L’ancien chef étoilé de La Menuiserie est désormais à la tête de Toma, un superbe restaurant niché au pied des remparts de Liège.

« Bienvenue à la maison! » Thomas Troupin nous accueille le sourire aux lèvres et les bras grands ouverts dans son nouvel écrin baptisé Toma. Depuis début janvier, le jeune chef de 33 ans, en provenance de La Menuiserie, a repris l’ancien resto étoilé Le Jardin des Bégards de François Piscitello, propriété de la ville de Liège. Soit l’une des ouvertures les plus excitantes du moment en Wallonie.

En attendant le déconfinement, Troupin a enchaîné les concepts: marché de producteurs locaux, box pique-nique à emporter… « Je ne voulais pas faire de menus à emporter, car il n’y a pas cette rencontre avec le client que j’affectionne. Mais on a lancé un concept street food avec des chefs comme Clément Petit-Jean (La Grappe d’Or*) ou Tienchin (Esprit Bouddha). Un bon prétexte pour voir les amis! », raconte ce jeune homme jovial, qui a finalement rouvert le restaurant à l’occasion d’un mariage, qui avait lieu sous la tente nomade installée à l’extérieur. Et depuis le 9 juin, il peut enfin proposer au Toma sa nouvelle expérience de « cuisine immersive ».

Une association qui fait mouche 

En 2013, Thomas Troupin avait décroché une étoile à La Menuiserie après seulement six mois d’ouverture. Mais suite à une séparation, le chef d’origine liégeoise a quitté Waimes pour revenir s’installer à Liège. L’avenir est incertain… Mais il s’adresse à un cabinet d’avocats spécialisé dans la création d’entreprise et les montages financiers. Tout suite, on lui propose de reprendre Le Jardin des Bégards, vide depuis trois ans. 

« Je ne connaissais pas. J’ai d’abord dit non, puis j’ai réfléchi. Le lieu était beau et c’était un projet ambitieux, il me fallait donc un associé », se souvient Thomas Troupin. Ses avocats lui proposent de rencontrer l’entrepreneur touche-à-tout Roger Gehlen, originaire de Malmédy. « Mais voilà, la présentation des avocats est chiante et je sens bien, à son regard, qu’il n’est pas convaincu. Il me demande pourquoi il devrait être dans le même bateau que moi. Je lui réponds que ce ne sera pas le plus beau restaurant de Liège, mais un projet humain fait de belles rencontres. »

Il n’en faut pas plus pour convaincre « l’exigeant mais juste » Roger Gehlen, qui lui donne une autonomie totale. Et tout se fait très vite, les travaux sont terminés en trois mois.  Et le chef wallon est désormais à la tête du plus beau restaurant de Liège. Un lieu ambitieux à la hauteur de sa cuisine inspirée.

Cuisine de rencontres

Mais l’histoire de Thomas Troupin ne serait rien sans celle des producteurs, avec qui il a tissé des liens profonds et qui influencent sa cuisine. Il y a d’abord l’ami Lothar Vilz, cet éleveur de limousines hors normes à Mürringen. Le jeune chef lui a dédié l’un de ses plats signature, qui ouvre son nouveau menu, « La tartine de Lothar » (cf. ci-dessous).

Et puis il y a aussi Yves de Tender, de la Framboiserie de Malmedy. C’est lui qui fournit Thomas Troupin en fruits, légumes et aromates. C’est d’ailleurs lui qui a réalisé le petit potager du restaurant. « Pour l’instant, c’est modeste: il y a des petits pois, des carottes, des betteraves et plein d’aromates. Mais l’année prochaine, Yves voudrait l’étoffer et y planter des tomates. J’aime l’idée de pouvoir faire un nouveau plat avec les quelques carottes qui viennent du jardin. Il n’y aura peut-être que trente couverts, mais ce sera spécial. » 

Pourtant, le chef n’est pas un ayatollah du local. « Le 100% local, ça n’a pas de sens. On est un pays de transformateurs. En Belgique on est réputé pour notre café, notre chocolat. À part le côté militant, pourquoi se priver de ça en fin de repas? », interroge-t-il.

Contacts rapprochés

Si Thomas Troupin donne l’impression d’être comme un poisson dans l’eau au Toma, c’est qu’il a sans doute trouvé le concept qui lui allait le mieux: ce qu’il appelle la « cuisine immersive ». Ici, plus vraiment de barrière entre salle et cuisine, de différence entre serveurs et cuisiniers. « Après cette période difficile, j’avais besoin de renouer le contact avec le client. Je voulais que les gens viennent manger ici comme s’ils étaient chez moi. Je ne voulais rien cacher. Et oui, on touche la viande avec les doigts pour vérifier la cuisson… J’avais aussi besoin de casser les codes de la gastronomie, cette idée que le service doit être comme ci ou comme ça parce qu’on a une étoile… » 

Toujours prêt à faire la fête et même à esquisser un pas de danse pendant le service, Thomas Troupin se dévoile aussi un peu plus au Toma. « ¡Toma! Ça  veut dire ‘tiens’ ou ‘prends’ en espagnol. C’est ce que me disait ma grand-mère, originaire d’Asturies: ‘Tiens, mange et tais-toi!’ Elle a eu Alzheimer quand j’avais 11 ans. J’ai longtemps cru qu’elle n’avait pas eu un impact sur ma cuisine. Même ma mère, qui n’aime pas cuisiner, se donne à fond quand elle refait les plats de ma grand-mère, comme la fabada. Elle a versé une larme quand j’ai choisi ce nom pour le restaurant, en référence à mon abuelita et à mon prénom », raconte le chef. 

Si Troupin ne renoue pas avec ses origines espagnoles dans l’assiette, on sent que sa cuisine est plus personnelle, libérée de toute convention. On sent qu’il se fait réellement plaisir. « Dans ma famille, on ne disait pas je t’aime… Je suis un peu comme ça. Mais aujourd’hui, je suis plus instinctif. Je suis plus serein et j’utilise la cuisine pour communiquer ce que je ressens », dévoile le Wallon.

Retrouver son étoile, après son déménagement, n’est pas un objectif pour Thomas Troupin, mais il y pense, forcément… « Les frères Dardenne ne font pas un film pour la Palme d’or mais lorsqu’ils l’ont, ça leur fait plaisir… Ce qui compte d’abord, c’est le plaisir de cuisiner. Mais si l’étoile ne revient pas après huit ans, je me poserai quand même des questions… », avoue-t-il. 

Vu le niveau atteint par sa cuisine, on ne se pose guère de question sur le retour de celle-ci…

À la table de Thomas Troupin & Co

Qu’est-ce qu’on est bien! au Toma, le nouveau restaurant que vient d’ouvrir Thomas Troupin (ex. Menuiserie*) à Liège. Accolé au pied d’un rempart, dans une oasis de verdure qui fait oublier le bruyant boulevard de la Sauvenière, l’ancien Jardin des Bégards* de François Piscitello a été entièrement repensé, proposant une déco soignée, moderne et raffinée.

Apéro au jardin

Mais c’est au jardin, sous la tente nomade, que débute l’expérience. Alexandre, le sommelier, qui a suivi le chef depuis La Menuiserie, sert une coupe de champagne brut nature bien fait: l’« ADN de meunier » de Christophe Mignon. Ou une bière locale de chez Local Heroes, la « Far From Home », un excellente New England IPA. Il dépose également sur la table le livre du ¡Toma!, recueil de fiches avec des photos des membres de l’équipe, comme Laetitia Terry, elle aussi venue de La Menuiserie, mais aussi des portraits de producteurs, entre souvenirs ou clichés amusants. Bref, une parfaite porte d’entrée dans l’univers humain et sincère de Thomas Troupin.

On n’y a pas prêté attention, mais des croustillants de riz aux herbes du jardin jouent à cache cache dans la composition végétale posée sur la table depuis le début. Une poitrine de cochon  irrésistible, laquée de sauce gribiche, continue sur une touche gourmande. Tout comme le pain-vapeur, crème et « kimchi-churri », qui permet au chef de recycler les bas morceaux, et de sortir un kimchi maison plein de peps, réalisé avec des carottes, des navets et des pommes.

Au moment de rentrer, on s’installe à la « Momo ». Les tables portent en effet toutes le nom de personnes qui ont oeuvré à l’ouverture de Toma. Confortablement installé dans des fauteuils en velours rose, on admire le nouveau terrain de jeu du chef: la cuisine ouverte et son grand four à bois, la cave à fermentation vitrée pour les viandes et les légumes lactofermentés… Se dégage une atmosphère contemporaine et chaleureuse très réussie.

De l’émotion dans les assiettes

Pour accompagner le menu unique, décliné en 5 ou 7 services (80-95€), le sommelier ne propose pas de sélection de vins avec le menu. « On privilégie la bouteille plaisir… », explique-t-il. Ce sera donc la Cuvée GPS 2019, tout en fraîcheur, du Domaine Pignier (71€), l’un des grands noms du Jura.

Laquelle accompagne parfaitement cette soirée marquée par une cuisine de très haut vol. Parmi les plats les plus marquants, on retrouve évidemment l’émouvante « Tartine de Lothar » où, étrangement, le côté végétal — les herbes du potager urbain ayant pris la places des herbes sauvages de Waimes — s’affirme face au veau, fumé au foin de Tabreux. Une merveille! 

« La première fois que j’ai été voir Lothar, ce ne sont pas les vaches qui m’ont marqué, mais le sentiment de quelque chose de différent. Dans les champs, la première chose qu’il vous montre, ce ne sont pas ses vaches, mais ses clôtures, remplacées par des aubépines. C’est mieux que les barbelés, car les vaches savent naturellement que ça pique. Et cela amène des oiseaux, de la biodiversité… Il est en biodynamie depuis 25 ans déjà! », s’enthousiasme le chef.

Comment ne pas craquer, non plus, face à ces asperges de Waldfeuchter, près d’Aix-la-Chapelle? Des asperges blanches cuites au bouillon de volaille et rôties au feu de bois, accompagnées d’un pesto au kimchi d’asperges réalisé directement en salle et de fleurs de thym. 

Tandis que la joie est au rendez-vous lorsqu’on déguste enfin « La vache de Lothar », que l’on a vue et sentie toute la soirée, celle-ci ayant voyagé entre le barbecue extérieur et le four à bois de la cuisine… À la table voisine, Lothar Vilz est là et son émotion est perceptible. L’éleveur, qui a une profonde affection pour ses vaches, a le sentiment que celles-ci ont été respectées jusqu’au bout par le chef.

C’est sans doute cela la grande force de Thomas Troupin, un respect des hommes et de la nature qui l’entourent, qui transpire dans ses plats et qui donne du sens à sa cuisine.