui aussi d’essayer la bière, plutôt une blonde en ce qui le concerne.
Le MOF explique que, traditionnellement, la fondue savoyarde est préparée avec de l’emmenthal, du comté d’été et du beaufort, quand la suisse mêle vacherin et gruyère. S’il ne propose pas son propre mélange à ses clients, Boissy vend celui d’Hervé Mons, son ancien collègue, tout aussi MOF que lui, des Halles Paul Bocuse à Lyon. Parfaitement équilibrée et onctueuse, cette fondue est composée de beaufort, comté, emmenthal, vacherin fribourgeois et d’abondance.
Pour alléger (quelque peu) l’expérience, le fromager français propose, lui, de remplacer le pain par des petits légumes croquants (chou-fleur, romanesco, carotte…). Ça marche très bien!
Les autres repas fromages
Mais il n’y a pas que la raclette et la fondue qui ont la cote avec le confinement. Les fromagers ont aussi vendu de nombreux mont-d’or. À faire fondre au four directement dans leur boîte en épicéa (qui apporte une délicate touche boisée), en faisant un trou au milieu pour y verser un peu de savagnin (ou de vin blanc sec) et/ou, en version plus chic, quelques éclats de truffe noire!
Sans oublier un autre grand classique savoyard: la tartiflette. « Cette année pas mal de chefs, même étoilés, m’ont pris du reblochon car ils souhaitaient en préparer à emporter pour leurs clients », confie Julien Hazard.
En cette période particulière, le fromage fondu reste décidément une intarissable source de réconfort!