Le 11e Salon du goût-Terra Madre Slow Food s’est clôturé hier soir à Turin. Durant cinq jours, des centaines de milliers de personne ont vécu concrètement la philosophie du « manger bon, propre et juste ». Au coeur des débats, notamment, le rôle capital que joueront à l’avenir les jardins, qu’ils soient ruraux, scolaires ou urbains.

 

La révolution sera potagère

 

Cette année, les grandes conférences de Terra Madre se déroulaient au Teatro Carignano, beau théâtre à l’italienne du XVIIe siècle, situé dans le centre de Turin. C’est là, face à un public curieux (5000 personnes au total), qu’étaient débattues les grandes questions qui ont traversé la 11e édition du Salon du goût-Terra Madre: agro-écologie, migrations, changement climatique, modèles de société alternatifs…

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Comme en 2014, la Californienne Alice Waters, vice-présidente de Slow Food International, avait fait le voyage en Italie pour parler du développement de son projet « Edible Schoolyards », dont l’idée est née chez la chef de « Chez Panisse » après la visite d’un potager en prison en 1994… « Quand j’ai vu ces détenus qui n’avaient plus envie de sortir de prison de peur de ne plus pouvoir travailler leur jardin, je me suis dit que cela pourrait certainement fonctionner dans les écoles… », se souvenait en souriant Waters samedi après-midi, lors de la conférence « La révolution du potager ».

Des jardins pour apprendre

Lancé il y a 20 ans dans une école primaire de Berkeley, le projet a aujourd’hui essaimé partout aux Etats-Unis et même dans le monde. Quelque 5200 écoles ont ainsi créé leur potager, où les enfants apprennent non seulement à cultiver la terre mais aussi à cuisiner la récolte à la cantine. Tandis que le prof de maths peut donner cours au jardin, en additionnant de vraies pommes et de vraies poires. Là où la géographie peut être enseignée à travers les échanges des aliments entre continents au cours de l’Histoire…

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Forte de ce succès, Alice Waters est plus décidée que jamais à remettre une alimentation de qualité au centre de l’enseignement américain. « Laissez-nous nourrir chaque enfant gratuitement. C’est cela l’égalité!, clamait-elle, sous les applaudissements du public turinois. C’est aussi la seule façon de prendre soin des fermiers locaux. Ce serait une bonne idée que notre président, avant de quitter le bureau oval, décide d’inscrire cela une bonne fois pour toutes au coeur du système éducatif américain! »

10000 jardins en Afrique

Ce sont les « Edible Schoolyards » d’Alice Waters qui ont servi d’inspiration au projet « 10000 jardins en Afrique », lancé par Slow Food en 2010. Coordinateur du projet, l’Ougandais Edie Mukiibi faisait partager à Turin son enthousiasme pour ce programme qui ne cesse de grandir. « Que pouvons-nous faire, nous Africains, pour aider notre terre mère?, s’interrogeait-il. On doit montrer la puissance de nos communautés pour nourrir nos peuples. Ce projet est soutenu par Slow Food non pas pour nous apprendre à cultiver la terre — ça, on sait le faire depuis des milliers d’années — mais pour nous aider à résister aux multiples pressions. On a commencé avec un jardin dans une école, puis deux, puis trois. Aujourd’hui, on a supporté plus de 3000 initiatives. (…) L’Afrique souffre d’une mauvaise gouvernance. Avec ce projet, mené dans 42 pays, nous sommes en train de créer les futurs dirigeants du continent… Certains des enfants de 2010 sont aujourd’hui à l’université, sont venus étudier ici à Pollenzo. En rentrant, ils ont décidé de créer un jardin dans leur université… Ils sont restés du bon côté de l’alimentation. »

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Pour Edie Mukiibi, il ne s’agit pas seulement en effet de cultiver la terre: « Je ne vois aucune opportunité de transformation sociale aussi puissante qu’un jardin à l’école. En un an, la vie sociale est complètement transformée, la façon dont les élèves se comportent entre eux, avec les professeurs, le regard qu’ils portent sur eux-mêmes change radicalement. (…) Dans beaucoup de pays africains, on était paysan par punition. Avec ces potagers, les enfants développent une attitude positive vis-à-vis de la terre et de la vie… »

 

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Un potager au coeur de South L.A.

Le troisième intervenant, Ronnie Finley, a beau être né à des milliers de kilomètres de l’Afrique, il partage le même sentiment. Black d’une quarantaine d’années, de l’humour à revendre, il a grandi et vit dans un quartier pauvre de South Los Angeles. Où, un beau jour, il s’est mis à cultiver son potager devant chez lui pour ne plus devoir faire des kilomètres en voiture pour trouver des légumes frais. Le jardinier urbain estime qu’il est de son devoir de changer les mentalités afro-américaines, où le travail de la terre a trop longtemps été associé au passé esclavagiste de l’Amérique…

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« On ne trouve pas de bon produits dans ma communauté, se désole-t-il. On nous a fait croire que la modernité, c’était de manger des boîtes. Mais on devrait apprendre à être autosuffisant. Je n’ai pas besoin de cinq églises dans mon quartier, alors qu’il n’y a pas de magasin bio ou de marché fermier! C’est cela mon prochain combat. Je sais que beaucoup resteront amorphes… Moi, j’ai pas besoin de regarder « Walking Dead », il suffit d’ouvrir ma porte pour voir des zombies. Mais il faut les réveiller! » 

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Finley, qui milite pour rendre le jardinage sexy en posant fièrement en photo une bêche à la main ou en affirmant avoir les tétons qui pointent quand il pense au compostage, se souvient qu’au début, dans son quartier, on le prenait pour un fou. Aujourd’hui, son cas est étudié à l’université. Ce qui le fait doucement rigoler. « A l’université, on vous dit comment penser. Mais personne ne doit vous dire ce qu’il faut penser! On est tous libre d’imaginer la vie qu’on veut mener. Vivez votre vie comme vous l’entendez, plutôt que de vous la laisser dicter par les compagnies de fast-food ou par ces institutions sensées nous protéger! » 

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Désobéissance civique

Un message de défiance face à la politique, voire de désobéissance civique, qui a traversé toute cette édition 2016 de Terra Madre…  Lors d’une autre conférence sur l’agroécologie, Anuradha Mittal, fondatrice en 2004 du think tank écologiste Oakland Institute à Berkeley, estimait ainsi: « Nous savons que nous sommes en mesure de nourrir la planète. On ne doit pas se laisser abuser en acceptant les miettes que le système actuel nous offre, comme le bio, qui n’est pas une alternative suffisante à la production classique. Nous devons changer les règles du jeu. Il faut agir sans demander l’autorisation! »

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« Ce sont des géants mais nous sommes des millions. »

L’un des slogans qui rythmaient la joyeuse Parade Terra Madre qui, vendredi soir, a vu défiler dans les rues de Turin 7000 délégués de Slow Food venus de 143 pays différents.

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Toute la ville à l’heure Slow

 

Slow Food a joliment fêté son 30e anniversaire en disséminant son Salone del Gusto dans tout Turin. Si la Ville a réduite ses subventions, elle a par contre offert ses plus beaux lieux publics. Que ce soit le parc du Valentino pour le marché, le Castello del Valentino pour les forums Terra Madre, le Borgo medievale pour Slow Food Educazione, la cour du Palazzo Reale pour l’oenothèque, la piazza Vittorio Veneto pour l’espace micro-brasseries italiennes ou encore une galerie de la via Po pour la « Via del Gelato », où l’on se régalaient de glaces et sorbets à base de Sentinelles Slow Food.

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Avec l’argent économisé en ne louant plus l’immense Lingoto Fiere, Slow Food avait choisi de rendre le Salon totalement gratuit cette année. Résultat, avec le soleil qui a brillé sur Turin samedi et dimanche, ce sont des centaines de milliers de personnes qui se sont promenées dans les divers espaces du Salon, pour acheter les meilleurs produits artisanaux d’Italie et du monde, mettre en application la philosophie du « Manger bon, propre et juste », rencontrer des producteurs du monde entier, goûter à des saveurs inédites dans les cuisines de Terra Madre ou assister à des dizaines d’ateliers et de conférences…

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Et si passer d’un endroit à l’autre de la ville ne fut pas toujours de tout repos, le pari semble réussi pour Carlo Petrini, heureux que les visiteurs du Salon du goût aient, pour la première fois, pu découvrir le vrai visage de Turin à travers quelques-uns de ces bâtiments les plus iconiques au lieu de rester enfermer toute la journée dans un bâtiment en béton…

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« Comme on l’a fait pour l’esclavage, il faut abolir la guerre. »

Gino Strada

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Détenteur du prix Right Livelihood 2015, le chirurgien italien intervenait dans une conférence sur les réfugiés et la terre. « Les problèmes de migration sont clairement liés à ces guerres que l’Occident a menées en Afghanistan, en Syrie, en Libye…, estime-t-il. Comment sortir de cela? Il faut arrêter les guerres! Il faut faire pression sur nos gouvernements pour interdire les guerres par la loi. »

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L’anarchie austère selon Carlo Petrini

 

Dimanche matin, l’ancien chroniqueur gastronomique Carlo Petrini, instigateur du mouvement Slow Food il y a tout juste 30 ans, tirait un premier bilan de cette 11e édition du Salon du Goût. Il y a deux ans, le Piémontais semblait encore pouvoir peser, avec d’autres ONG internationales comme Greenpeace, sur un changement radical de société venant des gouvernements. Cette année, le discours a changé…

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Si Slow Food continue de travailler avec la FAO, la Commission européenne ou le Programme alimentaire mondial, Petrini a en effet remis l’accent sur l’idée d’une transformation venant de la société civile. Il a ainsi encouragé à l’autonomie des quelque un million de personnes engagées dans le réseau Slow Food. « Slow Food doit être créatif localement. Les 7000 délégués réunis ici ont pris confiance en eux, en leur potentiel créatif, s’enthousiasmait Petrini. Quand ils rentreront chez eux, ils vont prendre de nouvelles initiatives partout dans le monde, dont on n’entendra sans doute jamais parler, mais dont certaines pourront nous inspirer à l’avenir. Je ne peux pas aller en Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie pour leur dire ce qu’ils doivent faire. Il faut laisser la diversité s’exprimer de façon anarchique. Mais dans une forme d’anarchie austère… L’anarchie est l’expression la plus radicale de l’individualisme mais, si elle est sérieuse, respectueuse de l’autre, cela devient un atout collectif… »

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