Promenade gourmande, en deux temps, sur les sublimes routes de Corse, entre mer et montagne. Première étape, avec un tour d’horizon du patrimoine culinaire de l’île. Suivront un focus sur les vins corses, un carnet d’adresses complet et même quelques idées de visites plus touristiques…
Depuis l’Antiquité, la Corse est surnommée l’île de beauté. Deux millénaires plus tard, l’appellation est toujours d’actualité. Entre mer et montagne — et même haute montagne, avec 123 sommets culminant à plus de 2000 m —, la Corse a su rester sauvage. Hormis quelques zones quelque peu défigurées par le tourisme, à Calvi, l’Île-Rousse, Porto-Vecchio ou Bastia.
Conduire en Corse est un véritable enchantement. Que ce soit au Cap Corse, du côté du golfe de Porto ou du col de Bavella, dans l’Alta Rocca, les routes sont fabuleuses, offrant toujours plus de points de vue à couper le souffle! On comprend que la Corse soit une destination de choix, offrant des possibilité infinies de balades, de randonnées (pas que sur le célèbre GR20), mais aussi de sublimes plages aux eaux turquoises. Sans oublier une gastronomie passionnante, plus italienne que française. Même si les Corses ne se sentent ni Français. ni Italiens, mais bien Corses!
Un pays de bergers
Si l’on visite surtout l’île en été, tous les Corses vous le diront: c’est en hiver qu’on y mange le mieux… Non seulement car l’été n’est pas la saison de produits phares comme le figatellu ou le brocciu. Mais aussi parce que le Corse est un berger avant d’être un marin. Nombre de spécialités traditionnelles sont ainsi des plats gourmands mais roboratifs: viande en sauce, ragouts, rognonnade, tripes de veau…
Jusqu’à la moitié du XXe siècle, l’île était une terre essentiellement agropastorale. Dans bien des vallées et des pièves (espaces fermés), on vivait encore en semi-autarcie, avec un potager, un petit troupeau de brebis ou de chèvres et quelques cochons. Ce qui explique les fabuleuses charcuteries de porc noir « nustrale », élevés en semi-liberté, et la grande variété de fromages (cf. ci-dessous).
Si l’on mange du cabri ou du cochon rôti et du gibier (essentiellement du sanglier, mais aussi du merle et des grives), la viande la plus consommée en Corse est le veau, traditionnellement préparé aux olives. Et la rolls en la matière, c’est la « vache tigre », une race autochtone à la belle robe brune zébrée remise sur le devant de la scène depuis une quinzaine d’années par Jacques Abbatucci, dans la région de Sartène. À déguster notamment chez son frangin Henri, qui a ouvert le restaurant Le Frère au sein du célèbre domaine viticole Comte Abbatucci d’Antoine, le troisième de la fratrie…
La Corse est en effet aussi un paradis pour les amateurs de la dive bouteille, avec, là encore, une belle variété. Entre le vermentinu rafraîchissant en blanc et, en rouge, les nielucciu charpentés de Patrimonio ou les sciacarellu tout en élégance du Sud.
Le dîner corse
La façon la plus simple de s’initier aux délices de l’île est de faire l’expérience du « dîner corse », proposé dans de nombreuses fermes-auberges durant la saison touristique. Soit un menu unique gargantuesque, composé de charcuteries, d’une viande, de fromages, d’un dessert et de vin. Un vrai coup de coeur pour la Ferme de Campo di Monte, dans le Nebbio, qui propose une cuisine paysanne authentique. Mais aussi pour l’auberge A Pignata à Levie, près de Sartène, ou l’auberge U Licettu, sur les hauteurs de Calvi.
Dans ces adresses de montagne, on dégustera les grands classiques de la cuisine corse: beignets de courgettes, terrine de cochon aux baies de myrte, cannelloni au brocciu, porcelet rôti, aubergine à la bonifacienne… Sans oublier les beignets sucrés, que l’on imbibe d’eau-de-vie de raisin.
Si la viande est à la fête, l’île est évidemment riche en produits de la mer, à commencer par les fabuleuses langoustes du Cap Corse. Mais on trouve également des oursins du côté de Calvi (où l’on peut acheter le poisson directement chez les pêcheurs, au pied de la Tour de Sel), du homard et des langoustines au Cap Corse, des moules dans le grand étang de Diana au sud de Bastia ou encore du poulpe vers Porto et Bonifacio. On se régale ainsi de seiches à l’ajaccienne, de suppa di pesci façon bouillabaisse (avec des croûtons et de la rouille) ou encore de l’azziminu di capicorsu, le ragoût du pêcheur.
Vergers et maquis
Avec son climat semi-tropical à l’Est, l’île se prête parfaitement à la culture d’agrumes, avec les célèbres clémentines et cédrat de Corse. Situé à San Giuliano, près d’Aléria, le jardin expérimental de l’INRA possède ainsi la plus grande collection d’agrumes au monde!
Durant la transhumance — une obligation pour obtenir l’AOP Miel de Corse, en place depuis 1998 —, les apiculteurs peuvent ainsi déposer leurs ruches dans les vergers de clémentiniers, pour fabriquer, les bonnes années, le très rare miel de clémentine. L’un des sept miels corses, avec le miel de printemps, le miel du maquis, le miellat du maquis, le miel de maquis d’été (rare également), le miel de maquis d’automne (le préféré des chefs, avec son l’amertume surprenante) et le miel de châtaigneraie.
Les châtaigniers sont en effet omniprésents dans les montagnes corses. Ils ne nourrissent pas seulement les porcs noirs, ils donnent également une farine largement utilisée en pâtisserie, dans le fondant/flan à la farine de châtaigne ou les fritelle castagnine. Car les Corses sont friands de biscuits secs à l’italienne, comme les célèbres canistrelli aux noisettes (de Cervione si possible) ou les excellents cughjulelli au vin blanc, produits en Balagne, sur les hauteurs de Calvi.
Enfin, on ne manquera pas de goûter aux huiles d’olives locales, mais aussi aux herbes endémiques de l’île, comme la mintrastella (une menthe), l’arba barona (le thym de montagne) et l’iconique népita, une marjolaine mentholée utilisée dans les omelettes, les chaussons et les sauces. On ramassera ces petits trésors au fil de ses promenades dans la maquis et on les fera sécher pour ramener un peu de Corse au pays…
Les charcuteries
Au bord des routes de montagne corses, on croise sans cesse des porcs noirs en liberté, se nourrissant de châtaignes et de glands. Ce sont eux qui donnent à l’île ses sublimes charcuteries. Mais attention, la majorité des charcuteries vendues durant la saison touristique ne sont pas produites à partir de ce porc noir « nustrale ». À commencer par le figatellu, la fameuse saucisse de foie, que l’on ne trouve fraîche qu’en hiver, mais qui se consomme également sèche.
À côté du sublime prisuttu, le jambon sec qui demande un long affinage pour développer ses arômes de noisette, de châtaigne et de cèpe — à partir de 24 mois, on commence à être bien —, on trouve le salamu (saucisson), la coppa (échine), le lonzu (filet), la vuletta (joue), la panzetta (poitrine) et la noce (noix, l’équivalent du culatello italien). Rien qu’aux appellations, on comprend qu’on est plus proche ici de la tradition charcutière transalpine que française…
Ah oui, au fait, le saucisson d’âne n’existe pas en Corse…
Les fromages
La Corse est un pays de montagne, avec peu de plaines. Rien d’étonnant que ce soient donc les chèvres et les brebis, paissant en semi-liberté comme les cochons, qui règnent sur le fromage corse. Amoureux de la Corse, Prosper Mérimée la surnommait d’ailleurs « l’île aux bergers ».
On trouve du fromage dans quasiment chaque village, avec une grande variété de saveurs et de textures. Ils se répartissent en cinq grandes familles: la tomme de Sartène, le niolu, le venaco, le Calenzana (dans les montagnes surplombant Calvi) et le Bastelicaccia, une pâte molle à l’aspect duveteux. Une même famille réunissant des fromages très différents, selon le producteur, le terroir, l’affinage…
Mais la star corse, c’est le brocciu, à déguster le plus frais possible (et donc sur place uniquement) avec un bon miel. Il sert aussi à fabriquer le classique fiadone (sorte de cheesecake) ou sa variante, l’ambrucciata, des beignets, les storzapretti à la bastiaise ou à farcir les cannelloni. En été, on trouvera plutôt le brocciu passu, un brocciu affiné qui entre par exemple dans la composition du classique « pain des morts », traditionnellement consommé à la Toussaint.
Célèbre pour être ensemencé de larves de mouche qui réduisent la tomme en une pâte molle, le casu marzu (fromage pourri) appartient, lui, aujourd’hui à la légende corse. Mais on le trouve encore en Sardaigne toute proche. Les plus téméraires goûteront tout de même au gaggiu minadu, une sorte de pâte à tartiner qui fouette, réalisée à base de restes de fromages forts et d’eau-de-vie.
À lire absolument
L’excellent livre de Nicolas Stromboni, sommelier et propriétaire des caves-épiceries « Le Chemin des Vignobles » à Ajaccio: « Du pain, du vin, des oursins » publié chez Marabout (320 pp., 29€). Une mine d’information sur les produits, les producteurs et sur les vins corses.