Impossible de dénicher un guide touristique de la région en français! C’est dire si le Frioul-Vénétie julienne  est une région peu fréquentée des touristes. Et pourtant, après avoir visité ses villes, siroté ses vins, dégusté ses spécialités et avoir goûté à l’accueil chaleureux de ses habitants, c’est peu dire qu’on est tombé sous le charme de cette Italie méconnue, qui propose un melting-pot intéressant, entre influences autrichiennes, slovènes et vénitiennes. Une terre de frontières qui réserve bien des surprises et d’abord dans sa capitale, Trieste…

Trieste, la Austro-Hongroise

Comment, d’abord, ne pas être séduits par le superbe golfe de Trieste et son château de Miramare (photo en une), qui attire inévitablement les regards. Une demeure achevée en 1860 pour l’archiduc Maximilien d’Autriche et son épouse, Charlotte de Belgique, fille de Léopold Ier.

Le superbe golfe de Trieste.

Si la ville de Trieste est un peu austère, la place Unité d’Italie, une des plus grandes places d’Europe bordée par la mer, impressionne par ses palazzi, même si c’est ici qu’en 1938, ont été proclamées les sinistres lois raciales par Mussolini. La place est bordée de chics cafés historiques, comme le Caffè degli specchi ou le Harry’s Piccolo, où l’on prendra l’aperitivo immergés dans le passé.

Pour un déjeuner avec vue imprenable sur le port, direction le magasin Eataly. On y fait le plein de spécialités locales et on déguste quelques crostini au San Daniele, accompagnés d’un verre de friulano (l’ancien tokai).

Après avoir gravi la ville pour visiter le château de Saint-Juste qui offre une des plus belles vues sur Trieste, on a bien mérité le dîner! Tradition oblige, on s’essaye au buffet dans l’une des institutions de la ville, Da Pepi. Dans la plus pure tradition austro-hongroise — Trieste est restée autrichienne jusqu’en 1918! —, on mange ici, depuis 1897, des saucisses viennoises ou de Cragno, du pied de porc, de la langue… avec de la choucroute, des pommes de terre et une bonne dose de raifort. Et pour finir, un strudel aux pommes. Oui oui on est bien en Italie!

La tradition des osmize

Après une balade dans le Carso, ce haut-plateau constitué de roches calcaires érodées pendant des milliers d’années par l’acide carbonique contenue dans les pluies – un phénomène géologique unique qu’on appelle érosion karstique -, il est temps de visiter quelques osmize.

Ce nom dérive du slovène osem, qui signifie huit. Il s’agit en effet d’un héritage austro-hongrois quand, en 1784, l’empereur permit aux producteurs de la zone de vendre leur vin durant huit jours. Aujourd’hui, les osmize ouvrent pendant quelques semaines dans l’année mais pas facile de les dénicher. Un panneau croisé par hasard à un embranchement est le plus souvent le seul indice… Il faut en tout cas tenter l’expérience à tout prix car l’on y ripaille avec les charcuteries et les vins du cru dans une ambiance joyeuse. Le tout en VO italienne, voire en slovène…

Le Collio et ses vignes

Autour de Gorizia et de son château fortifié du XIIe siècle, entre le fleuve Isonzo et la frontière slovène, le Collio offre l’un des plus beaux paysages de la région, entre vignes et collines.

C’est ici que l’on déniche le plus de merveilles oenogastronomiques. La bonne idée, commencer par un déjeuner à La Subida à Cormòns, pour une découverte des formidables produits locaux.

Et d’abord le formaggio di fossa (goûter aussi celui de la fromagerie Zoff, non loin de là) et le vinaigre de fermentation spontanée de raisins de la famille Sirk.

Tandis qu’on dégustera les charcuteries D’Osvaldo, l’un des prosciutti les plus fins d’Italie!

Difficile de choisir un vignoble à visiter, tant ils sont nombreux ici à bien travailler, entre Gravner, Damijan ou Le Due Terre. Situé à Prepotto, ce dernier produit des vins bio depuis 1994. Cinq hectares seulement pour 16.000 bouteilles par an et des vins d’une élégance rare, comme le meilleur rouge de la région, un Sacrisassi rosso, moitié refosco, moitié schioppetino (un cépage local).

Ces vins, on les découvre, et bien plus encore, chez Antonia Klugmann à l’Argine a Vencò, une cheffe qui fait rimer sa région avec une cuisine de l’émotion.

Photo Francesco Orini – Crème caramel de topinambour par la cheffe Antonia Klugmann, L’Argine a Vencò.

Sur la route vers Udine, on fera une halte à Cividale del Friuli pour visiter le temple lombard construit au VIIIème siècle, unique témoignage de cette civilisation.

Udine, la vénitienne

Qu’elle est agréable cette ville! Il suffit de penser à la place de la Liberté, dont on dit qu’elle est la plus belle place vénitienne sur la terre ferme. Avec ses loggias et sa tour de l’Horloge, l’ensemble donne à Udine les plus beaux atours de la Sérénissime.

Tandis que Tiepolo lui a offert ses plus belles fresques dans les galeries du Palais patriarcal.

Mais si l’on apprécie la ville, c’est aussi parce qu’elle est jeune et vivante. A l’image de Pieri Mortadele, une osteria conviviale fréquentée par toutes les générations. On vient ici pour prendre son tajut (verre de vin) et une tranche de mortadelle.

Plus tard, à la Trattoria ai frati, on déguste quelques spécialités friouliennes, comme le toc in braide (polenta allongée de lait et fromages) ou le frico, sorte de galette de fromage Montasio et de pommes de terre servie sur de la polenta. Pas léger léger.

Mais il ne sera jamais aussi bon que celui que les confréries attitrées préparent lors des fêtes de villages! Que l’on a découvert lors d’un festival gastronomique à Udine.

Et l’on ne repart pas de la ville sans une gubana du Panificio del Foro, une brioche aux fruits secs, zestes d’orange et citron aromatisée à la grappa.

Pour profiter au mieux des bontés de la région, il faut loger dans les agritourismes. A l’image de la  Casa del Grivò, à Faedis, près d’Udine. Ici, l’hiver, autour du fogolâr, l’âtre traditionnel, on dégustera un verre de vin bio produit sur place, tandis que l’été, on profitera du silence de la campagne.

Echappée belle à la montagne

C’est le moment de pousser jusqu’à San Daniele. La ville n’a pas grand charme mais la réputation de son jambon n’est pas volée.

On préfère ne pas s’attarder et faire la route vers Sauris et les Alpes carniques. Ici aussi, on produit du jambon, de Sauris. Une appellation qui appartient qu’à l’unique producteur depuis 1862, la Salumeria Wolf. Même si c’est plutôt le speck qui a nos faveurs.

On déguste ces charcuteries à la boutique Wolf, avec une vue imprenable sur les montagnes, ou à la trattoria alla Pace, une adresse tenue depuis 1804 par la famille Schneider, qui parle un dialecte unique, proche de l’autrichien.

Au menu, cjarsons, des raviolis en demi-lune aux herbes et à la cannelle, et des gnocchi à base de pain, speck, ricotta fumée et cumin, et même un goulasch.

Et pour faire couler, une Zahre – « Sauris » en dialecte local – rouge, une excellente bière non filtrée et non pasteurisée.

Et là, on se demande pourquoi l’on a attendu si longtemps pour découvrir cette région qui, de la mer à la montagne, a tout pour plaire!

Une escapade en Slovénie?

Elue meilleure femme cheffe 2017 par le World’s Fifty Best (où elle se classe à la 48e place), Ana Ros a placé la Slovénie sur la carte de la gastronomie mondiale. Installée non loin du très beau village de Kobarid, à une petite heure de route d’Udine, elle a réussi à transformer le restaurant familial Hisa Franko en une table internationale où l’on parle plus anglais et italien que slovène… Rien de surprenant à 150€ le menu unique 11 serv., auquel il faut rajouter 75€ pour l’accord mets-vins. Et c’est clairement l’un des points forts du resto, qui permet de s’initier aux richesses vinicoles slovènes.

La cuisine d’Ana Roš est quant à elle plutôt déstabilisante. Très créatifs, ses plats manquent souvent d’équilibre… Mais quand ils sont aboutis, ils peuvent parfois toucher au sublime. Comme cette figue fermentée, présentée dans une intéressante eau saumurée à la levure ou cette courge grillée, servie avec des baies de sureau, jus et mousse de foie de canard slovène.

 

Hiša Franko d.o.o., Staro selo 1, 5222 Kobarid. Rens.: www.hisafranko.com.