Fred tend un sachet sous-vide rempli de chicons à Nicolas Decloedt. Le chef du Humus x Hortense, près de la place Flagey à Bruxelles, vérifie la cuisson de l’ingrédient principal de son nouveau plat: « C’est pour le croque-chicon! Les chicons sont cuits dans un bouillon herbacé avec des légumes, comme on cuirait un jambon. Ils garniront des tranches de pain de chez Charli, avec des chicons crus, un ketchup réalisé avec des shiitakés de Bruxelles, un peu de miso et un fromage de chèvre puissant, d’un producteur du Coq. » 

Produits locaux et rigoureusement de saison

« Ce que j’avais en tête quand j’ai commencé mes études culinaires à Coxyde c’est exactement ce qu’on fait aujourd’hui: un menu unique végétal et gastronomique. Après, il y des choses qui se sont rajoutées, comme être une plate-forme pour des artisans locaux », lance fièrement Decloedt. En effet, à la table de Nicolas Decloedt, 95% des produits travaillés sont locaux. Un bilan carbone que peu de chefs peuvent afficher. « ll faut dénicher des bons produits mais c’est plus facile de trouver de bons légumes en Belgique que de la bonne viande », plaisante Decloedt. Mais travailler avec de la viande ou du poisson ça te donne un spectre plus grand. C’est plus facile de donner du goût, de l’umami, avec de la viande. » 

Photos du reportage: ©Didier Bauweraerts

 

C’est aussi la saison qui dicte strictement l’évolution du menu chez Humus x Hortense. « C’est Dries Delanote, de la ferme Le Monde des Mille Couleurs à Ypres, qui me fournit mes légumes. Si j’ai une envie, j’attends le produit. Cet été, j’ai eu envie de réaliser une pizza Hawaï. » Là, tout mangeur normalement constitué s’étrangle! Mais Decloedt a plus d’un tour dans son sac… Sans ananas bien sûr! J’ai attendu le moment des tomates ananas et j’ai ajouté de la sauge ananas et une sorte de camomille sauvage, qui a aussi le goût de ce fruit. Et avec de la mozzarella Buffl’Ardenne évidemment! »

Une philosophie de vie

Aujourd’hui, tout le monde se presse chez Humus x Hortense pour déguster la cuisine végétale de Nicolas Decloedt. Mais pour le chef, les gens ne doivent pas penser au fait qu’ils vont manger végétarien. « Quand un plat est intéressant, on ne se pose jamais la question de savoir si on a mangé de la viande ou pas. On a pris du plaisir, c’est tout », plaide celui qui refuse qu’on lui colle l’étiquette « végétarienne ». « On évite le terme végétarien dans toute notre communication. Il me donne des plaques rouges. C’est l’une des raisons pour lesquelles certaines personnes ne veulent pas manger ici. Car on nous associe à ce genre de restos, où tu vas te nourrir parce que tu as faim, pas pour te faire plaisir. Nous, on veut offrir une expérience totale. » 

Mais c’est bien plus que cela encore que revendique Decloedt: « Humus x Hortense, c’est notre univers personnel à Caroline (Baerten, sa femme, NdlR) et à moi. C’est un projet dans lequel on s’exprime comme un peintre s’exprime avec ses peintures ou un photographe avec ses photos. Ce qu’on fait ici reflète notre façon de vivre, notre philosophie de consommation: écologique, locale, zéro déchet… On veut montrer aux gens qu’on ne doit pas forcément être soixante-huitard pour avoir envie de changer les choses! »

«  Je ne me mets pas en opposition avec les chefs qui travaillent de la viande ou du poisson. La cuisine contemporaine n’est pas forcément végétale. Mais je suis en opposition avec des chefs qui font venir des langoustines de Nouvelle-Zélande, ou ceux qui travaillent avec des tomates de je ne sais où en hiver, ou même comme on a eu dans un trois macaron Michelin, des fraises en décembre. Il faut arrêter les conneries! »
Nicolas Decloedt, un chef qui plaide avant tout pour des produits locaux et de saison.

La Sainte-Trinité de Nicolas Decloedt

Pour façonner ses assiettes végétales savoureuses, Nicolas Decloedt mise sur trois éléments: le gras, la fraîcheur et le travail du légume. Le gras est en effet nécessaire pour amener de la gourmandise et de la longueur en bouche. « Le maître-mot pour moi, c’est la gourmandise. C’est ce qui nous porte de la première entrée, fraîche et légère, à la grosse pièce, plus ronde et posée, jusqu’au dessert », explique Nicolas Decloedt, qui, pour « porter les saveurs », utilise du beurre, des huiles de colza ou d’olive mais aussi des crèmes de fruits secs. Tandis qu’il amène de la fraîcheur en utilisant notamment des herbes aromatiques ou des gelées acidulées.

Enfin, il travaille l’ingrédient principal, le légume, en deux ou trois préparations différentes, pour rappeler son goût mais aussi pour lui amener de la fraîcheur, du croquant… « L’été, on travaillera plutôt le légume avec des cuissons courtes pour garder de la texture. L’hiver, on privilégiera les longues cuissons au four. On amènera alors de la texture avec des tuiles, des graines soufflées… »
C
ouleurs, ingrédients insolites, associations de goût inédites, jeu sur les textures. C’est tout cela qui fait la complexité des assiettes de Decloedt. « Notre cuisine est délicate. Les cuissons sont précises, afin que toutes les textures s’imbriquent comme dans un puzzle. Chaque élément dans l’assiette est essentiel et ça ne sert à rien de rajouter quelque chose, même de la viande! » 

Dans son menu, Nicolas Decloedt propose notamment cette terrine de noix associée à des betteraves jaunes rôties et marinées, gelée de cidre, sorbet de pommes fermentées et pourpier. Un plat où les notes terreuses des betteraves et le côté levuré du cidre et des pommes fermentées amènent une grande complexité gustative.

 

« La cuisine française classique c’est poisson ou viande. Les légumes, une carotte blanchie dans l’eau, sans goût et sans texture. Trois petits pois qui se battent entre eux et une patate tournée blanchie. La garniture quoi! »
Nicolas Decloedt, chef végétal en mode provoc’.

Ce qui fait la différence

Difficile pour Nicolas Decloedt d’expliquer pourquoi ses assiettes végétales sortent du lot mais il fournit encore quelques pistes tout en épluchant des légumes. « De la cuisine classique, j’ai gardé les bons produits et la gourmandise. On ne peut pas oublier le classicisme mais on doit connaître l’histoire et la traduire de manière contemporaine. On ne veut pas de la lourdeur. Les produits doivent être travaillés avec légèreté » explicite le chef.

Nicolas Decloedt investigue aussi le champs très tendance des fermentations. « Les fermentations amènent de la longueur en bouche. Le miso par exemple, est un ingrédient important de la cuisine végétale. Il permet d’explorer des saveurs inédites. En ce moment, on travaille avec un miso de pois chiche maison qui a un an. Mais il y a aussi le nuka, une autre fermentation japonaise traditionnellement réalisée avec du riz. Nous, on réalise une pâte avec de l’avoine et du sel dans laquelle on fait fermenter les légumes. »

Enfin, Nicolas Decloedt cherche d’autres sources d’umami dans le tamari (sauce soja), les fromages forts en goûts ou encore en faisant fumer certains produits comme le fromage blanc. 

Nicolas Decloedt a été le tout premier chef à proposer un menu exclusivement végétal à décrocher le prix de « meilleur chef légumes » au Gault&Millau 2019. « La prochaine étape c’est chef de l’année! On veut juste prouver qu’on peut proposer une gastronomie différente, écologique, en privilégiant des démarches équitables et donner quand même du plaisir aux gens, et même les inspirer chez eux, pour qu’ils choisissent autre chose que des produits industriels! » conclut joyeusement le chef.

« On a peu de déchets en cuisine. On fait par exemple un plat autour du chou-fleur. On prend une partie des feuilles pour faire un bouillon et quand celui-ci est froid, on infuse dedans des feuilles de chou-fleur séchées, des shiitakés séchés et du kombu. On fait une sorte de dashi. On a donc déjà récupéré une bonne partie des feuilles du chou-fleur qu’habituellement tout le monde jette. On sert ensuite ce chou-fleur laqué avec une crème à base de raifort et le dashi. Enfin, avec le reste des feuilles séchées, on a créé un vermouth avec Matthieu Chaumont, que l’on a sert avec ce plat. »
Le chef Nicolas Decloedt en mode zéro déchet avec le mixologue Matthieu Chaumont.

La passion du végétal

Végétarien depuis plus de 20 ans, Nicolas Decloedt a étudié la photographie à l’école des Beaux-Arts de Gand, avant de voyager en Finlande, au Canada ou encore au Mexique… Mais sa passion pour la cuisine le dévore. A 28 ans, il suit le cursus de l’école culinaire de Coxyde pour les adultes. Il enchaîne ensuite les expériences chez les grands chefs: Kobe Desramaults au In the Wulf à Dranouter, Pascal Devalkeneer au Chalet de la forêt et Christophe Hardiquest chez Bon Bon à Bruxelles. Avant de devenir le chef de chez Eat Love, petite adresse gantoise.

Mais c’est son expérience au Mugaritz d’Andoni Luis Aduriz qui le marque définitivement. Le chef espagnol est en effet l’un des premiers à disposer d’un jardin pour alimenter son restaurant et Nicolas Decloedt ne choisit pas d’y travailler par hasard…
En effet, le Flamand voit chez Michel Bras (et son célèbre gargouillou) un précurseur de la cuisine végétale. Tandis que le Danois René Redzepi est, pour lui, celui qui a tout changé, en inversant les proportions viande-légumes et en proposant des assiettes axées sur les légumes.

En 2013, Nicolas Decloedt lance ses premières tables d’hôtes végétales, « Humus », chez lui, à Jette. Avant de faire le grand saut en 2017, en s’associant avec le mixologue Matthieu Chaumont pour créer Humus x Hortense. Si ce dernier imagine toujours les cocktails de la maison, c’est Nicolas et son épouse, Caroline, sommelière et directrice créative des lieux, qui mènent désormais la barque.

 

Déjeuner vendredi et samedi de 12h à 14h30 (26€-46€) et dîner du mardi au samedi de 18h à 23h30 (48€-118€).
Rens.: +32 474.65.37.06 ou  www.humushortense.be.