La seconde étape de notre tour de France gastronomique, que nous vous proposons tous les samedis dans « La Libre Belgique », nous emmène ce week-end dans le nord de la Provence, de la Drôme provençale aux pieds du Mont Ventoux, une région où la nature est d’une rare prodigalité! A la rencontre de deux jeunes chefs: Jérôme Blanchet, qui régale dans son bistrot locavore à Crillon-le-Brave, et Julien Allano, dont la cuisine étoilée fait mouche à Grignan.
Petit tour dans le Sud de la France
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6 août: Lyon, des bouchons à Bocuse
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13 août: la Drôme provençale et le Mont Ventoux
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20 août: le Lubéron et les Alpilles
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27 août: Marseille et la Camargue
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3 septembre: le Quercy et le Périgord
Toute la Provence dans l’assiette
A l’horizon, on ne voit que lui, avec son sommet lunaire aux reflets blancs. Surnommé le mont Chauve, le Ventoux règne, du haut de ses 1911 mètres d’altitude, sur la Provence. A ses pieds, s’étirent de vastes plaines, riches en cultures en tous genres.
A commencer par les vignes, omniprésentes dans la région et qui offrent parmi les plus belles appellations des côtes-du-rhône. En se promenant sur les routes de campagne du Vaucluse, le nom des villages fait rêver: Gigondas, Vacqueyras, Cairanne, Rasteau, Beaumes-de-Venise… Sans oublier, un peu plus au sud, le vin roi: le châteauneuf-du-pape, dont le vignoble s’est développé sous le règne de Jean XXII, premier pape avignonnais en 1316.
Asperges, cerises, agneau, truffe…
Mais il n’y a pas que le vin qui fait la richesse du nord de la Provence. Cette belle région bénie des dieux n’est en effet pas avares de ses richesses! On s’enorgueillit ici des asperges de Mormoiron, du porc et du muscat du Ventoux, du petit épeautre de Sault, mais aussi des cerises des Monts de Venasque, cultivées dans 21 communes du Comtat Venaissin et du Mont Ventoux.
Truites de la Sorgue, sandre du Rhône, agneau de la Crau et des Alpilles voisines complètent le paysage d’une terre également réputée pour ses melons, ses amandes, ses miels ou ses olives – Nyons est juste au nord, en Drôme provençale. Sans oublier, en hiver, la truffe noire. Car aujourd’hui, c’est le sud-est de la France, et principalement le Vaucluse, qui fournit 80% de la production française, contre 20 % seulement pour le Sud-Ouest. Avec, comme principal marché truffier, celui de Carpentras, de novembre à mars.
Un bistrot locavore
Dans le charmant village de Crillon-le-Brave, situé à quelques kilomètres du Ventoux, le chef Jérôme Blanchet démontre au quotidien la richesse du terroir provençal. Après avoir bossé au « Faventia », un étoilé de Grasse, celui-ci a poursuivi sa formation pendant cinq ans aux fourneaux du Negresco, le célèbre palace niçois. C’est là qu’il a été débauché, début 2013, par l’hôtel Crillon-le-Brave, somptueux relais-château au luxe campagnard dont les chambres sont installées dans huit maisons du village.
A la carte du restaurant gastronomique à son nom, Blanchet mitonne une belle cuisine française, gourmande et classique. Inspiré par le terroir qui l’entoure, le jeune chef a également décidé de proposer aux clients de l’hôtel un bistrot locavore. Aux prix très abordables vu l’endroit (42€ le menu 3 serv.), son Bistrot 40K ne travaille en effet que des produits provenant de 40 km à la ronde! Cela exclut par exemple le bœuf. Mais pas la gourmandise!
Un fantastique pâté de campagne
Un repas au « Bistrot 40K » débute à l’apéritif par un formidable pâté de porc et foies de volaille du Ventoux, servi avec une tapenade d’olives noires de Nyons. Une fois la terrine posée sur la table, plantée d’un couteau, difficile de la laisser repartir!
On retrouve ce magnifique porc plein air, en version poitrine confite, dans une belle salade de lentilles de Sault bien assaisonnée.
Le chef travaille également l’agneau Comtes de Provence (Sisteron étant un peu trop loin) dans un merveilleux navarin. La viande est aussi tendre que les petits légumes de saison du Jardin d’Olivier sont croquants. Un véritable régal!
Le meilleur de la Provence
Impossible évidemment de passer ici à côté d’un grand classique provençal: la soupe au pistou, joliment préparée.
Pistou que l’on retrouve dans le risotto de petit épeautre de Sault aux courgettes, malheureusement pas assez al dente ce soir-là.
Du côté des desserts, on joue encore plus la carte de la simplicité avec la très bonne faisselle de Mme Henrietto (qui fournit également les chèvres frais du formidable petit-déjeuner de l’hôtel) accompagnée de quelques douceurs locales. Tandis que le clafoutis s’offre des cerises du Comtat.
A Crillon, on dévore le meilleur de la Provence, tout en sirotant de merveilleux crus locaux. De quoi donner sérieusement envie de partir ensuite à la découverte de la région à travers ses petits producteurs locaux…
Les ruelles et le château de Crillon-le-Brave
Envie d’y goûter?
=> Bistrot 40K, hôtel Crillon-le-Brave, Place de l’Eglise 84410 Crillon-le-Brave.
Rens.: +33.4.90.65.61.61 ou www.crillonlebrave.com.
En saison, Jérôme Blanchet organise également de luxueux week-ends autour de la truffe (hébergement 3 nuits, menus dégustation, séance de cavage…) à partir de 1185€.
Un étoilé à Grignan
Au cœur de la Drôme provençale, dans le village historique de Grignan, couronné d’un superbe château, une belle demeure du XVIIe siècle accueille Le Clair de la Plume, un hôtel-restaurant de charme. Son nom poétique fait référence à la marquise de Sévigné (mère de la comtesse de Grignan de l’époque), enterrée dans l’église de Grignan et dont l’œuvre épistolaire est entrée dans la postérité. La petite ville organise ainsi chaque année un festival de la correspondance en hommage à son illustre invitée.
Une ruelle du vieux Grignan et la fontaine rendant hommage à Mme de Sévigné.
Au bruit des cigales
« On est en Provence ici, on entend les cigales ! » A 34 ans, Julien Allano est à la tête des cuisines du « Clair de la Plume » depuis janvier 2013. En Drôme Provençale, région de transition entre le Dauphiné et la Provence, le climat change et se fait méditerranéen. Commencent les paysages de lavande et d’oliviers et le chant entêtant des cigales… Dans ce cadre idyllique, le chef d’origine avignonnaise se sent comme un coq en pâte.
Epaulé depuis moins d’un an pour le sucré par Jean-Christophe Vitte, MOF et champion du monde des desserts glacés, Julien Allano a décroché en 2015 sa première étoile Michelin. Après avoir été à la tête des restaurants étoilés « La Mirande » à Avignon et « Le Palm Beach » à Ajaccio, c’était clairement un objectif pour lui.
Ce macaron récompense un jeune chef à la cuisine très mature, tout en sobriété et raffinement. « C’est clair, la première étoile m’a calmé, confirme Allano. Tuiles, points… Avant, j’empilais pour montrer. Un jour, j’ai voulu faire un lapin à la moutarde, retrouver le goût du plat de ma grand-mère. Je voulais le faire froid, en entrée, avec des carottes cuites, crues, en purée… Puis je me suis dit: quel est le message que tu veux faire passer ? Je veux préparer un lapin à la moutarde mais au final, il y a plus de carottes que de lapin… J’ai donc tout enlevé en ne laissant que quelques carottes en pickles. »
Des assiettes pour raconter
Et le jeune chef en a des choses à raconter dans l’assiette avec ces sardines marinées au sel et huile d’olive, légèrement grillées et accompagnées de cumin et de fines tartelettes aux poivrons. « Un plat qui nage entre deux eaux, entre Provence et Maghreb », explique ce petit-fils de pieds-noirs. « J’ai été élevé à la coca ! », un chausson algérien garni de tchekchouka, une farce à base de poivrons, tomates et oignons.
Mais Julien Allano met aussi superbement en valeur les merveilles locales – tous les producteurs avec lesquels le chef travaille sont listés à la fin de sa carte. Sa magnifique pintade est par exemple élevée à 20 km de Grignan, par Quentin Edmont (« Les Plumes portoises »), nourrie 120 jours avec des céréales qu’il produit lui-même. Confite 10h puis laquée et fumée à la réglisse, la volaille se métamorphose en une œuvre impressionnante de subtilité.
En 2010, “Le Clair de la Plume” était encore un bed & breakfast. On ne peut qu’être admiratif de l’ambition du directeur de l’hôtel, Jean-Luc Valadeau, qui a trouvé un chef et un chef pâtissier de talent pour offrir à sa clientèle une expérience intemporelle et élégante.
Au « Clair de la plume », on sait recevoir! Au petit déjeuner, le champagne est offert… ©Alain Maigre
Envie d’y goûter?
=> Le Clair de la plume. 2 place du Mail, 26230 Grignan.
Rens.: www.clairplume.com ou +33.4.75.91.81.30.
La route des vignes
Un gigondas bio: Domaine de Montirius
Avec ses vignes se prélassant aux pieds des célèbres Dentelles de Montmirail, le Domaine de Montirius propose de magnifiques gigondas ronds et épicés, comme la cuvée « Terre des aînés » (20€ la bouteille) mais aussi des vacqueyras, des côtes-du-rhône et des vins de pays de Vaucluse, tous certifiés bio. Le vignoble fut en effet, en 1999, le premier en biodynamie des appellations gigondas et vacqueyras.
=> 1536 route de Sainte-Edwige, 84260 Sarrians.
Rens.: www.montirius.com ou +33.4.90.65.38.28.
Un châteauneuf-du-pape ancestral: Château La Nerthe
Remontant au XVIe siècle, le vignoble du Château La Nerthe est l’un des plus anciens de Châteauneuf-du-Pape. Proposant des blancs d’une belle droiture (dont son prestigieux « Clos de Beauvenir »), le domaine, l’un des trois plus grands de l’appellation, est surtout connu pour ses grands crus en rouge, dont sa prestigieuse « Cuvées des Cadettes » (75€ la bouteille), réalisée pour la première fois à la fin du XIXe siècle.
=> Route de Sorgues, 84230 Châteauneuf-du-pape.
Rens.: www.chateaulanerthe.fr ou +33.4.90.83.70.11.
Un grand châteauneuf blanc: Château de Vaudieu
Si châteauneuf-du-pape est surtout réputé pour ses rouges, robustes et élégants, l’appellation recouvre également de grands vins blancs comme ceux du Château de Vaudieu, propriété de la famille Bréchet (qui possède également l’excellent Domaine des Bosquets en gigondas). La cuvée « Clos du Belvédère » (39€ la bouteille), 100% grenache blanc, tout en rondeur et gras, mais avec une belle minéralité, est particulièrement gouleyante!
=> Route de Courthézon, 84230 Châteauneuf-du-Pape.
Rens.: www.famillebrechet.fr ou +33.4.90.83.70.31.
Un vrai bon rosé de Provence: Domaine Vintur
La Provence est indissociable du rosé. Si sa production a trop longtemps été standardisée, on y trouve aujourd’hui parmi les plus beaux rosés au monde. Sans pouvoir prétendre à ce titre, les rosés ventoux AOC du Domaine Vintur près de Carpentras, racheté par le Britannique Graham Shore en 2010, sont de très jolis vins, secs et floraux et à des prix corrects (8€ la bouteille).
=> 5386 av. Saint-Roch, 84200 Carpentras.
Rens.: www.vintur.fr ou +33.4.90.28.82.72.
Quelques produits locaux
Olives et huile AOC de Nyons
Présents en Drôme provençale depuis plus de deux millénaires, les oliviers, parfois centenaires, couvrent encore les vergers de Nyons et des Baronnies. La Tanche, variété d’olive unique au monde, y offre des fruits charnus qui, récoltés de décembre à janvier, sont mûrs, noirs et ridés par les premières gelées. On les plonge ensuite dans une saumure au sel fin pendant six mois ou on les amène au moulin pour être transformées en une huile délicate de type fruité mûr.
Petit épeautre de Haute-Provence
Le petit épeautre, dont on retrouve les traces en Provence depuis plus de 7000 ans, a vu sa culture progressivement décliner au profit de céréales à plus haut rendement. Faible en gluten, riche en protéines, non modifié génétiquement, le « caviar des céréales » suscite un regain d’intérêt par les consommateurs soucieux de leur santé. Mais c’est surtout une surtout céréale qui fait par exemple merveille en « risotto » !
Nougat de Montélimar
Depuis un décret du 12 mars 1996, l’appellation « nougat de Montélimar » est réservée aux produits contenant au moins 30% d’amandes (ou 28% d’amandes et 2% de pistaches) et 25% de miel, auxquels s’ajoutent du pain azyme, du blanc d’œuf et de la vanille. Ce nougat tendre fait son apparition en Drôme provençale dans la seconde moitié du XVIIe siècle, lorsqu’Olivier de Serres introduisit dans la région la culture des amandiers. Une demande d’IGP (identification géographique protégée) est en cours de d’élaboration mais n’a pas encore été attribuée. Faites donc attention quand vous achetez ! Et n’hésitez pas à le mettre à votre table à Noël, puisqu’il fait partie des treize desserts du Noël provençal.