À l’occasion de la sortie de son premier livre, rencontre avec Christophe Pauly, élu chef de l’année au Gault&Millau 2021 au « Coq au Champs » à Tinlot.

« Chef de l’année 2021? Je ne m’y attendais du tout! Ce n’est pas un truc qui m’avait effleuré l’esprit. Pour moi, c’était pour les grands chefs… J’ai encore plein de choses à accomplir. Je ne suis pas encore au niveau où je voudrais être… », avoue Christophe Pauly, un chef étoilé modeste qui en a pourtant fait du chemin depuis l’ouverture il y a 18 ans du Coq aux Champs dans sa terre natale, à Tinlot, en Condroz liégeois. 

On se souvient encore du premier repas qu’on a fait chez lui, il y a plus de dix ans. Les marqueurs de sa cuisine étaient déjà présents: l’attention aux produits frappait déjà dans ses assiettes gourmandes à souhait. Déjà, le chef wallon excellait aussi dans les desserts. Ah ce sorbet à la Vraie Violette de Liège! Dont on apprend dans son livre (publié récemment à La Renaissance du Livre, cf. ci-dessous), qu’il a été mis au point au Capucin Gourmand à Baillonville dans les années 2000, lorsque Pauly travaillait pour René Mathieu, aujourd’hui chef de La Distillerie au Luxembourg.

Le café glacé selon Christophe Pauly. @Jean-Pierre Gabriel

Concentration

Mais aujourd’hui, les plats de Christophe Pauly ont pris une autre dimension. En ce temps-là, il lui arrivait encore de surcharger certaines assiettes… Maintenant, c’est fini tout ça! On sent le chef plus concentré, servant une cuisine d’une grande justesse. « Je suis intransigeant sur la justesse des cuissons et des assaisonnements, mais je veux aussi que ma cuisine soit lisible et compréhensible. S’il y a une chose dans l’assiette, ça doit se goûter et avoir du sens. Je ne veux plus mettre des trucs pour faire joli. Le visuel ne passe pas avant le travail gustatif chez moi. C’est plus difficile d’aller vers l’épure. La simplicité, ce n’est pas la facilité », analyse justement le chef du Coq aux Champs. 

Aujourd’hui, exit aussi la carte. Le chef se focalise désormais sur un menu unique très accessible (cf. ci-dessous), avec un gros travail de mise en place, des cuissons minute et des sauces réalisées au moment. Du coup, l’atmosphère est très sereine dans la cuisine ouverte de Christophe Pauly. 

La poularde César. @Jean-Pierre Gabriel

Intemporel

Ce qui impressionne aussi dans la cuisine de Pauly, c’est son imperméabilité aux tendances du moment. Ce qui nous ferait dire qu’elle est intemporelle, voire classique. « Je ne considère pas ma cuisine comme classique, ni moderne, mais plutôt contemporaine. Mais c’est vrai que je ne suis plus sensible aux tendances. Je n’aime pas les fermentations par exemple. J’ai essayé mais je n’aime pas. Ou je les fais peut-être mal… Et puis je crois que chaque région a son histoire. Moi, je suis Wallon, Condruzien et Liégeois. Mais cela n’influence pas mon style pour autant. À 43 ans, je fais d’abord les plats que j’ai envie de manger », insiste Pauly.
Ce qui ne l’empêche de regarder ce qui se fait ailleurs, de pas mal bouquiner. « Je ne fais pas de fermentations, mais je fais des pickles, que j’adore. Cela donne un petit coup de peps aux plats. J’adore aussi les cuissons au barbecue, les fumages… », précise le Wallon, qui s’octroie la liberté de créer les plats qui lui plaisent, sans s’obliger à jouer sur les contrastes ou les textures.

Nems de reblochon fermier. @Jean-Pierre Gabriel

Emotion

Un chef chez qui tout commence avec la saisonnalité des produits et qui privilégie toujours la qualité sur le local. « Les tomates belges ne seront jamais aussi bonnes que celles de Saint-Rémy-de-Provence… Le terrain wallon n’est plus assez riche. En Wallonie, on est bon pour les céréales, certains légumes mais pour la viande, c’est loin d’être au top. Surtout lorsqu’on a besoin comme nous d’un certain volume. Mais le local, c’est un travail de longue haleine. Il faut beaucoup de temps pour aller voir les gens et mettre les choses en place. Je travaille de plus en plus avec « La ferme qui bouge » à Pailhe par exemple, pour le miel et les farines. Ou avec « La ferme de Limet » à Modave, chez qui je commande des poulardes… » 

Christophe Pauly est un chef dont l’honnêteté transpire dans les créations, qui ne sont jamais dans la démonstration technique, dans l’épate, mais qui jouent surtout sur l’émotion. « Émotion », un mot que l’on retrouve sur la fresque de l’artiste comblinois Jean Thomanne qui orne désormais le mur de la cuisine. Comme cette phrase: « Pas avant, pas après, juste le moment. » « Cela me correspond bien. Et cela correspond bien à ma cuisine », conclut Pauly.

Coquille Saint-Jacques à la coque. @Jean-Pierre Gabriel

La gourmandise assumée du « Coq aux Champs »

Quel bonheur de clore un repas chez Christophe Pauly! Jusqu’à la dernière minute, le chef wallon joue la carte de la gourmandise avec, ce soir-là, un magnifique dessert autour du chocolat Guanaja (Honduras). Une simple mousse au chocolat posée sur un crumble au chocolat pour la texture et un gel de cerise pour la petite touche acidulée. C’est puissant, bien balancé. Du grand art! Et cela contraste parfaitement avec le premier dessert, un classique de la maison plein de fraîcheur autour de la pomme, du yaourt, d’un sorbet à l’oseille et d’une meringue aux herbes. Deux superbes desserts dont Pauly livre le secret dans son livre.

Avant cela, le chef du Coq aux champs aura su démontrer toute l’ampleur de sa palette, dans un menu désormais unique, mais que l’on peut décliner en 3 à 6 serv. (48 à 125€ + 27-54€ pour les vins assortis). Une palette volontiers classique ou en tout cas clairement du côté de la gourmandise et qui se tient éloignée des tics de la cuisine actuelle.

Juste tiédies au four, les saint-jacques bretonnes de la baie d’Erquy sont proposées dans un accord parfait avec des palets d’huître, une crème crue, des fleurs de brocoli, une petite huile de combava et un peu de caviar Imperial Heritage si on le souhaite (+12€). Entre l’iode de l’huître, la douceur de la crème et le peps de l’agrume, l’accord est superbe.

Peps pomme, oseille et meringue. Un dessert de grand chef! @Jean-Pierre Gabriel

Raffinement canaille

Mais Pauly excelle également quand il s’encanaille en retravaillant et en raffinant un classique charcutier: la tête pressée. Mêlée à de l’encornet pour un terre-mer plein de mâche, celle-ci se cache sous une onctueuse béarnaise au pickles très acidulée. Voilà une entrée franche, qui envoie du lourd dès la première bouchée, et qui laisse en bouche un vrai sentiment d’harmonie. Fortiche!

Membre des North Sea Chefs, Christophe Pauly travaille le cabillaud à la perfection. La cuisson est juste, tout comme les accompagnements: des trompettes de la mort, du chicons pour la légère amertume, du haddock fumé et une belle émulsion de coques au vin jaune. Un grand plat!

Les assiettes de Pauly sont irréprochables, celles d’un chef wallon de 43 ans bien dans ses baskets et arrivé à une belle maturité, qui lui permet de s’affranchir des modes pour creuser son propre sillon. De quoi le rapprocher un peu plus d’un second macaron Michelin? Réponse en février prochain…

« Carotte dans son jus ». @Jean-Pierre Gabriel

  • « Le Coq aux Champs ». 71 rue du montys, 4557 Soheit-Tinlot.
    Fermé samedi, dimanche & lundi midi. Take-away le vendredi de 18 à 19h (commande du lundi au jeudi).
    Rens.: 085.51.20.14 ou
    www.lecoqauxchamps.be.

Le carnet de recettes de Christophe Pauly

L’occasion fait le larron! Auréolé du titre de chef de l’année au Gault&Millau 2021, Christophe Pauly, étoilé au Coq au Champs à Tinlot, a estimé que c’était le bon moment pour sortir son premier livre. Un livre où il se dévoile peu, qu’il a surtout voulu comme un recueil de recettes accessibles. « J’y pensais depuis 2 ou 3 ans. Je n’avais pas envie d’un bouquin de chef nombriliste. Je voulais un vrai livre de recettes. Des recettes que je fais au resto, parfois un peu simplifiées, mais aussi des bases… L’idée, c’était que ce soit faisable car la majorité des bouquins de chefs, ce sont juste de beaux objets… C’est pour ça aussi que les photos des plats ne sont pas comme au resto. C’est plus simple, pour donner envie », explique Pauly. 

Un livre à l’image du chef, en toute simplicité donc, avec des suggestions appétissantes, classées selon les saisons, et qui ne demandent pas des dizaines de manipulations. Hourra! N’oublions pas que Christophe Pauly est un pédagogue hors pair. Il reprendra d’ailleurs ses cours de cuisine au restaurant dès l’année prochaine.

Parmi les préparations qui nous ont tapées dans l’oeil, grâce aux superbes clichés du photographe Jean-Pierre Gabriel – qui signe également les textes -, la bolognaise de haricots coco au homard et aux truffes ou la tarte au café cassonade. Mais tout fait incroyablement envie! Notons aussi la superbe aquarelle de la couverture, que l’on doit à l’artiste peintre Louise Renaud.

Seul petit bémol, l’absence d’un index par produits, qu’on aurait trouvé bien utile.

  • « Le Coq aux champs. Tinlot. Condroz. Wallonie. Un livre de recettes », publié par Christophe Pauly et Jean-Pierre Gabriel à La Renaissance du Livre (240 pp., 34,50€).