Créée il y a 8 ans, Nectar & Co est l’une des seules coopératives en Belgique à valoriser les produits et sous-produits de la ruche et surtout à les transformer. Trois miels belges (ville, campagne et forêt), quatorze miels monofloraux européens bio sélectionnés avec soin, trois hydromels, un vin de miel, du vinaigre, de la Beester (une moutarde contenant 34% de miel)… A 36 ans, Xavier Rennotte fourmille de projets autour de son produit préféré. Il a même créé « Bee Box world », un site de vente en ligne de matériel apicole. Et il ouvrira bientôt, à Gembloux,  un immense show-room qui accueillera matériel et produits.

Au coeur de la ruche

Rendez-vous avec Xavier Rennotte place Jourdan à Etterbeek. Cet « hydromelier apiculteur » a installé quelques-unes de ses ruches sur un des toits de l’hôtel Sofitel. Le directeur est un ami — ils se sont rencontrés lorsqu’ils étudiaient la gestion hôtelière à Namur — et ses clients sont ravis de pouvoir déguster tous les matins un rayon de miel frais au petit-déjeuner!  Xavier est un peu la star des lieux, tous les membres du personnel le reconnaissent lorsqu’il traverse les couloirs de l’hôtel. Et même les clients ne sont pas effrayés à la vue d’un drôle de monsieur en combinaison d’apiculteur… Souvent ils l’arrêtent pour faire une photo : « C’est le monsieur qui fait le miel du petit-déjeuner! » 

Après avoir traversés une série de locaux techniques, nous voici enfin arrivés sur un toit offrant une vue imprenable sur le parc Léopold. Là-haut, sont installées cinq ruches, habitées par 220000 abeilles. Le lieu est parfait, nous dit l’apiculteur, en pointant du doigt le point d’eau, les châtaigniers et les tilleuls en fleurs: « Pour vivre, les abeilles ont besoin de miel, de pollen et d’eau… »

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« Pour faire du miel, explique Xavier Rennotte, l’abeille va récolter le nectar qui se trouve dans la corolle des fleurs. Grâce aux enzymes présentes dans son intestin, elle va dégrader les sucres complexes contenus dans la fleur pour en faire des sucres simples plus facilement digestes pour les êtres humains. »

Comme c’est la période de récolte, l’apiculteur contrôle toutes les ruches. Pour ce faire, il utilise un petit fumoir pour signaler sa présence aux abeilles. « En fait on prévient tout le monde qu’on vient travailler. Hein, mesdemoiselles? Il faut parler aux abeilles; les gens pensent qu’elles n’ont pas d’âme mais que du contraire. » Ces demoiselles sont des Buckfast, des abeilles d’origine anglaise, moins agressives que les abeilles noires wallonnes protégées par une sentinelle Slow Food, car plus adaptées à la ville.

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Le miellat, un délice

La ruche, explique Xavier, est constituée d’une zone de vie et de greniers à miel. Sortant un rayon de miel, le jeune homme poursuit: « Les abeilles vont operculer les cellules avec de la cire quand le taux d’humidité du miel ne dépasse plus les 18%; il pourra ainsi se conserver sans se dégrader. Ici 80% des cellules ont été operculées, ce miel peut donc être récolté!»

Glissant un doigt dans une alvéole hexagonale, on en sort un miel délicieux et plutôt sombre. « Il s’agit d’un miel de miellat, commente Rennotte. Les abeilles récoltent parfois ce liquide épais excrété par différents insectes sur des végétaux à la place du nectar et en font du miel… »

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« Dans cette colonie, il y a 75000 individus, qui ont des tâches particulières. Les butineuses récoltent le nectar puis retournent à la ruche, où d’autres abeilles prennent ce miel dans leur jabot. Les magasinières sont là pour ventiler, stocker et operculer le miel. Il y a ainsi une dizaine d’échanges qui vont se faire entre les abeilles. » « Tu montres ta petite langue à madame? », plaisante l’apiculteur en désignant une abeille crachant du miel dans une cellule avec sa langue.

Quand il extrait un rayon de la ruche, Xavier Rennotte le fait de façon chirurgicale. « Il ne faudrait surtout pas écraser une abeille et exciter la colonie! » « Une ruche peut produire 30 à 40 kg de miel par an; on fait donc environ 120 kg de miel ici… Cette année, à Bruxelles, j’ai deux ruchers, un au Sofitel et un autre chez Rob. J’en ai aussi à « L’Air du temps »** de San Degeimbre pour polliniser son grand jardin… En tout, j’ai des ruches dans une dizaine d’endroits en Belgique. »

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La propolis, mieux que l’antibiotique

En pénétrant plus profondément dans la ruche, on s’approche du nid… « Plus on descend vers le nid, plus les abeilles sont nerveuses », explique Xavier, tout en les enfumant. « Salut les filles! Petite visite de courtoisie. » Dans les nouveaux rayons que l’on découvre, il y a du pollen. « Elles le stockent pour pouvoir faire de la gelée royale. Le pollen est lacto-fermenté pour qu’il se conserve. C’est un peu comme de la choucroute… » Au goût, l’acidité est étonnante!

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Les cadres sont colmatés avec de la propolis, une substance résineuse qui a une odeur de sapin que les abeilles récoltent et mastiquent. « La propolis, c’est l’antiseptique de la colonie. Après chaque naissance, les abeilles en mettent une couche dans la cellule pour l’aseptiser. Certaines infections nosocomiales sont d’ailleurs soignées grâce à ça! »

Ici, on croise quelques mâles, des faux-bourdons, peu nombreux et ne piquant pas. Dans d’autres rayons, certaines cellules contiennent des petites barrettes blanches. « Ce sont des oeufs frais. S’il est droit, c’est qu’il a un jour, s’il est un peu penché deux jours et s’il est au fond trois. De l’oeuf à l’abeille, il y a 21 jours. »

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Gang bang dans la ruche

Et, enfin, voici la reine! « Cette abeille unique est née dans une cellule royale, plus grande et ressemblant à une arachide. Elle est exclusivement nourrie à la gelée royale. La reine ne sort qu’une fois dans sa vie pour se faire féconder par 15 à 20 mâles. Il y a un gros gang bang!, rigole l’apiculteur. Elle possède ainsi des spermatozoïdes pour une vie entière, c’est-à-dire plus ou moins 5 ans… Quand la colonie est à son paroxysme, qu’il y a beaucoup de nourriture et que la ruche est suffisamment grande, il y a alors essaimage. L’ancienne reine s’en va avec une partie des abeilles pour créer une nouvelle colonie. Mais avant de partir, elle aura pondu de futures reines, qui vont pérenniser la colonie existante. Comme elles naîtront en même temps, il y aura un combat. Celle qui aura tué toutes les autres deviendra la nouvelle reine de la colonie. Des gens comme Napoléon ou Mao se sont inspirés du fonctionnement des abeilles. C’est un des mondes les mieux organisés! »

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On assiste enfin à la naissance de quelques abeilles, avant de se dire au revoir. « Je vais bientôt terminer les nanas, j’en ai plus pour longtemps », leur susurre Xavier Rennotte…

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Envie d’y goûter?

=> Nectar & Co. Rens. et vente en ligne: www.nectar-co.com.

 

Nectar & Co en chiffres

  • CA 2016: 490.000€.
  • 60: le nombre de colonies d’abeilles que possèdent Xavier Rennotte et ses 2 collègues
  • Lesquelles produisent 1 tonne de miel par an.
  • Une dizaine: le nombre d’apiculteurs indépendants qui travaillent pour Nectar & Co.
  • 3 tonnes: total de miel belge vendu par an.
  • 25 tonnes: total de miels européens vendus par an.
  • 175: le nombre total de point de ventes.

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L’hydromel, un futur carton!

« En Afrique, les abeilles nichaient dans les cavités des baobabs. Les chasseurs-cueilleurs — les premiers à avoir récolté du miel — se sont retrouvés un jour devant un arbre foudroyé. L’arbre était coupé en deux et la ruche était sous eau, le miel avait fermenté. Ils ont ramené la ruche au village, ils ont goûté et apprécié… Voici comment, selon la légende, est né l’hydromel », raconte Xavier Rennotte.

L’hydromel, est une des premières boissons alcoolisées que l’homme ait bu. « Les premières traces d’hydromel remontent au néolithique. Mais les premiers à l’avoir utilisé de façon industrielle, ce sont les égyptiens, car il d’agissait de la boisson des divinités. Les Grecs et Romains en ont consommé aussi, tout comme les Gaulois! »

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Une fermentation naturelle

Titrant entre 10° et 18°, l’hydromel est produit à base d’eau et de miel, par fermentation. Une fermentation naturelle, grâce aux levures présentes dans le miel, ou à base de levures exogènes, brassicoles ou vinicoles. « Hydromel est le mot générique car on trouve des hydromels à base de fruits, comme le chouchen breton, obtenu par la fermentation du miel dans du jus de pommes. Le metheglin (un vieux mot gaulois) est un hydromel auquel on a ajouté des herbes ou des épices. Tandis que le braggot est un mélange de miel, de houblon, d’orges et d’épices proche de la cervoise. On vient d’ailleurs d’en faire un avec le Brussels Beer Project », s’enthousiasme l’apiculteur.

En janvier dernier, « Forbes » prédisait qu’après le cidre, l’hydromel serait la prochaine boisson tendance! Ce qui s’explique par la volonté de redécouvrir de vieilles traditions mais aussi de fabriquer des boissons artisanales avec des ingrédients bio et le plus souvent locaux. Sans compter que l’hydromel représente un alternative intéressante aux intolérants au gluten, sans cesse plus nombreux…

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Un produit durable

« La Belgique a toujours été une terre d’hydromel, précise Xavier Rennotte. Pour produire 1 kg de miel, il faut une ruche; pour produire 1 kg de sucre de betterave, il faut des tracteurs, des machines, des pesticides… Produire de l’hydromel, cela a donc du sens. C’est une boisson noble, locale et durable. Je suis toujours sidéré quand je vois le foin que l’on fait autour des bières belges, alors que l’orge vient du Canada, le houblon de Chine… »

En fait, dès la création de « Nectar & Co » en 2009, l’objectif de l’apiculteur a été de faire de l’hydromel son produit phare. « J’ai fait mon mémoire en sciences commerciales à l’ICHEC sur la création d’une entreprise viable autour de l’hydromel. Cela fait 26 ans que je suis apiculteur. Le miel, c’était la vache à lait de l’entreprise; il fallait vivre. Cela fait trois ans qu’on a lancé la production d’hydromel. Aujourd’hui, on fait 5000 bouteilles et 3 sortes d’hydromel. C’est encore anecdotique; le but est d’arriver à 20000 bouteilles! Le rêve, ce serait de faire des hydromels monofloraux, que l’on ferait fermenter séparément et de faire des assemblages de cépages, comme pour le vin. Personne ne fait ça aujourd’hui, on serait les premiers! »

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Le miel, un produit de plus en plus rare

Les populations d’abeilles connaissent un déclin important partout dans le monde. Le phénomène est alarmant, puisque l’abeille exerce un rôle majeur dans la production de notre alimentation grâce à la pollinisation. « La disparition des abeilles est un problème multi-factoriel, estime Xavier Rennotte. Il y a bien sûr l’utilisation massive des pesticides, qui sont des armes létales. Mais il y a d’autres causes. A la campagne, l’alimentation de l’abeille n’est pas assez diversifiée. Or, l’abeille a besoin d’une flore variée car dans les différents types de pollens on retrouve des protéines et des vitamines différentes. En région namuroise, d’où je viens, après le printemps, l’abeille n’a plus grand chose à butiner. Le colza est une source importante de nectar à la campagne mais ce n’est pas une culture très propre. A Bruxelles, on a de la chance d’avoir une ville verte bien fournie. On retrouve ici presque deux fois plus de types de plantes dans les miels toutes fleurs que dans les miels de campagne! Mais Bruxelles ne peut pas non plus nourrir 10000 ruches! » 

Les changements climatiques lourds ont aussi un impact sur les récoltes de miel. « Cette année, nous avons eu un début printemps magnifique, les ruches se sont très bien développées et puis il a commencé à dracher, à faire froid et les abeilles ont dû rester à l’intérieur. Elles se sont mises en arrêt de travail, cela a donc un impact sur la récolte future. »

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Concevoir l’apiculture autrement

Mais pour Xavier Rennotte, le problème de la raréfaction du miel est plus vaste. Il tient aussi à la conception même de l’apiculture. « Il faut que les apiculteurs arrêtent de se dire que les abeilles sont à notre service. C’est le contraire, nous sommes des bergers d’abeilles, nous sommes à leur service. Pour l’instant, on fait de l’apiculture incohérente! Aux Etats-Unis par exemple, l’abeille est devenue une machine. Ils font de la pollinisation par transhumance, en bougeant les colonies sur d’énormes distances. Les abeilles sont en permanence sous perfusion d’antibiotiques et on leur donne de l’eau sucrée et des protéines. En Californie, les apiculteurs refusent désormais de mettre leurs abeilles dans les vergers d’amandiers tellement c’est chargé en pesticides! Aujourd’hui, ils sont payés 110€ la ruche pour la semaine de pollinisation; c’est plus rentable que de faire du miel! Alors qu’il y a 20 ans, c’était les apiculteurs qui payaient pour mettre leurs ruches chez les agriculteurs… »

En Belgique aussi on fait de l’apiculture incohérente? « Dans la ruche, il y a une zone de vie et une zone de récolte. Demain, si je retire les trois greniers où les abeilles stockent leur miel, elles n’auront pas assez de nourriture et c’est la mort assurée. Pourtant, il y a des pontes de l’apiculture en Belgique qui vont récolter tout le miel en nourrissant leurs abeilles avec de l’eau sucrée. Résultat, on se retrouve avec du miel produit avec de l’eau sucrée… C’est du non sens! Même si, soyons honnêtes, 80% des apiculteurs belges nourrissent leurs abeilles après la saison car pas il n’ y a tout simplement pas assez de nourriture, de biodiversité. »

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Belgique: 70% d’importation

Aujourd’hui, la production belge ne couvre plus que 30% de la consommation. Le reste vient en effet de l’étranger (dont 85% hors Europe). « La Belgique est la championne du monde de l’importation de miels asiatiques. Petits, on a tous été chez Meli park. Meli est pourtant le plus grand importateur de miel chinois! De plus, si on analysait un miel industriel en détail, on se rendrait compte qu’il est en état de mort clinique. Ces miels sont ultrafiltrés et ultrachauffés pour obtenir un liquide transparent débarrassé de toute crasse », déplore Xavier Rennotte. Se demandant s’il s’agit encore là de miel, produit censé être 100% naturel.

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