Chaque passage chez l’orphèvre Sang-Hoon Degeimbre est un nouvel enchantement. Le chef est en effet marqué par une réelle curiosité et emmène la gastronomie vers des terrains inconnus. Un peu malmené par la remise en cause de la gastronomie moléculaire qui l’a révélé, il ne renie pas son passé pour autant mais invite à découvrir une autre facette de sa cuisine en mettant l’accent sur sa collaboration avec le jardinier Benoît Clairvacq. Notamment à travers le nouveau menu Genèse (5 serv. 85 € + 38€ pour les vins), qui évolue au gré de la saison.

Fleurs vinaigre2.jpgPour débuter le festin, on trempe ainsi délicatement des fleurs de sureau dans un petit vinaigre de framboise maison, on se régale d’un trio japonisant d’œufs de poissons (lump, saumon et truite) servi avec du riz koshi et un gel de yuzu parfaitement exécuté.

Si les saveurs du maatje allié au melon et à la pastèque rafraîchissent et séduisent, mais sans plus, on apprécie vraiment la prise de risque sur cette composition tout en vert emprunte d’amertume, construite autour de l’avocat, des fèves des marais et d’un jus anis-shiitaké. On termine ces mises en bouche très travaillées avec un délicieux petit artichaut poivrade

 

Après cette mise en jambe, la dégustation peut commencer, avec une géniale “eau de légumes” aux saveurs marines (anguille fumée et junsaï, une pousse aquatique recouverte d’une gelée) et aux fleurs de capucine. Tout aussi raffiné, le filet de cabillaud impressionne par sa fausse simplicité: la cuisson au sel puis à basse température est parfaite, tout comme l’équilibre avec la douceur acidulée de la rhubarbe vanillée. Le tout servi avec les premiers petits pois frais du jardin. A se damner! Tout comme le veau de Corrèze cuit au foin “maison”, servi en déclinaison avec mini-poireaux et pommes de terre nouvelles fumées à l’instant au bois de cèdre.

Avant le dessert, une petite assiette de fruits et de fleurs de saison est un régal de légèreté aux saveurs délicates. On apprécie peut-être un peu moins le dessert en lui-même, un peu trop explosé (sorbet à la rose, cookies, glace à la coriandre, zestes d’oranges, yaourt…), qui s’associe pourtant bien agréablement à la Blanche de Namur.

Chez San également en ce moment, hors menu « Genèse », un joli duo de homard: la chair est présentée en tartare, tandis que la queue s’accompagne d’un excellent gaspacho de fraises orné de fleurs. Le summum du raffinement, qui parcourt également le menu dégustation “Saveurs et modernité” (110 €) et la carte entièrement revisitée. Celle-ci propose en effet désormais un best of de ses inventions, comme ce “Favori 2002 Terre Mer” (alliant ris de veau et langoustines bretonnes), ce “Favori 2005 Jackson Pollock” (où le turbot s’accompagne d’un “dripping de goûts et de couleurs”) ou encore ce récent “Favori 2010” Chimère” en noir et blanc ou « oeuf de poulpe » (30 €). Où le chef reconstitue la texture d’un œuf à 62°C à partir de chair de poulpe et s’amuse de textures noires. Une proposition d’une inventivité visuelle incroyable mais qui, au-delà de sa technique, laisse paradoxalement un peu sur sa faim au niveau du goût.

Mais pas de quoi remettre en doute une certitude : par son souci du détail, sa recherche du goût parfait, Sang-Hoon Degeimbre est l’un des plus grands noms de la cuisine belge. La troisième étoile apparaît tout à fait à sa portée !

Cette critique a été publiée dans « La Libre Belgique » du 17 juillet 2010

  • Cote: 9/10.
  • Cuisine: française.
  • Cadre: moderne.
  • Cave: sommelier aux jolies trouvailles.
  • Terrasse: oui.
  • Parking: oui.
  • Adresse: 181 ch. de Louvain 5310 Noville-sur-Mehaigne.
  • Rens.: 081.81.30.48 ou www.airdutemps.be.
  • Ouverture: fermé dimanche, lundi et samedi midi.

Le petit plus du blog:

féminin.gif Le grain de poivre de La fille: « San n’a pas besoin de trop d’artifices pour briller derrière les fourneaux (cf. la texture d’œuf à 62°C reconstituée à partir de chair de poulpe). Mais peut-être que ce que nous concevons comme des artifices, il les conçoit lui comme un travail créatif nécessaire à son épanouissement de chef. Et ça, je pense qu’au-delà du débat sur la cuisine moléculaire, on peut le saluer. Son besoin intarissable de recherche, de créativité est une magnifique passion. »

  Le grain de sel du Garçon: « Trop fort ce San! Il me réconcilierait presque avec la cuisine moléculaire car la qualité est vraiment au rendez-vous, sans compter sur l’excellent sommelier (San a lui même une formation oenologique). Et sa cuisine « technico-émotive » me donne sacrément envie d’aller goûter à la cuisine du Danois René Redzepi, la nouvelle sensation culinaire du moment au « Noma » à Copenhague. Car San nous a dit qu’il y a été il y a quelques semaines et qu’il en est revenu bouleversé. »