Lors du Washoku-dō, festival qui avait lieu à Kyoto fin janvier, le Japon pensait le futur de sa gastronomie…

La gastronomie japonaise s’ouvre au monde

Du 30 janvier au 1er février derniers, Kyoto accueillait le Washoku-dō, un événement centré sur le rayonnement de la cuisine japonaise dans le monde. Il s’agissait aussi de célébrer le premier anniversaire de l’inscription par l’Unesco au patrimoine culturel immatériel de l’humanité du washoku, le repas traditionnel japonais (cf. ci-dessous).

Une compétition internationale

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Le jury en pleine dégustation du plat du candidat américain Aaron Pate.

Ce festival débutait par une compétition réunissant 10 chefs non-japonais venus du monde entier, chargés d’imaginer un plat japonais original soumis à un jury de professionnels. Si, pour la petite histoire, c’est le candidat thaïlandais Jaran Deephuak qui a été sacré vainqueur — avec un bar vapeur servi avec des nouilles de sarrasin et du taro —, le Washoku-dō était surtout l’occasion de débattre de l’avenir de la cuisine japonaise. Lors d’un très intéressant symposium réunissant de grands chefs japonais, comme Yoshihiro Murata ou Hiroshi Sasaki, et les Français Alain Ducasse, Thierry Marx et Akrame Benallal.

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Le plat du vainqueur, le Thaïlandais Jaran Deephuak: un bar vapeur servi avec des nouilles de sarrasin et du taro.

Diffuser la gastronomie japonaise de qualité

La France et le Japon ont en effet un point commun: leur gastronomie est inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Mais si la France a réussi à étendre son aura bien au-delà de ses frontières, le Japon peine à diffuser l’authenticité de sa gastronomie. A l’heure où les sushis et les ramens sont entrés dans les mœurs alimentaires de tout un chacun, force est de constater que 99% des 55000 restaurants japonais ouverts dans le monde – ce nombre a doublé depuis trois ans! – sont tenus par des chefs non-japonais ou n’ayant aucune expérience au Japon!

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Les participants au Washoku-dō. A gauche d’Alain Ducasse, Yoshihiro Murata.

Trois étoiles au « Kikunoi » à Kyoto, Yoshihiro Murata enfonce le clou: « Le monde entier s’intéresse à notre cuisine, il est donc important de préserver notre culture. Ducasse, tout le monde connaît, mais « Kikunoi » personne! Il faut que la cuisine japonaise soit mieux connue à travers le monde. » Pour Alain Ducasse, c’est clair: « Il faut préserver l’authenticité de la cuisine japonaise mais celle-ci doit aussi s’ouvrir plus aux chefs étrangers. Murata a été le premier à ouvrir ses cuisines il y a une dizaine d’années. En France, on le fait depuis 40 ans. Vous avez fermés vos cuisines, c’est pour cela que vous accusez du retard.»

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Le festival était aussi l’occasion de présenter les superbes légumes de la préfecture de Kyoto qui bénéficient d’un label de qualité (kyoyasai): la carottes de kintoki rouge, le radis de Shôgoin, des brocolis à jets (cime di rapa)…

Cette problématique, le gouvernement japonais tente désormais d’y répondre en facilitant l’obtention de visas pour les chefs étrangers souhaitant s’initier aux rudiments du washoku au Japon, même si pour le moment, seule la préfecture de Kyoto est concernée. « Si nous voulons nous implanter dans différents pays, dit Murata, il faut former de bons chefs étrangers, qui seront imprégnés de la culture japonaise et qui pourront partager ce qu’ils ont appris. C’est comme ça que nous pourrons influencer le monde! »

Une nécessité économique aussi

Après plus de deux décennies de stagnation économique et après la catastrophe provoquée par le tremblement de terre et le tsunami de 2011, Shinzo Abe, le Premier ministre japonais, a mis en place une politique de relance pour booster l’économie. Parmi les grands axes de son programme, le développement du tourisme mais aussi des exportations — on verra par ainsi bientôt débarquer chez nous des vins japonais

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Un des plats les plus connus du washoku, un sukiyaki avec du boeuf wagyu.

La nécessité pour le Japon d’exporter plus ses produits pour développer une gastronomie d’excellence à l’étranger était au coeur des débats de Kyoto. Pour le moment, le Japon exporte très peu de produits (la plupart sont transformés) — 70% de ces exportations sont destinées à l’Asie; suivent les Etats-Unis et l’Europe. Mais cela change. La preuve, le boeuf wagyu a débarqué depuis peu sur nos tables. Le Japon ayant des volumes de production très faibles, il est nécessaire pour lui de se concentrer sur des produits à forte valeur ajoutée.

Les atouts de la cuisine japonaise

Pour gagner en popularité, la cuisine japonaise a cependant un atout certain, celui de la santé. Dans ce pays où l’espérance de vie est la plus élevée dans le monde, on cuisine sans graisse! « Moins de gras, moins de sel et de sucre, plus de légumes verts et de saison, moins de protéines animales… Vous avez l’avantage d’une cuisine considérée comme saine. Mais vous devez aussi consommer plus durablement les produits de la mer, en étant plus précautionneux des ressources rares de la planète. Car nous serons de plus en plus nombreux sur cette Terre et nous devrons tous manger à notre faim », concluait Ducasse, tentant de faire passer un message important à un pays qui, après l’ère Meiji (1868-1912), est en train de s’ouvrir une nouvelle fois.

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Tout l’art du shojin ryori, une nourriture végétarienne saine pour le corps et l’esprit consommée par les moines bouddhistes.

Mais les enjeux du washoku sont aussi internes. Les jeunes Japonais eux-mêmes ne connaissent plus les noms des plats de la tradition, se gavent de fast-food ou de plats préparés achetés dans les convenient stores (en anglais dans le texte), tandis que les familles ne prennent plus le temps de préparer des repas ensemble. Il était donc urgent de responsabiliser les Japonais pour préserver et transmettre leur culture culinaire.

Washoku, kézako?

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Un traditionnel ichiju-sansai, repas composé de riz, d’une soupe miso, de pickles et de trois accompagnements.

Le washoku, de « wa » (harmonie) et « shoku » (nourriture), est une pratique sociale basée sur un ensemble de savoir-faire, de connaissances, de pratiques et de traditions liés à la production, au traitement, à la préparation et à la consommation d‘aliments. Il fait d’abord référence à l’ichiju-sansai, le repas traditionnel japonais, composé de riz, d’une soupe miso, de pickles et de trois accompagnements comprenant un plat de poisson ou de viande et de deux plats de légumes.

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Un plat de tempura avec une très belle feuille de shiso.

Par extension, il désigne aussi tous les plats traditionnels: les sushis, les tempuras, le shabu-shabu, le sukiyaki, le bento, les nouilles soba et udon… On y inclut même les ingrédients de base de la cuisine japonaise: sauce soja, miso, saké, riz, boeuf wagyu, thés verts… La façon dont la nourriture est préparée, présentée et servie est également primordiale.

Bref, le terme washoku désigne la culture culinaire japonaise dans son ensemble, qu’il s’agisse des préparations simples ou plus compliquées (kaiseki) ou de celles plus particulièrement liées aux célébrations annuelles comme le Nouvel An. Le washoku implique également le respect de la nature et une attention particulière aux saisons.

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L’attention aux saisons se fait dans la sélection rigoureuse des produits mais aussi dans le choix de la vaisselle ou des éléments décoratifs, ici des feuilles de houx et une branche de prunier, un des premiers arbres à fleurir au printemps du calendrier lunaire, c’est-à-dire en février.

Un des composants essentiels de la diète japonaise, le dashi, bouillon composé de katsuobushi (copeaux de bonite séchée) et d’algue kombu, est source d’umami, le 5e goût identifié scientifiquement par les Japonais et qui constitue l’un des piliers de leur gastronomie. Enfin, l’aspect santé du régime alimentaire japonais est également mis en avant dans le washoku.

Trois questions à Alain Ducasse

Le grand chef français Alain Ducasse était l’un des invités de marque du second Washoku Festival de Kyoto. Il s’y rendait un peu en voisin puisqu’il possède deux restaurants à Tokyo, le « Beige » et le « Benoit ».

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La cuisine japonaise fait-elle partie de vos influences?

Elle ne m’a pas directement influencé mais j’apprécie cette cuisine très sophistiquée. J’aime la maîtrise parfaite, la justesse des assaisonnements, l’incroyable étendue des goûts, la sélection rigoureuse des produits, la très grande qualité des produits de la mer, la saisonnalité, les terroirs différents, l’harmonie entre le contenant et le contenu…

Les cuisines françaises et japonaises sont-elles, selon vous, les meilleures du monde?

Le Fifty Best (classement du magazine « Restaurant » qui, depuis quelques années, met surtout en avant les gastronomies espagnoles et nordiques, NdlR), c’est pour la presse! Bien sûr que oui les gastronomies françaises et japonaises sont toujours les plus importantes du monde. Les Français et les Japonais ont la même relation à la nourriture, ils sont précautionneux et ce toute classe sociale confondue. La nourriture est ancrée dans leur ADN.

Avez-vous une bonne adresse pour manger japonais à Tokyo ou à Paris?

A Tokyo, le « Sushitsu », où on peut déguster une forme ancienne de sushis où les poissons sont fermentés, maturés (nare-zushi). A Paris, « Okuda » (un restaurant à proximité du « Plaza Athénée » de Ducasse dont le chef, Toru Okuda, règne aussi sur les cuisines de deux autres restaurants à Tokyo, NdlR). Mais en dehors du Japon, c’est à New-York qu’on mange le mieux japonais (et Alain Ducasse d’acquiescer quand on lui parle du formidable sushi Yasuda)! 

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Le temple Rokuon-Ji et son pavillon d’or, un des superbes temples de Kyoto.