©Photo en une: Aromi.Group
On est mi-juillet. Pourtant, ce matin, le ciel est chagrin sur Rome. Anthony Genovese, chef franco-italien auréolé de deux macarons au restaurant Il Pagliaccio, nous a donné rendez-vous au Roscioli Caffè pour la colazione. Entendez le petit-déjeuner.
Roscioli, qui compte plusieurs adresses, est une véritable institution dans la capitale italienne. Au restaurant-épicerie, on se régale de classiques romains, comme la pasta cacio e pepe ou la moins connue gricia (au guanciale, pecorino romano et poivre), réalisés à la perfection (en photo). Tandis qu’à l’Antico forno, on fait le plein de pains, pizzas et autres focaccie.
Au Roscioli Caffè, on prend un café serré al banco (adossés au bar), comme de vrais Romains. Et le chef nous propose de l’accompagner d’un maritozzo, une brioche généreusement farcie de crème fouettée. Il nous explique que, traditionnellement dans de Latium, il était d’usage que le futur mari (le maritozzo) offre cette douceur à sa fiancée, en y dissimulant parfois un anneau ou un bijou (en photo).
Marché aux légumes
La brioche engloutie, on met le cap vers le Campo dei Fiori, situé à deux pas. Un peu surpris quand même que le chef veuille nous montrer ce marché devenu très touristique et qui, depuis quelques années, n’est plus que l’ombre de lui-même… Pourtant, une fois arrivés au stand de Claudio Zampa, troisième génération de maraîchers sur le campo depuis 1929, nos yeux s’illuminent face à un festival en Technicolor de superbes tomates cerises Pachino Punta delle formiche, de fines et allongées aubergines perline, d’oignons rouges de Tropea et de moins connus oignons doux siciliens de Giarratana, un presidio Slow Food… Là, on comprend que le maraîcher d’Anthony Genovese sélectionne les plus beaux légumes aux quatre coins de la Botte!
« Longino (NdlR. Longino & Cardenal fournit 80% des tables étoilées romaines) a des produits de qualité mais, au final, tout le monde se retrouve avec la même chose… Je travaille depuis 16 ans avec Claudio. Il y a dix ans, les légumes était un accompagnement, aujourd’hui, ce sont les stars des assiettes. C’est donc très important! », explique le chef du Pagliaccio, qui tient à nous présenter un autre de ses fournisseurs avec qui il travaille depuis 18 ans: « Pour les produits, Roscioli c’est pas mal, mais venez, on va à La Tradizione! »
Fromages et charcuteries
Le temps de traverser le Tibre en Taxi direction via Cibro, à quelques pas des affolés Musées du Vatican, nous voilà arrivés dans une véritable caverne d’Ali Baba. Dans les comptoirs, des trésors de fromages et de charcuteries.
On en goûte quelques uns: une tome Valchiusella au lait cru de vache des Alpes, un fromage de chèvre cendré au lait cru d’Oltrepò Pavese (où les 60 biquettes ont droit à de la musique classique), un gorgonzola fait à Novara et vieilli dans la cave d’affinage de La Tradizione en Ombrie avec du marc de primitivo de Manduria… « Cet hiver, je le travaillais en sauce avec un ravioli au colvert », raconte le chef, conquis par ce bleu à la fois crémeux et piquant.
On continue les découvertes au rayon charcuterie. Incroyables cet osso collo de Mangalitza du Friuli ou ce culatello nero de Massimo Spigaroli. « Mais goûtez ça!, lance Anthony. Ça vient de chez moi! » On mord à pleine dents dans une soppressata au piment réalisée dans un petit village de Calabre, non loin d’où est originaire le chef.
Anthony Genovese vient ici tous les lundis pour manger son panino (sandwich) et on ne se fait pas prier pour goûter. Un pane osso – un pain romain antique très croquant qui, comme son nom l’indique, ressemble à un os – , avec des friarielli et de l’osso collo di Martina Franca. Bonheur!
Direction la ferme
Un peu plus tard, on a rendez-vous avec Jacopo Ricci, ancien du Pagliaccio qui vient d’ouvrir Jacopa avec Piero Drago dans le quartier de Trastevere. Une adresse où il propose une cuisine rock et contemporaine et soutient les producteurs locaux. « Il Pagliaccio, c’est l’un des meilleurs restos d’Italie. C’est une cuisine personnelle, qui ne ressemble à aucune autre. Le chef fait tout à l’ancienne. Il m’a appris à contrôler la cuisson à la main ou à réaliser des fonds. Mais je n’arrive toujours pas à les faire comme lui! Il maîtrise aussi la cuisine asiatique et les épices comme personne. Je me souviens encore de son incroyable poulet au curry. Un vrai! », s’enthousiasme l’ancien élève.
Avec Antonio Ziantoni, le chef de la jeune table Zia qui a lui aussi fait ses classes au Pagliaccio – le chef a déjà fait école! -, Jacopo Ricci tente de convaincre leur précédent patron d’entrer dans un groupe d’achat pour soutenir la coopérative Agricoltura Nuova, installée dans le sud de Rome. Née en 1977 à l’initiative de jeunes sans emploi qui se sont emparés de terres laissées à l’abandon depuis la guerre, elle a toujours eu pour vocation l’intégration sociale de travailleurs handicapés. Élevage de cochons, de vaches laitières pour la production de yaourts et fromages, culture de céréales, production de miel… On fait ici de tout, à échelle raisonnable et toujours en bio. Dans la boutique ou l’un des restaurants, on pourra goûter à leurs bons produits. Sont-ils par contre assez parfaits pour se retrouver sur la table d’Anthony Genovese? « Il faut les aider! », assurait ce grand chef exigeant en partant pour rejoindre son restaurant…
Anthony Genovese, chef baroque
« A 50 ans, je dois relever un nouveau challenge: les trois étoiles! » Le ton est donné. Pour ce faire, en février 2019, dix ans après avoir reçu ses deux étoiles, Anthony Genovese a entièrement repensé son Pagliaccio, seul restaurant deux macarons de Rome, situé en plein centre historique de la ville, à deux pas du Campo dei Fiori. Dans un esprit plus contemporain, on a viré les nappes, redéfini l’éclairage, on s’est débarrassé du superflu pour revenir à l’essentiel.
Une chose n’a pas pourtant pas changé dans ce restaurant ouvert en 2003 par Genovese et son amie alsacienne Marion Lichtle c’est ce tableau de « clown » (pagliaccio en italien) qui trône dans l’entrée, offert par la mère du chef.
Anthony Genovese est très attaché à cette idée du cirque. Il y a d’abord le cirque médiatique qui l’agace profondément, sourire aux journalistes, et les « jeunes chefs arrogants du Fifty Best ». Il y a sa piste aux étoiles, son restaurant, qui, comme lui, a une forte personnalité, avec des couleurs vives et des jeux sur les matières – on est bien loin de l’étoilé habituel, où tout est blanc et limpide. Il y a surtout cette cuisine parfois extravagante, qui marie les saveurs de façon inédite. Où le chef joue à l’équilibriste avec beaucoup de succès, et parfois quelques petits ratés. Le propre de toute cuisine profondément créative.
Un chef, trois cultures
Né en France en 1968 de parents calabrais, Anthony Genovese a fréquenté l’École hôtelière de Nice, avant de travailler pour plusieurs étoilés français, à Monaco, Marseille et Nice. Mais c’est à Florence, à la mythique Enoteca Pinchiorri*** de la Française Annie Féolde, qu’il débute sa carrière italienne.
Son parcours se poursuit ensuite en Asie, et plus particulièrement au Japon, en Malaisie et en Thaïlande. Puis retour en Italie, à Ravello, où il décroche sa première étoile au guide Michelin au restaurant Rossellinis, avant de finalement concrétiser son projet à Rome.
Une cuisine autobiographique
Ce qui épate immédiatement chez Anthony Genovese, c’est sa cuisine autobiographique, nourrie de ses origines françaises et italiennes, mais aussi de ses voyages en Asie. Une cuisine identitaire qui a eu du mal à passer en Italie… « Cela a été très dur pendant les cinq premières années. Notre clientèle est d’ailleurs composée à 75% d’étrangers », soupire le chef, qui s’est toujours refusé à servir des pâtes carbonara.
On a du mal à comprendre les réticences lorsqu’on découvre ses mises en bouche. Comme cette anémone de mer cachée dans une fleur de courgette frite, servie avec une mayonnaise au bambou. Puissant! Ou ce sublime et délicat xiao long bao au corégone.
Des pâtes exceptionnelles
Le chef excelle aussi dans la préparation des pâtes. Parmi les meilleures et les plus créatives d’Italie! Des tagliolini froids sont ainsi associés, tout en finesse, avec une émulsion d’oursin et du thé lapsang souchong. Une merveille!
Tandis que de petites pâtes en forme de grains de riz étaient travaillées comme un risotto, avec des couteaux, une infusion au basilic et des pistaches. La précision technique est là. Tandis que Genovese apporte un raffinement presque français à ses pasta, et quelques incartades orientales.
Tout sauf minimaliste, la cuisine du Pagliaccio est baroque, complexe et n’a pas peur de prendre des risques. Comme avec ce carabinero à la poudre de carapaces, mini-crevettes japonaises frites (ebi), sauce à la betterave et hibiscus, myrtilles en saumure. C’est pictural, floral, déroutant.
Avec des plats aussi audacieux, Anthony Genovese jette clairement un regard inédit sur le monde de la cuisine italienne.
Envie d’y goûter?
- Il Pagliaccio. Via dei Banchi Vecchi, 129a, 00186 Rome.
Menus Circus (10 serv., 185€), Charivari (8 serv, 165€) lunch Intermezzo (3 serv., 85€). - Fermé mardi midi, dimanche & lundi.
- Rens. www.ristoranteilpagliaccio.com ou +39.06.68.80.95.95.