Ce n’est pas une Italie de carte postale qui s’étend devant nos yeux, celle de la Toscane et de ses collines couvertes de cyprès et de pins parasol, mais une Italie plus méconnue. Un paysage composé de montagnes et de phénomènes karstiques, ponctué de fleuves et de torrents. Nous sommes aux abords du parc national des Abruzzes, dans un coin de la Botte plus rustique, plus pastoral aussi, avec ces petits villages en pierres authentiques, comme Anversa degli Abruzzi et Scanno, ou ces beaux lacs invitant à la méditation. Le but du voyage est le Reale, hôtel-restaurant triplement étoilé qui est sur toutes les lèvres…

C’est en 2011 que Niko Romito et sa soeur Cristiana ont quitté le restaurant familial de Rivisondoli — originellement une pâtisserie —, pour s’installer à quelques kilomètres de là, à Casadonna, dans un ancien monastère du XVIe siècle. Un véritable défi pour le chef. Mais comment aurait-il pu en être autrement? La personnalité du bonhomme, discret, ascète et intellectuel, correspond à merveille à cet endroit paisible et isolé, d’où il semble puiser sa force. « Je ne propose pas une cuisine des Abruzzes, mais bien une cuisine italienne. Mais ce territoire, cet Abruzzo philosophique, a influencé ma cuisine, confie-t-il. Être dans un lieu qui te pousse à réfléchir te permet de te détacher du monde et t’inspire des raisonnements gastronomiques résolument différents. »

À 45 ans, Niko Romito pose un regard lucide sur son parcours et a une vision affûtée de sa cuisine. Son discours est posé, chaque parole est pesée. 

Le pain, un plat en soi

Romito se montre pourtant très loquace à propos du pain, son nouveau cheval de bataille. Au Reale, celui-ci n’est pas accessoire, il constitue l’un des services du menu, proposé chaud, à peine sorti du four. « Pour amener plus d’émotion », explique le chef. À lui seul, le pain résume sa philosophie: une recherche de l’absolu en cuisine. 

« Le pain est un élément caractéristique de l’Italie, de notre culture, surtout dans le centre-sud. Cela fait plusieurs années que j’essaye de poser sur la table un pain absolu, un pain qui raconte toute l’Italie mais avec des caractéristiques techniques modernes. Un pain rappelant le passé mais évoluant vers le futur. Je voulais enlever le classique panier de petits pains aromatisés qu’on trouvait dans tous les restaurants. Plus je vieillis, plus j’ai envie d’aller à l’essence du produit. Dès le début, nous avons fait des recherches sur les farines de grains antiques. Panifier avec ces farines est très difficile car le gluten est différent. Nous avons donc travaillé sur la pâte, les levées, les températures, la fermentation mais surtout sur la double cuisson. Le pain que vous avez mangé contient 90% d’eau! » , s’enflamme Niko Romito, qui a inauguré à Castel di Sangro un laboratoire entièrement consacré au pain, désormais distribué dans toutes ses adresses et dans quelques épiceries fines. 

Deux semaines plus tard, lorsque l’on déguste la dernière tranche de ce pain réalisé avec de la farine de grain de Solina des Abruzzes, il n’a quasiment pas bougé… On en reste bouche bée!

Une cuisine essentielle

De prime abord, on pourrait avoir l’impression que la cuisine de Romito est simple, à l’image de la décoration du Reale. Mais ici, tout est pensé jusque dans le moindre détail. Du choix de la pierre, brute et élégante, récupérée dans des églises locales à l’abandon, jusqu’au nappage très particulier des tables en bois anciennes, qui laisse apparaître leurs superbes pieds en volutes. 

Paru en 2015 chez Giunti, Dieci lezioni di cucina retranscrit avec clarté et précision la pensée du chef. « On dit souvent que ma cuisine est simple. C’est vrai, dans le sens qu’elle manque de complication. Et pourtant, elle implique une remarquable complexité », écrit-il. On ne pourrait mieux dire. 

Les mises en bouche chez « Reale »: « sofficie » aux pistaches (pas top avec sa texture d’éponge), toast de tomates au goût concentré et pomme de terre cuite sous la cendre, fondante à l’intérieur et croustillante à l’extérieur.

Niko Romito pratique en effet une cuisine essentielle très réfléchie, millimétrée, qui laisse peu de place à l’improvisation. Au point de départ de sa réflexion, il y a toujours le produit, qu’il relit de façon inédite en lui appliquant une technique nouvelle, voire en la créant. En résulte des plats mémorables et intrigants, à la recherche de la profondeur ultime des saveurs.

Variation sur le pane e prosciutto, avec le pain maison aux grains anciens et une fine lamelle de boeuf d’abord cuit à la vapeur puis légèrement fumé. Top!

Comme ces capellini al pomodoro, avec lesquels le chef a l’ambition de proposer un nouvel archétype de la pasta al pomodoro, procédant par stratification pour renforcer le goût de la tomate, en une sorte de mise en abîme, et valoriser l’acidité du fruit. « Dans ma cuisine, je voudrais toujours plus chercher l’expression définitive de chaque plat », écrit ce perfectionniste.

Les fameux capellini ai pomodorri, un chef-d’oeuvre de précision des saveurs.

Une recherche d’absolu

Le chef est aussi en quête d’équilibre avec cet « absolu » d’oignon, parmesan et safran, où il s’est plongé dans un travail d’extraction pour tirer de l’oignon son expression la plus pure.

Assoluto d’oignon doré cuit sous sel et dont on récupère l’eau de végétation pour un bouillon puissant sans eau, dans lequel le chef cuit quelques pastilles (mini-raviolis) au parmesan.

Il explore également le végétal pour découvrir un nouveau répertoire de textures et de saveurs, en jouant souvent sur l’amertume. Ainsi, son aubergine rôtie au caramel de pêche se substitue sans regret à une viande ou à un poisson!

Cœur d’aubergine avec une réduction glacée d’aubergine. Extraction de romarin, caramel de pêche et concentré de tomate. Un plat déroutant, qui joue sur les textures et notre perception des goûts.

Enfin, le chef tente de briser les idées reçues en proposant par exemple un pigeon au sang ultra-fondant, aux clous de girofle, eau et moutarde. Ce qui surprend ici, c’est l’incroyable évolution en bouche. D’abord totalement déséquilibré, le plat gagne en harmonie au fil de la dégustation de façon assez géniale! « Je ne parviens pas à faire un plat parfait dès la première bouchée. Toute la réflexion prend son sens quasiment sur la dernière bouchée. Je ne cherche pas la rotondité, l’élément gras qui fait plaisir et peut plaire à tous. Mon approche peut effrayer, je le sais. Mais je fais d’abord une cuisine qui me plaît. On ne peut pas plaire à tout le monde! » 

Le pigeon à l’état pur, avec un parfum de clou de girofle entêtant. Un plat génial, qui évolue au fil de la dégustation!

Qu’on l’aime ou non, la cuisine de Niko Romito fait réfléchir. Et si l’on est prêt à rentrer dans cet univers gustatif inédit, l’expérience est renversante.

Pastèque et tomate. Le chef joue ici sur la structure, en compressant au maximum la pastèque. Par-dessus, la tomate est servie crue, après avoir macérée deux jours avec herbes (estragon, piment…). Très bien réalisés, les gels de romarin et de citron ont le bon goût de rester discrets.

Envie d’y goûter?

« Reale », Contrada Piana Santa Liberata, 67031 Castel di Sangro.
Rens.:
www.nikoromito.com ou +39.08.64.69.382.

D’abord cuit vapeur puis grillé, la côte d’agneau est proposée avec de la truffe noire et une réduction d’agneau en gel et quelques goutes de vermouth La cuisson de la viande est étrange mais l’accord, a priori détonnant, fonctionne parfaitement.

Un chef entrepreneur

Ancien étudiant en économie, Niko Romito est un entrepreneur ambitieux. Depuis 2013, en plus de son restaurant gastronomique, il a ainsi créé Spazio, offrant une version plus abordable de sa cuisine italienne contemporaine. On en compte déjà trois, dans son ancien fief de Rivisondoli, à Milan et à Rome.

Au « Spazio Romito » cet été, on mangeait notamment de délicieux tagliolini freddi au baccala et estragon servis froid (la grande mode en ce moment en Italie). Les pâtes sont revenues dans une poêle sur des glaçon pour créer l’émulsion de la sauce et éviter que cela colle.

Il a aussi développé un concept street food à Milan avec le géant Autogrill autour de la « bomba », un beignet chargé d’histoire familiale — son père était pâtissier — travaillé en version sucrée et salée. Un délice que l’on retrouve également chez ALT, un café-restaurant adossé à son Laboratorio del Pane à Castel di Sangro, sur la route nationale 17. Tandis qu’il est aussi présent à Milan, Pékin, Dubai, Shangai — et bientôt Moscou et Paris — grâce sa collaboration avec les hôtels Bulgari.

Installé le long d’une grand-route, « Alt » se donne des airs de diners américains. Mais à la cuisine raffinée…

En Italie, les critiques vont bon train sur le petit empire que s’est constitué le chef… « Il y a un aspect entrepreneurial très fort en moi et je ne pense pas que ce soit négatif de vouloir développer son entreprise, justifie Romito. En Italie, une expansion aussi importante ne s’était jamais vue. Ça peut effrayer. Mais les critiques viennent surtout de gens qui ne connaissent pas Reale et mon système. En France, ça existe depuis 20 ans avec Ducasse ou Robuchon! Je suis entrepreneur mais d’abord chef. Cette croissance m’a permis de réinvestir dans mon restaurant. Pendant dix ans, j’ai dû batailler pour remplir les caisses en fin de mois. Ces deux dernières années, nous nous sommes développés de manière incroyable grâce à la tranquillité économique et à la possibilité d’investir dans la recherche. Si j’étais resté dans ce petit restaurant de Rivisondoli, je ne cuisinerais pas de cette façon aujourd’hui. C’est cette croissance qui a rendu possible cette cuisine. »

La « bomba » au cochon parfaitement fondant de chez « Alt ». Une tuerie!

Un autodidacte qui fait école 

En 2011, Niko Romito a également créé une école privée adossée à son restaurant, la « Niko Romito Formazione ». Seize heureux élus venus de toute l’Italie suivent chaque année la formation très complète offerte par le chef, qui débouche souvent sur un travail dans l’univers Romito. Mais pas seulement, puisque certains étudiants ouvrent leur propre affaire avec succès. Ainsi, Caterina Ceraudo a décroché une étoile Michelin dans son Dattilo en Calabre.

« C’est évidemment le plus grand paradoxe de mon parcours. Je n’ai pas été à l’école [de cuisine], mais j’ai ouvert une école. L’idée est née de la volonté de rester sur notre territoire et de nous développer grâce à des jeunes aux idées nouvelles. Ce n’est pas comme dans les autres écoles, où l’on donne un diplôme et on laisse les jeunes se débrouiller. Nous, nous avons des projets qui offrent des postes de travail à des jeunes motivés. »

Au « Spazio Romito », on sert notamment un bar cru mariné, avec une mayonnaise et des petits pois. Un hommage au « Reale », d’où le plat est originaire. Et où il doit être nettement plus raffiné… On ne sent en effet ici que la mayonnaise, qui casse la fraîcheur du plat.