Après trois mois de confinement sans pouvoir mettre les pieds au restaurant, cette semaine, on pouvait enfin pousser la porte d’un établissement. Le choix était évidemment difficile mais l’on était curieux de voir comment allait se passer cette réouverture tant attendue à L’Atelier de Bossimé de Ludovic Vanackere près de Namur. Le jeune chef de 30 ans est en effet plus dynamique que jamais et on avait eu vent de nouveautés…
Depuis le lancement en 2017 des Artisans de Bossimé, une plate-forme de distribution de produits locaux et surtout un projet d’incubateur d’entreprises – huit sont présentes sur le site, dont Blackbird, à qui l’on doit notamment un gin à la fraise de Wépion et avec lesquels le chef collabore sur ses box apéritives Arti Box, ou Eggusto, un producteur de pâtes fraîches bio -, il y a eu pas mal de changement à Loyers.
En octobre 2019, le restaurant a par exemple fait peau neuve en toute discrétion. Vanackere a investi plus d’un million d’euros pour transformer la ferme familiale en un complexe gastronomique complet, en favorisant aussi l’économie durable et circulaire. En offrant un accès à la terre à deux maraîchers, qui produisent légumes et autres herbes aromatiques pour le restaurant, mais qui vendent aussi le fruit de leur travail de manière indépendante, un atelier de conserverie partagé au service des agriculteurs voulant écouler leurs surplus sous forme de confitures, tapenades, soupes… Ou même un élevage de truites en aquaponie, en pause pour le moment.`
Un nouveau cadre
Lorsqu’on débarque, ce mardi 9 juin à l’heure du déjeuner, on s’émerveille de tout le travail accompli par le jeune homme. Lorsqu’on jette un oeil à la ferme, tout a changé! Désormais, le restaurant est à l’étage et une grande structure cubique contemporaine accueille désormais une partie de la salle. Tandis qu’une autre cube a poussé comme un champignon, cette fois du côté de la nouvelle terrasse. Destiné au départ à être une salle de réunion, cette construction a été réaménagée pour accueillir les gourmands l’après-midi autour d’une verre, d’une glace ou d’un brownie.
Mais avant d’emprunter la passerelle qui nous mène désormais au restaurant, première étape devenue obligatoire: le gel hydro-alcoolique pour les mains! Et lorsqu’on évoque la question du Covid-19 avec Ludovic Vanackere, on sent le chef plus que prêt! « Cela fait trois semaines qu’on prépare la réouverture. En fait, on attendait les mesures officielles pour le Covid mais on ne pouvait pas non plus attendre la dernière minute si on voulait rouvrir le 8 juin. On a donc regardé ce qui se faisait dans d’autres pays et, au final, on a été plus sévères que les mesures annoncées. Au final, j’étais plus stressé que les clients. Vu l’immense espace de la grange, on a juste dû enlever une table de quatre et l’on a mis un tapis autour de la grande table en bois, pour créer un chemin naturel invisible et on a gardé une distance de 2m50 d’avec les autres tables », énumère Vanackere, bien conscient que tous ses confrères n’ont pas sa chance.
Un repas en toute sérénité
Et c’est véritablement un sentiment de confort et de sérénité qui émane de ce premier repas au restaurant après des semaines d’abstinence. Si l’équipe (le chef, un cuisinier et le serveur) n’étaient pas masqués, on remarquerait à peine que nous sommes en plein déconfinement dans ce resto qui fait un carton plein dès le lendemain de sa réouverture. Ce midi, vingt-cinq personnes ont répondu à l’appel, beaucoup de duos, un groupe de six et même une personne seule. « Hier, on a fait un lundi comme un excellent samedi soir! C’est ce qu’on voulait, que les clients ne remarquent rien et se sentent bien », se réjouit le chef.
C’est peut-être seulement au moment du passage aux toilettes que l’on note les quelques investissements qui ont été nécessaires pour adapter les lieux. Des panneaux informatifs avec les règles de base à respecter: rester à table avec ses convives, garder une distance d’1m50 avec les autres personnes, se désinfecter les mains après chaque passage aux toilettes, paiement par carte ou sans contact recommandés… Tandis que des poignées à coude ont été ajoutées aux portes des toilettes et du désinfectant est mis à disposition des clients. « On a eu de la chance, car j’avais des distributeurs de gel en stock, mais aussi des masques pour nos ateliers. L’investissement n’a donc pas été très important. Sauf pour la terrasse, qu’on avait prévue plus petite au départ… »
Conserver le personnel
Même durant le repas (cf. ci-contre), difficile de se douter de quoi que ce soit. Le rythme du repas est parfait et la cuisine de Ludovic Vanackere plus créative que jamais. « Hier soir nous étions six pour le premier jour, mais aujourd’hui, pour le déjeuner, nous ne sommes que trois. Il faut être au taquet! Avec les nouvelles normes, on peut atteindre un maximum de 36 personnes, mais ce n’est pas assez pour garder toute l’équipe avec des horaires normaux. On a dès lors décidé de réinventer le modèle économique et de remodeler le service. Désormais, on travaille à trois le midi et trois le soir. Et on teste une ouverture 7/7, sauf le dimanche soir, la terrasse étant ouverte tous les après-midi. On espère que ça marchera et que ça finira en guinguette le dimanche s’il y a du soleil! », s’enthousiasme le chef. « Pour la terrasse c’est un peu touchy, mais à la guerre comme à la guerre. Si on se fait défoncer, c’est un problème de luxe! On trouvera bien quelqu’un pour venir donner un coup de main. »
En tout cas, le premier pari de Ludovic Vanackere, faire plaisir aux clients, semble réussi. « C’était parfait! Et bravo pour la communication hyper claire.. », glissent au chef deux clients en partant.
Des assiettes déconfinées maîtrisées
Alors que Ludovic Vanackere a passé ces dernières semaines à réfléchir à la façon d’accueillir les clients dans les meilleures conditions, tout en revoyant son business model pour tenir le choc durant la crise, on était curieux de découvrir ses premières assiettes au lendemain du déconfinement. Et là encore, le jeune chef namurois a refusé de transiger sur la qualité. Les formules (divers menus imposés pour la table) et les prix sont restés inchangés. Le midi, cela va d’un business lunch 2 serv. à 29€ pour les plus pressés à un confortable lunch gastronomique (4 serv. à 60€) à savourer en parallèle avec une sélection de vins accessible et à propos (21€).
Dès l’apéritif, on retrouve la marque du chef: l’accent mis sur les produits locaux, avec notamment une liqueur anisée de sa création, réalisée par Blackbird et mise à l’honneur dans l’apéritif du moment avec du jus de pomme et du gingembre.
Adapter sa philosophie à la crise
À côté de jolies carottes du jardin accompagnées d’une purée de fanes ou d’une savoureuse raviole de houmous de lentilles Graines de curieux au beurre blanc, on s’étonne, en mises en bouche, de retrouver du jambon Ganda.
« Rien n’a changé dans la philosophie; on est toujours sur du local. Mais le côté local extrême sur mesures, on ne l’a plus en ce moment sur les produits frais, car on ne pouvait pas anticiper la réouverture, justifie Vanackere. Par exemple, si je veux du canard, j’appelle Eric mon fournisseur trois mois à l’avance pour en avoir et je l’ai ensuite à la carte pendant trois semaines… Ici on a par exemple dû acheter nos micro-pousses dans le commerce, et elles sont tout sauf écolos, avec du plastique partout… Normalement, on bosse avec Petit Poucet, un producteur qui travaille avec des graines Semailles, dans des boîtes compostables, dans du terreau… Ici, le fenouil vient du commerce. Alors que, normalement, on travaille avec la coopérative Agricovert à Gembloux, qui nous fournit tout ce qu’on n’a pas au jardin. D’habitude, on n’a rien qui vient du marché matinal, à part un peu de gingembre ou des graines de coriandre… »
Petits changements en cuisine
Malgré ces contraintes temporaires, le chef signe deux très belles entrées en ce lendemain de réouverture. Décliné en cru, cuit et pluches, le fameux fenouil agrémente de la betterave et des radis cuits au gros sel, le tout dans un lait battu à l’huile d’herbes. Puissant et gourmand à la fois!
Pas grand chose à redire non plus du filet de haddock façon gravlax tout en fraîcheur, avec ses petits pois, du céleri vert et de la livèche, dans un profond bouillon de cosses de petits pois au thym et au romarin du jardin.
Seule petite note négative, les entrées paraissent un poil salées. Vanackere explique que, suite à la réorganisation de ses équipes, il a fallu revoir quelques petites choses en cuisines, notamment dans la mise en place. « Désormais, on goûte tout avant le début du service chacun avec sa propre cuillère, pour ne pas devoir lever son masque à chaque fois. Alors qu’avant, je pouvais goûter les sauces vingt fois pendant le service… »
Des asperges fermentées
Si le chef avoue avoir été un peu débordé durant ce premier service en équipe réduite à trois — dépassés par le coup de feu, ils ont par exemple dû laisser la plonge de côté —, cela ne se ressent pas du tout en salle. Ainsi, le plat d’agneau (en provenance de la coopérative Bou Cherie à Émines) est une vraie réussite. Cuite à basse température, mais repassée au barbecue à la minute, la viande est rehaussée d’un jus corsé, de pommes de terre fondantes, d’une purée de persil et… d’asperges blanches fermentées, qui désarçonnent quelque peu. Le jeune chef explique avoir dû faire fermenter ses asperges il y a trois semaines, en plein confinement, pour ne pas les perdre…
Et puisqu’on est au printemps, un repas à L’Atelier de Bossimé ne s’envisage pas sans fraises de Wépion! Juste découpées à cru, c’est une merveille avec un sorbet de coriandre, persil et menthe parfait et bien acidulé. Pour un dessert peu sucré plein de peps où, comme à chaque étape, du repas, Vanackere fait preuve d’une maîtrise, non seulement technique (cuissons, textures…), mais aussi et surtout des assaisonnements punchy.
Envie d’y goûter?
- Atelier de Bossimé. 2 rue Bossimé 5101 Loyers.
Rens.: www.atelierdebossime.be ou 0478.13.71.25.
Ouvert tous les jours (sauf dimanche soir).
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