A la découverte de la cuisine anatolienne contemporaine de Maksut Askar (Neolokal à Instanbul), à l’occasion d’un dîner à quatre mains à Istanbul avec Christophe Hardiquest, chef doublement étoilé de Bon Bon à Bruxelles.
Maksut Askar, fier de son passé
Dans ce restaurant aux allures contemporaines, s’offrant un superbe panorama sur la Corne d’Or, tout respire la Turquie. De la playlist pop et jazzy turque à la vaisselle signée par des artisans locaux, comme les très beaux cuivres que l’on déniche chez SOY, en plein bazar stambouliote, ou à la carte des vins exclusivement turque, en passant évidemment par la cuisine. A travers recettes, ingrédients et techniques, celle-ci fait voyager dans toute l’Anatolie.
Un apprentissage constant
Dès son plus jeune âge, c’est au contact de sa mère et de sa grand-mère que Maksut Askar apprend la cuisine. Comme de coutume en Turquie, elle est surtout affaire de transmission. Mais le jeune homme ne s’imagine pas chef… Il s’oriente vers le tourisme et la gestion hôtelière et y apprend tout de même les bases de la cuisine. Durant ses études, il enchaîne les petits boulots dans l’Horeca. Derrière un bar, il découvre l’art de marier les saveurs. Passionné de design aussi, il collabore avec une galerie d’art et crée des expositions autour du goût. Ce touche-à-tout crée aussi une société de catering ou devient manager d’une société horeca portée sur l’événementiel.
C’est en 2007 qu’il se retrouve un peu par hasard à la tête de son premier restaurant à Istanbul, MultiMekan. Un speakeasy qu’il ouvre quelques fois par semaine seulement pour se faire la main et où défilent les meilleurs DJ’s. C’est un succès !
Dans les années qui suivent, il continue son apprentissage des fourneaux en enchaînant les adresses – Lilbitz puis Sekizistanbul – et en précisant petit à petit son style. Si Maksut propose d’abord une cuisine d’influence internationale, reflet de ses voyages, il va petit à petit introduire quelques touches plus locales. Avant d’avoir le déclic. “Qui étais-je pour cuisiner français ? Cela pouvait être une bonne copie mais certainement pas quelque chose d’authentique ! Je devais m’inspirer de ma propre culture”, se souvient le chef, qui se décide enfin à embrasser la cuisine anatolienne dans son Neolokal.
L’Anatolie comme source d’inspiration
Maksut Askar est originaire d’Antakya (Antioche), originellement en Syrie et devenue territoire turc en 1939. Une ville qui a fait partie de l’État d’Alep, après le démantèlement du multi-ethnique et multi-religieux Empire Ottoman. “Je viens d’un village aux frontières fluctuantes, où c’était une habitude de cuisiner et de partager avec le voisin, qu’il soit juif, catholique, arménien ou musulman”, confie Maksut Askar.
“L’Anatolie a accueilli diverses civilisations et 72 cultures. Il y a des Turcs, mais aussi des Grecs, des Géorgiens, des Syriens, des Kurdes, des Circassiens… Parler de cuisine turque n’aurait aucun sens !”, s’enflamme Maksut qui, comme d’autres chefs turcs, a décidé de parler de cuisine anatolienne plutôt que de cuisine turque pour respecter les traditions, les cultures et les peuples qui font la richesse de cette immense région s’étirant dans la partie asiatique de la Turquie actuelle.
Si la cuisine anatolienne fait aujourd’hui partie de l’ADN de Neolokal, Maksut y est arrivé progressivement : “J’ai été maître de conférence dans le cadre d’un projet pour augmenter le potentiel touristique des villages d’Anatolie. J’ai voyagé avec huit professeurs dans toute l’Anatolie pendant trois ans. Je mangeais dans les familles de mes étudiants ou dans de vieilles lokantas. Mais c’est surtout lorsque Fox International m’a proposé une série d’émissions diffusées dans plusieurs pays qu’il y a eu un tournant. J’ai décidé de cuisiner des recettes anatoliennes dans le programme. Des recettes de femmes au foyer avec un équipement non professionnel, mais en les twistant avec des techniques de chefs et une belle présentation.” La cuisine du Néolokal était née !
Bien plus que des kebabs
Ce qui frappe tout de suite lorsqu’on est à la table de Maksut Askar, c’est la richesse du patrimoine culinaire turc. “À la fin des années 1960, il y a eu une immigration massive dans les grandes villes. Et les habitants des villages, qui avaient l’habitude de cuisiner à l’extérieur sur des barbecues ont ouvert des échoppes à kebabs, en plus des fours communautaires et des lokantas, qui reproduisent la cuisine familiale. Si bien que les touristes ont identifié la cuisine turque aux kebabs ou aux lahmacuns. Mais c’est juste une partie de l’iceberg !”
Un savoir que Maksut devait transmettre à sa brigade, qu’il gère comme une grande famille. “Quand j’ai ouvert Néolokal, j’ai dit à mon équipe que nous allions apprendre ensemble, qu’il s’agissait d’un processus d’apprentissage infini.” Mais ces connaissances, le chef ne les partage pas seulement avec son équipe. “Nous avons des consultants qui voyagent dans toute l’Anatolie pour relever toutes les recettes de grand-mères et chez SALT Galata, nous avons organisé 60 conférences ouvertes au public pour parler de notre patrimoine culinaire, comme la cuisine au temps des Hittites par exemple.” Des connaissances qui ont profondément marqué le style culinaire de Maksut Askar. “Je crois en ma cuisine et en mes racines, mais je dois apprendre et comprendre plus pour ne pas me répéter.”
Des plats avec une âme et une histoire
La cuisine du Neolokal se veut un pont entre passé et futur, en proposant des plats du passé avec une relecture moderne. Maksut Askar puise ainsi son inspiration dans la cuisine anatolienne mais aussi dans ses souvenirs d’enfance et la cuisine de sa mère. Une cuisine traditionnelle savoureuse dont on peut avoir un aperçu au formidable Ciya Sofrasi sur la rive asiatique d’Istanbul. Le chef y a ses habitudes car manger chez Musa Dagdeviren, c’est un peu comme manger à la maison. Les deux chefs sont en effet originaires du même coin.
“Je n’ai pas touché à l’essence de cette cuisine, mais je l’ai inscrite dans le futur en servant des plus petites portions, en la rendant plus légère, tout en conservant sa gourmandise”, explique Maksut Askar. Ses plats ont aussi un visuel soigné et des couleurs éclatantes. A l’image de son plat signature, un houmous représentant les paysages d’Anatolie à travers différentes poudres : betterave, chou rouge, petit pois, curcuma… Où s’exprime toute la richesse et les couleurs de la route des épices qui passait à travers la Mésopotamie.
Deux chefs sur la même longueur d’onde
Près de 2700 km les séparent et pourtant Christophe Hardiquest (Bon Bon**, Bruxelles) et Maksut Askar (Neolokal, Istanbul) ont le même amour de la cuisine et se sont réinventés en explorant les racines de leur cuisine respective. A l’occasion d’un dîner à quatre mains le 26 mai dernier au restaurant Neolokal à Istanbul, ils ont ravi les papilles de la quarantaine de clients venus assister à leur rencontre.
En parfait ambassadeur de la cuisine belge et surtout bruxelloise, Christophe Hardiquest étonnait notamment avec une tartelette aux shiitakés de Bruxelles poussés sur des drêches de bière, dont il garnissait une gourmande tartelette à la pomme de terre. Ou encore avec une lotte cuite à la perfection dans une préparation à la Kriek Cantillon, salpicon de fenouil, rhubarbe et cerises.
De son côté, Maksut Askar revisitait par exemple un classique turc avec brio, une salade au melon, fromage et raki, en lui ajoutant des notes terreuses de betterave et une vinaigrette à base de citron vert et d’eau de rose. Tandis qu’il exprimait toutes les saveurs de la mer avec un plat composé de saucisses de crevettes, d’une crème de haricots, d’œufs de poisson, des salicornes et des pêches en pickles.
Un beau moment de partage entre les deux chefs!