J-5. Tout le monde est sur le pied guerre. Bottes et bleu de travail sont ici du dernier cri. Tambours battants, une pelleteuse étale le gravier qui mènera bientôt au parking. Valérie et Dominique, les belles-mères, bien loin d’être vipères, essuient des montagnes de vaisselle. Tandis que toute l’équipe de salle et de cuisine, les deux Antoine, Paul et Alessia, courent dans tous les sens pour rendre les lieux présentables.

Hors-Champs ouvre dans quelques jours et tout le monde s’affaire au quotidien, depuis un mois, autour du chef Stefan Jacobs et de sa compagne Aurélie Leempoel, pour rendre à cette ferme d’Ernage, à quelques kilomètres de Gembloux, son lustre d’antan, en y ajoutant quelques louches de modernité.

Stefan Jacobs et Aurélie Leempoel, 31 et 26 ans, ont fait de « Hors-Champs » leur nouveau projet de vie. ©Mathilde Nardone

« On a visité cette ferme il y a trois ans. L’idée était de revenir dans ma région. Je suis de Bossières, raconte Stefan. J’aimais l’endroit, qui correspondait à notre philosophie de travail avec des producteurs locaux, dont pas mal étaient dans le coin. Mon rêve de gosse, c’était d’ouvrir un restaurant dans une ferme, avec mes cultures. Je déteste la ville! Je voulais un grand espace, pour pouvoir développer autour de la cuisine tout un univers personnel. Et puis j’adore bricoler. » Heureusement, car cette ferme était à l’abandon depuis dix ans…

©Mathilde Nardone

Un projet ambitieux à taille humaine 

Il aura fallu attendre presque quatre ans pour voir le rêve se réaliser. La commune était d’accord, le voisinage moins… Tandis que les deux jeunes devaient financer un tel projet. C’est Béatrice et Benoît Lafontaine qui, à nouveau, vont jouer les mécènes. Pendant deux étés, ils avaient déjà accueilli Stefan Jacobs dans la cour de leur excellente vinothèque Autrement dit vins à Namur, le temps de quelques barbecues enthousiasmants dans un esprit guinguette.

« Benoît et moi avons créé la société Ferme d’Ernage, qui est propriétaire de la ferme. Tandis que ma société Hors-Champs paye un loyer pour la ferme et les chambres d’hôtes. L’investissement en briques, c’est Benoît. L’investissement de la société d’exploitation, c’est moi », détaille le jeune chef, tout en continuant à mener la visite de cette immense ferme en carré de 80 ares datant de la fin du XIXe siècle.

Nous sommes au coeur de celle-ci, dans la cour de 50 m2 qui accueillera, aux beaux jours, la terrasse du restaurant et qui, dans quelque temps, s’ornera d’aromates et de plantes comestibles. Sur le côté, on remarque une pergola et un four à pain, dont l’âtre est déjà léché par les flammes. « Nous avons construit la pergola et le four nous-mêmes. L’idée, c’est d’avoir une boulangerie. Je vais faire mon pain avec la farine de la ferme Baré toute proche, à Balâtre. Tandis qu’à l’étage, on fera sécher nos plantes et nos charcuteries », s’enthousiasme le chef.

Un peu plus loin, la grange, dont la superbe charpente a été restaurée, deviendra une salle de réception. Dans un second temps, d’autres corps de bâtiments accueilleront une épicerie et d’autres chambres. « La phase 1 du projet: le restaurant, la grange, notre appartement et les quatre chambres d’hôtes représentent un investissement d’environ deux millions d’euros dont 600.000€ en fonds propres et 1.400.000€ en travaux », explique Stefan. Après le restaurant, ouvert le 16 octobre, ce seront les chambres d’hôtes, qui devraient être prêtes fin décembre, puis la grange, qui sera inaugurée début 2020.

©Elsa Lallemand

 

Travaux, boulot, dodo

Nous passons à l’arrière du restaurant, où s’étend un immense terrain encore en friche. C’est ici qu’Antoine, le jeune jardinier, commencera les cultures dès le printemps. Mais pas question de planter des carottes ou des pommes de terre. Stefan s’approvisionne déjà en légumes au Centre horticole de Gembloux ou chez Stéphane Longlune. En fait, on ne choisira ici que plantes et aromatiques rares — pas étonnant quand on sait l’amour de Stefan pour les épices! Même si, à plus long terme, on vise l’autosuffisance.

« Ce sont des heures et des heures de boulot. On a travaillé avec des artisans locaux et fait beaucoup de choses nous-mêmes », dit le chef en pénétrant enfin dans le restaurant. « Dans ce coin, on a posé le plancher. » Celui-ci accueillera bientôt un petit salon, dont les fauteuils ont été restaurés par la Ressourcerie namuroise. Et c’est non sans fierté que Jacobs pointe le dressoir qu’il a retapé. Ou qu’il montre les très belles tables, crées en collaboration avec la Fabrique Noire, ou les céramiques de Kim Verbeke. Même les couteaux ont été fabriqués par un artisan local, la coutellerie Depireux à Gembloux. « L’histoire est belle. Le modèle du couteau est celui du grand-père du coutelier et il a réalisé 60 pièces avec des essences de bois différentes, dont certaines proviennent du luthier de Gembloux. Le nom de l’essence est gravée sur la lame… », s’enthousiasme le chef.

Stefan Jacobs a fait appel à des artisans locaux pour aménager la salle de son futur restaurant. ©Mathilde Nardone

De la cuisine ouverte, on a une vue imprenable sur la salle, où les tables sont déjà installées. Elles accueilleront environ 30 couverts. « On va commencer à 5, deux en salle et trois en cuisine, avec des jeunes qui me suivent depuis longtemps. Les derniers sont arrivés quand j’étais Chez Marie. Le deuxième cuisinier, qui a 23 ans, travaille avec moi depuis trois ans. Ici, personne ne m’appelle ‘chef’. On travaille ensemble dans le respect. » Et ça paye! Toute l’équipe semble très investie par l’ouverture du restaurant.

Fidèle à ses producteurs

« Chez Hors-Champs, on veut cultiver nos propres légumes, mais aussi travailler avec des petits artisans et des producteurs locaux. On prend le meilleur de la terre et on le met dans l’assiette. C’est aussi une façon de dire qu’on fait une cuisine qui sort des sentiers battus, sans être extravagante ou de terroir », clarifie Stefan Jacobs, qui troquera bientôt le marteau pour le couteau.

Au moment d’écrire ces lignes, le menu n’est encore qu’une ébauche. Mais l’on sait déjà que le chef, qui n’aime pas le chipo, proposera, en toute convivialité, une planche de charcuteries maison. Tandis que le reste des propositions seront dictées par la saison et les producteurs avec lesquels il entretien une relation indéfectible. Dans la salle du restaurant, l’artiste belge Denis Meyers est d’ailleurs en train de taguer leurs noms sur une colonne…

Lieu jaune, croûte de pied de porc, purée de lentilles au saindoux, topinambour et lentilles germées. Une tuerie! @LC

Stefan devrait par exemple revisiter le ragoût de pied de cochon aux lentilles façon terre et mer. Il caramélisera un poisson blanc en provenance de la criée d’Erquy avec du pied de cochon de chez Hoeve Cuvry, qu’il accompagnera de lentilles germées vinaigrées. Tandis que le chevreuil de la Maison Protin, travaillé en entier, sera servi rôti, et son épaule confite dans une cocotte lutée avec un bouillon de chevreuil, des betteraves rouges et du jus d’hibiscus. Les déchets, eux, finiront sans doute en pâté…

Côté liquide, on découvrira une bière à la camomille sauvage, réalisée en collaboration avec la brasserie Houppe, ou des tisanes maison créées avec des plantes récoltées au Centre horticole. 

Bref, plus que jamais, la cuisine de Stefan Jacobs sera proche de la terre, de ses racines, de son terroir. Conscient qu’aujourd’hui la qualité de l’assiette n’est plus seule à compter, il a inscrit Hors-Champs dans son environnement, en privilégiant l’humain. L’étoile viendra sans doute. Mais, comme le dit Stefan: « C’est le projet de vie qui est le plus important. »

@Mathilde Nardone

Envie d’y goûter?

170 Chaussée de Wavre, 5030 Gembloux
Du mercredi au dimanche, midi et soir
4/5/6 services (55/65/75€)
Rens. 0494.42.77.95 ou https://hors-champs.be

Bio-Express : Stefan Jacobs

Diplômé de l’école hôtelière de Namur en 2006, Stefan Jacobs a fait ses armes dans de belles maisons: Le Gastronome à Paliseul, alors étoilé, Olivier Roellinger*** à Cancale et le Sea Grill** d’Yves Mattagne. À 23 ans seulement, il décroche ensuite une étoile à l’ancien Va Doux Vent à Uccle, où il reste quatre ans.
En attendant d’ouvrir son propre restaurant, il a enchainé les projets éphémères pendant trois ans: à la Brasserie de Bertinchamps à Gembloux, chez Autrement dit vins pendant deux étés à Namur, au Château de Bioul et enfin Chez Marie à Bruxelles.
Désormais à la tête d’Hors-Champs avec sa compagne Aurélie Leempoel, le chef s’est construit un lieu à la hauteur de ses ambitions!