Bien connu des gourmets bruxellois, Julien Hazard est plus qu’un simple fromager. Il perpétue un savoir-faire rare, celui d’affineur. Un métier qu’il souhaiterait voir reconnu en Belgique… Il publiera d’ailleurs à la rentrée un livre consacré aux fromages belges, coécrit avec le journaliste Michel Verlinden.

L’affinage, tout un art

Julien Hazard n’est pas un fromager comme les autres. Son nom, il est parvenu en quelques années à en faire un synonyme d’excellence à Bruxelles, lui qui fournit la quasi totalité des tables étoilées de la capitale. Son secret? Il n’y en a pas. Juste de la passion, du savoir-faire et beaucoup de travail!

 « Quand j’ai un arrivage, je regarde le produit que je viens de réceptionner pour voir ce que je dois en faire, explique ce trentenaire passionné, qui a abandonné ses études de Sciences Po pour se lancer dans la fromagerie… Est-ce que je dois le mettre avec les croûtes fleuries, est-ce que je dois le sécher, l’emballer parce qu’il est trop sec? Tout ça doit se faire sur des centaines de produits. Rien qu’en France, il y a 458 fromages et tous changent en fonction du producteur, de la saison, de la production et de l’affinage. On n’a jamais un produit identique et heureusement, sinon cela voudrait dire que la production est industrielle! »

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« Un fromage, ça ne sent pas mauvais »

Derrière le comptoir richement achalandé, on trouve quatre caves d’affinage aux climats spécifiques. On pénètre d’abord dans la cave aux chèvres, à 6°C et 70% d’humidité, les conditions idéales pour les faire sécher. On hume les crottins, qui ont de quelques semaines à plus d’un an. Julien Hazard nous tend un fromage affiné longuement sur du bois, ce qui a développé de délicieux arômes de noisettes séchées… Pas question pour Julien Hazard de transiger avec la qualité « Je ne veux pas d’odeurs de cave ou d’étable; je veux des odeurs agréables, déclare-t-il. Un fromage, normalement, ça ne sent pas mauvais; ce sont des parfums lactiques, fruités… Les croûtes fleuries sentent le champignon, la truffe, le boisé, l’humidité… Enfin, le goût doit être franc, agréable, sans trop d’amertume, ni trop salé. »

Plus loin, les autres caves sont réglées entre 8 et 12,5°C et à 90% d’humidité. Du côté des pâtes molles, on touche le coeur d’un camembert de la Ferme du Champ Secret, le seul camembert au lait cru fermier et bio — déjà parfaitement tendre à coeur. Pour les pâtes molles, la texture ne doit pas être crayeuse. « Je ne veux pas non plus que mon brie soit coulant, qu’il se laisse aller. Je veux un fromage moelleux, tendre et bien alvéolé. »

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A chaque fromage son affinage

Mais chaque type de fromage exige un savoir-faire particulier. « Il y a deux types de fromages à croûte fleurie. Il y a ceux dont la croûte a déjà été formée en fromagerie, comme le brie et le camembert. Là, on travaille sur la texture et on ne déballe pas, explique Julien Hazard. Et puis il y a les brillat-savarin, les gratte-paille, les chaource…, qui arrivent sans croûte. La fleur blanche, le penicillium candidum qui est dans le lait, ne s’est pas encore déposée sur le fromage. C’est grâce à l’atmosphère de la cave qu’elle va se former. » 

Après avoir admiré la belle fleur qui s’est effectivement développée sur les brillat-savarin, on passe ensuite au frigo qui contient les croûtes lavées. Là, on retrouve avec plaisir le soumaintrain bourguignon, qui a obtenu son IGP depuis peu. « Il y a moins de travail pour ce type de fromages, car on travaille surtout la texture. On ne déballe pas les livarot ou les munster, sauf s’il y a des moisissures autres que le ferment du rouge. Elles disparaîtront après un petit lavage à l’eau salée.» Tous les jours, Hazard et son équipe contrôlent en effet tous les fromages… « Je ne peux pas vraiment fermer la boutique ou prendre des vacances en laissant seuls mes fromages car ils évoluent tous les jours! » 

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Le Comté, la star chez Hazard

C’est dans la dernière cave, celles des fromages à pâtes pressées, que l’odeur d’ammoniaque est la plus forte. Pour les pâtes dures, l’affineur recherche des textures ni trop dures, ni trop sèches. « C’est le problème des fromagers qui conservent leur tome de Savoie en chambre froide à 4°C; elle devient sèche car l’humidité ressort à cause du froid. Il doit y avoir du gras, c’est très important, car c’est ce qui donne la longueur en bouche », dévoile Julien Hazard.

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Et l’on s’attarde, restant en pâmoison devant les superbes meules de comté et de tomes de Savoie, que le fromager sélectionne avec un soin tout particulier. Il faut dire que le comté représente la plus grosse vente de la boutique, devant le brie de Meaux et le camembert. Hazard est l’un des 32 acheteurs dans le monde à se rendre dans le Jura pour choisir lui-même ses meules de comté. « Je travaille avec un affineur spécialisé dans le Jura, Jean-Charles Arnaud, détaille-t-il. Une fois par an, en février, je fais ma sélection pour l’année suivante et même pour les deux années à venir. Je ne veux que des comtés produits de mai à octobre, quand les vaches sont aux pâturages, pour avoir un lait de meilleure qualité. Avec le maître de cave, je sélectionne ensuite les fruitières en goûtant leur production mensuelle. Je vends des comtés d’au moins 18 mois; il me faut donc des comtés de garde, aux arômes de fruits confits et de noisettes torréfiées. Cette année j’ai acheté 120 meules de comté, soit 5 tonnes de fromage… Et je fais la même chose pour l’étivaz, le gruyère…tous les fromages de montagne. »

Après cette petite visite, on prend conscience du rôle déterminant de l’eau, de l’air et de la température dans le processus d’affinage. De la délicate alchimie nécessaire pour développer un fromage à la texture et au goût parfaits. On commence aussi à mieux comprendre pourquoi un même fromage acheté chez un autre fromager a tout une autre saveur chez Julien Hazard…

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Julien Hazard: « Je me bats pour faire reconnaître le métier d’affineur »

Pourquoi mon « Picoleur » (fromage bio à croûte lavée de la fromagerie du Gros Chêne à Méan) est-il bien meilleur chez vous que chez d’autres fromagers?

Quand je reçois des produits de la Ferme du Gros Chêne, ils ne sont pas du tout affinés, ils sont complètement blancs. Les « Picoleurs », par exemple, sont dans du plastique et sont très poisseux car macérés dans du vin blanc. Ce sont des fromages de type croûte lavée mais emballés, donc les bactéries qui doivent générer la couleur rouge n’arrivent pas à se développer. Je les déballe et je les fais sécher avec les fromages à croûte fleurie de type brie pour qu’un léger duvet blanc se forme sur le fromage. Alors que la plupart des fromagers les vendent comme ça, dans leur emballage d’origine… C’est ça la différence: le travail à la base, dès réception du produit.

Comment choisissez-vous vos fromages?

Pour les fromages belges, j’ai un grossiste et je vais à Rungis pour les fromages français. Je travaille en direct pour le gouda fermier en Hollande et avec « Neal’s Yard Dairy » pour les produits anglais. Quand je peux faire du direct, je le fais mais il ne faut pas que mon coût de transport soit trop élevé. De plus, il est bien souvent difficile de travailler en direct avec des petits producteurs car ils ne produisent pas assez ou toute la production est vendue sur place.

Qu’est-ce, au juste, un fromager affineur?

L’affinage est la dernière phase de la fabrication du fromage. Mais c’est quelque chose de très subjectif car chaque affineur a son goût. Moi, j’affine mes fromages comme j’aime les manger. Je suis un peu comme un enseignant: je reçois quelque chose de très jeune, que j’apporte à maturité. Pour que texture, arôme, goût et croûtage soient à leur leur apogée pour le client. Mais affiner, c’est aussi du calcul car je dois prévoir mes ventes. Les brie de Meaux que je vends le 24 décembre doivent rentrer la première semaine de décembre, car il faut trois semaines pour les affiner. Mais le métier, c’est avant tout comprendre un fromage… Et ça, c’est de l’expérience; on apprend sur le tas.

Fromager-affineur est-il un métier reconnu?

Je suis en train de me battre pour qu’il y ait une reconnaissance du métier d’affineur. Car c’est un gros problème, tout le monde peut dire qu’il affine des fromages. En Belgique, il n’y a pas vraiment d’études ou de formation. En France aussi, il y a quelques formations mais les affineurs sont souvent des ingénieurs agronomes qui travaillent pour des grands groupes industriels ou pour les AOP françaises.

Beaucoup de mes collègues disent qu’ils affinent. Mais je connais les fromages qu’ils achètent et chez quels grossistes; je sais qu’ils n’affinent pas. Je ne veux pas polémiquer; ils font du bon boulot, mais ils ne font pas le même travail que moi. Alors, avec des collègues flamands, pour nous protéger, nous avons créé un label de « Fromager affineur certifié ».

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Comment a germé l’idée de ce label?

Il y a quelques années, on ne pouvait pas affiner du fromage à cause de l’Afsca, même si elle fermait souvent les yeux. Un jour, mon ancien patron, Monsieur Elsen, qui affine depuis 20 ans à Leuven, est tombé, lors d’un contrôle de l’Afsca, sur un contrôleur tâtillon qui lui a dit qu’il ne pouvait pas casser la chaine du froid. Quand nous achetons les fromages chez les grossistes, à Rungis, ils sont à 4°C; pour les affiner, on les place en effet à des températures entre 8 et 12°C… Monsieur Elsen a contacté l’Unizo, l’union des entrepreneurs indépendants néerlandophones, qui a payé des études à l’université de Gand. Pendant 6 mois, ils ont prélevé des échantillons pour voir comment évoluaient les fromages et les bactéries. On en est sorti magnifiquement bien! L’Unizo est ensuite allée voir l’Afsca, qui a changé son guide: on peut désormais conserver et affiner les fromages entre 7 et 14 degrés au niveau national. Mais un gars sur le marché, qui n’a pas de frigo, peut laisser ses fromages dehors et dire qu’il affine s’il a un contrôle Afsca… C’est pour cela que nous avons mis au point, en novembre 2015, un cahier des charges précis avec l’Unizo et l’organisme de contrôle Vinçotte.

En quoi consiste ce cahier des charges?

Pour obtenir ce label national (même si pour l’instant, je suis le seul francophone à l’avoir), il faut au minimum 2 caves d’affinage à plus de 7°C et une chambre froide de conservation à 4°C. Soixante pour cent des fromages doivent être au lait cru et 15% au moins fermiers, tandis qu’ils seront uniquement vendus à la découpe. Enfin, tous les membres doivent payer un système d’auto-contrôle tous les trois ans et un audit par an. Le coût est raisonnable mais c’est le travail qu’il y a derrière tout ça qui effraie les petits fromagers-crémiers. Car la traçabilité doit être totale. Notre label respecte en effet les plus hautes normes en termes de sécurité alimentaire!

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Julien Hazard, bio express

  • 7 juin 1981: naissance à Liège d’une mère néerlandophone et d’un père liégeois. Il est baigné dans l’amour du bien-manger des deux côtés de sa famille, des agriculteurs à Biévène et à Stavelot.
  • 1996: Julien Hazard rêve de faire l’école hôtelière mais ce seront finalement des études secondaires classiques en néerlandais à Saint-Trond.
  • 2001: débute des études en Sciences Po à Leuven. Il abandonne à 20 ans pour commencer à travailler à la fromagerie « Elsen Kaasambacht » à Leuven. Il y est d’abord vendeur pendant 3 ans, puis s’occupe des découpes en cave. Il devient ensuite maître de cave et apprend l’affinage. Enfin, il est responsable des achats à Rungis.
  • 11 avril 2011: ouvre sa propre boutique rue Vanderkindere à Uccle.
  • 2015: débute une carrière de chroniqueur « fromage » dans l’émission « Bientôt à table » sur la Première.
  • 17 octobre 2017: publiera un livre sur les fromagers belges avec le journaliste Michel Verlinden chez Racine. Au menu, le portrait de 20 producteurs de chez nous avec qui travaille Julien Hazard (le grevenbroecker des frères Boonen à Hamont-Achel, la fromagerie du Troufleur à Waimes, le chèvre Aurélie de la fromagerie Karditsel à Lummen (gagnant bio Caseus 2017)…).

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Les chiffres

  • 160 et 320, c’est le nombre de fromages en boutique au quotidien et le nombre total de fromages dans l’assortiment.
  • 350 kg de fromage sont vendus par semaine, environ 17 tonnes par an.
  • 4, le nombre d’employés.
  • 150, c’est la moyenne du nombre de clients par jour. L’horéca représente environ 15% de sa clientèle. Julien Hazard ne livre qu’à Bruxelles et fournit plus de 90% des restaurants étoilés de la capitale!
  • 732.000€, le chiffre d’affaire 2016.

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Apprendre en dégustant

Dans sa boutique, Julien Hazard organise, les jeudi et vendredi de 20h à 23h (sur réservation pour des groupes de 8 à 16 personnes), des soirées découvertes autour d’une dégustation en 5 services accompagnée de vins ou de bières adaptés (35-50€/pers.).

=> 37 rue Vanderkindere, 1180 Uccle.
Ouvert du mardi au vendredi de 10h à 18h30 et le samedi de 9h à 18h.
Rens. 02.851.89.60 ou
www.julienhazard.be.

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