Chez Racineset désormais au Petit Racines, près de la place Flagey à Ixelles, Ugo Federico et Francesco Cury offrent une vision différente du restaurant italien.

 

Les nouveaux Italiens

Alors que vient d’ouvrir leur dernier bébé, Le Petit Racines (cf. ci-dessous), un atelier de production de pâtes et un comptoir à manger sous-titré « Pasta fresca e vino buono » (pâtes fraîches et bon vin), Ugo Federico, 39 ans, et Francesco Cury, 34 ans, reviennent sur la naissance de Racines, ouvert en février 2015 à quelques pas de la place Flagey à Bruxelles. 

A les voir, le regard complice et parlant souvent d’une même voix, on a du mal à croire que ces deux-là s’entendent comme chien et chat. Francesco joue franc jeu: « On a des égos gigantesques. On se bat constamment pour imposer nos idées. Mais le succès de Racines est dû à la tension créatrice qui existe entre nous. Et il n’y a pas une autre personne qui me connaisse mieux qu’Ugo. Et je connais Ugo mieux que sa mère! » Quinze ans d’amitié lie en effet nos deux compères…

Une histoire d’amitié

Ugo Federico se souvient: « J’ai commencé à 13 ans dans les cuisines de La Pigna à Capri. On faisait jusqu’à 600 couverts le midi. J’aimais la cuisine, mais quand tu travailles de cette façon jusqu’à tes 18 ans, tu te dis que, si tu continues comme ça, tu vas finir par détester ça. » Ugo abandonne donc la cuisine pour de plus sérieuses études d’économie, qu’il ne terminera pas… En 2002, il reprend des cours de sommellerie à Florence et commence à travailler au célèbre Cibreo de Fabio Picchi. De sommelier, cette fois diplômé, il passe directeur des achats vins et finit par gérer l’ensemble des achats, la salle et même le personnel. C’est à ce moment-là qu’il rencontre Francesco Cury. Lui fait des études de journalisme et un stage dans une revue gastronomique online Gola Gioconda. Bien que serveur depuis des années dans divers restaurants de la ville, il veut en apprendre plus sur la gastronomie. Il débarque alors au Cibreo pour trois mois.

Photo Bernard Demoulin

Repéré lui aussi par Fabio Picchi, Francesco reste et devient son directeur artistique. Il gère ainsi son « Teatro del Sale » et écrit cinq livres avec le chef. Mais le travail avec Picchi se révèle difficile et usant. « Le Cibreo, c’est un peu comme le David de Michel Ange. C’est un symbole de la cuisine de Florence. A l’époque, il explosait. Le New York Times l’avait désigné parmi les 10 plus importants restaurants au monde. Mais Picchi était une sorte de prince absolu », raconte Francesco. Qui poursuit : « Un jour, Ugo et moi étions à Capri. Sur sa terrasse, un verre de vin à la main, on s’est regardés. Il m’a dit: ‘Francesco, je pars l’année prochaine à Bruxelles; je veux ouvrir un truc.’ Son épouse de l’époque venait en effet de décrocher un poste à la Commission européenne. Je lui ai répondu: ‘Je viens avec toi!’ »

Au Petit Racines, on peut désormais acheter et déguster des pâtes fraîches maison!

Un restaurant italien différent

Un an avant l’ouverture de Racines, le duo parcourt l’Italie de long en large tous les week-ends, à la recherche de trattorie pointues et en visitant aussi quelques étoilés. Comme un besoin de s’inspirer pour créer un restaurant italien différent. « Quand on est arrivés à Bruxelles en 2014, on n’avait pas beaucoup d’argent, explique Francesco Cury. On a passé six mois à écrire le business plan pour attirer l’attention des banques. Quand on a décidé de ne pas servir de viande, on était précurseurs. A l’époque, personne de faisait ça! Nous ne sommes pas végétariens, mais on cherchait une démarche éthique forte. » 

Ce choix éthique n’est pas qu’une posture. Le tandem privilégie aussi des poissons issus de filières durables, péchés à ligne et de saison. Tandis que la même philosophie est appliquée aux légumes. « Au moins 80% de nos produits sont locaux. Notre fournisseur de légumes est Agricovert, une coopérative de maraîchers en vente directe basée à Gembloux. Nous avons aussi un fournisseur italien, qui nous envoie chaque semaine des légumes de Campanie ou des Pouilles. Une tomate belge, c’est une catastrophe, se désole Francesco. Elle n’aura jamais le même goût qu’une italienne! Mais on ne travaille pas de tomates fraîches en hiver. » « En hiver, c’est navet, panais, rutabaga, carottes… Le premier plat qui est né ici, c’est d’ailleurs la parmigiana de céleri-rave! », rappelle Ugo.

Le sommelier Ugo Federico, désormais chef, et l’ancien journaliste Francesco Cury ont fait de Racines l’un des meilleurs restaurants italiens de la capitale! Photo Bernard Demoulin

Chez Racines, la carte explore différents terroirs d’Italie: Toscane, Campanie, Sicile et même au-delà. « En Italie, il n’existe pas une cuisine nationale, ni même une cuisine régionale. A l’intérieur d’une région, chaque ville a sa cuisine et dans une ville, chaque quartier, chaque rue… La sauce al ragù de ma mère, qui habite à Florence le quartier de Sant’Ambrogio, qui donne vers le Chianti, contient du vin rouge. Par contre, celle de la mère de mon pote Giacomo, qui habite à Le Cure, quartier qui regarde vers l’Emilie-Romagne, inclut du lait. C’est ça la richesse d’un pays comme l’Italie. C’est dans le détail qu’est le divin! », s’enflamme Francesco. 

Poulpe, scarole et sabayon au citron. Un plat de chez Racines qui joue élégamment sur l’amertume et l’acidité.

Une dimension sociale aussi importante que l’assiette!

Mais c’est aussi la dimension sociale au coeur du projet Racines qui surprend, au vu des standards de l’Horeca. Une philosophie de vie et de travail qui explique aussi les prix, assez élevés, pratiqués ici. « La qualité de vie du personnel est la chose la plus importante. C’est aussi important que la qualité de l’assiette, confie Ugo. Personne ici n’a des horaires coupés, sauf nous. Nos employés travaillent 8 heures par jour. Et s’ils font des extras, ils sont payés à 150%. L’année passée, notre chiffre d’affaires était d’un million d’euros et on a dépensé un million d’euros… Mais avoir ma cuisine, c’est beaucoup plus important que l’argent! »

Francesco renchérit: « Nous avons été parmi les premiers à installer la boîte noire. On en a discuté avec notre comptable. On s’est dit que si, dans les quatre ans, notre entreprise était saine avec la boîte noire, cela voulait dire qu’elle pouvait vraiment tenir le coup. Quand tout le monde aura adopté la boîte noire, les prix des autres restaurants s’aligneront sur les nôtres. De toute façon, ce qui compte, c’est que nos employés soient contents de travailler chez nous. Avec son salaire, notre plongeur vient même de s’acheter une maison! »

L’art de la pasta chez “Racines”, c’est par exemple ce plat de spaghettis aux oursins. Une petite merveille difficile à oublier… Photo Bernard Demoulin.

Eloge de la simplicité

Si le concept Racines était bien ficelé, côté cuisine, les premiers pas d’Ugo Federico ont été parfois difficiles. Certes, les plats sortaient de l’ordinaire, mais le chef, qui n’a pas fait d’école hôtelière, était confronté à ses limites techniques. Pourtant, grâce à un travail acharné, et à un talent certains pour marier les ingrédients, il a rapidement évolué. D’autant qu’il s’est entouré d’une équipe professionnelle. « Aujourd’hui, on fait un vrai travail d’équipe. C’est ça Racines 2.0! On parvient à faire des choses techniques qu’on ne parvenait pas à faire avant », confie Ugo.

Une nouvelle ambition, plus gastronomique, est ainsi née… « On a fait le choix d’enlever de la carte les produits que tout le monde peut avoir au resto. Aujourd’hui, de la bonne burrata, on la trouve partout! Dorénavant, tout arrive le matin-même et tout est travaillé maison », raconte Francesco, qui ne cache pas que décrocher une étoile serait une garantie économique pérenne pour l’établissement, ainsi qu’une belle reconnaissance. Alors Ugo explore des terrains nouveaux. Il tente par exemple une anguille au vert à l’italienne, avec des aubergines, des olives et une sauce à base de persil, de pain, des jaunes d’oeufs, des câpres et du vinaigre. Pour la présentation, on peut mieux faire. Mais le plat est malin, les accords réussis et le résultat est très savoureux. On est sur la bonne voie!

Mais les deux amis le savent, on vient pour l’instant chez Racines chercher une gastronomie traditionnelle de qualité. Les classiques de la maison sont d’ailleurs loin d’être des plats sophistiqués: crespelle de farine de pois chiches, pâtes bottoni, bombe fritte, ravioli capresi« Racines défend les recettes de nos grands-mères italiennes. L’âme de Racines c’est ça! », reconnaît Francesco. 

Ce sont effectivement ces plats traditionnels repensés qui ravissent chez Racines, ainsi que la sélection pointue de vins italiens. La cuisine d’Ugo Federico se révèle d’ailleurs dans la simplicité. Que dire de la perfection atteinte dans la fabrication des pâtes! N’est-ce pas cela la gastronomie italienne? Etre transporté par de simples mais exceptionnels spaghettis relevés d’une sauce parfaite à base de petites tomates en grappe du Vésuve et de quelques feuilles de basilic… On ferme les yeux, on sourit, on est à Capri.

Spaghettis à la semoule de blé dur, sauce intense à la tomate. Pas de fioritures, la perfection italienne.

 

Le Petit Racines

On en rêvait, ils l’ont fait! Francesco Cury et Ugo Federico, les deux compères de chez Racines à Ixelles, viennent d’ouvrir, juste à côté de leur restaurant: Le Petit Racines, un atelier de fabrication de pâtes et un bistrot à pâtes fraîches sous-titré « pasta fresca e vino buono » (pâtes fraîches et bon vin), deux domaines dans lesquels excelle notre duo.
Au menu, des fromages et des charcuteries italiens choisis avec soin (12 ou 18€ la planche).

Mais on a surtout aimé un saucisson napolitain à se damner, servi avec des friarielli (brocoli-rave). Où ressurgit le souvenir de la saucisse que l’on mangeait chez la Nonna…

Et surtout cinq formats de pâtes maison – que l’on pourra aussi emporter à 14€/kg -, pour autant de plats régionaux. Sauf qu’ici, contrairement à Racines, on travaille la viande, pour rendre hommage à la richesse des ragù italiens, dont on trouvera ici trois versions gourmandes.

Avec par exemple d’excellents fusilloni genovese (une spécialité… napolitaine), avec une sauce blanche à base d’oignons et de veau fondant.

Ou des tagliatelle alla Modenese, comme en Emilie-Romagne, tout simplement incroyables, avec une sauce à base de joue, queue et langue de boeuf inspirée du grand Massimo Bottura lui-même (15,50 ou 18€). A faire couler avec un verre de vin nature italien (4,50-7,50€).

Tandis que la pasta alla chitarra à la sauce tomate (12 ou 14,50€) est plus rustique que celle de chez Racines mais bonne comme à la maison (en tout cas celle d’un Italien)!

Avec une addition tournant autour de 25€ par personne, l’endroit devrait faire un carton! 

Envie d’y goûter?

347 Chaussée d’Ixelles, 1050 Ixelles.
Ouvert midi et soir. Fermé le lundi. Pas de réservation.
Rens.: www.racinesbruxelles.com.

Chez Racines, même les pains sont faits maison et font voyager en Italie. Brioches au fromage comme à Naples, tigelle comme à Modène et pain toscan.