On ne se lasse jamais de Venise. Se perdre dans son lacis de calli en tentant d’échapper aux foules de touristes massés sur la place Saint-Marc est un bonheur presqu’aussi grand que de déguster quelques cicchetti avec un’ombra (un verre de vin blanc) ou un Spritz al Select (un apéritif né en 1920 sur l’île de Murano, qui change de l’éternel Aperol). Venise est un art de vivre, où l’émerveillement face à son incroyable richesse artistique se mêle au ravissement de la table – il suffit d’une visite au marché du Rialto pour se rendre compte de la qualité des légumes et des poissons de la Lagune. Et si on prenait prétexte d’une visite culturelle pour s’asseoir à une bonne table ?
Voici en tout cas cinq de nos meilleures tables à Venise. Et bien plus sur cette carte gourmande…
Arsenale => CoVino
Bistrot. La 57e Biennale d’art contemporain se poursuit jusqu’au 26 novembre dans toute la ville. Même si le plus gros des expos se concentre aux Giardini et à l’Arsenale, sous le thème cette année de : “Viva Arte Viva”. Une véritable déclaration d’amour à l’art comme moyen d’expression face à l’individualisme, à la dictature ou au terrorisme.
Après deux ou trois heures de déambulation dans les allées de l’Arsenale, on mettra le cap vers le CoVino tout proche, minuscule bistrot repris en 2013 par le fils du fantasque Mauro Lorenzon, figure vénitienne incontournable à la tête de l’“Enoteca Mascareta”. En compagnie de son tout jeune chef Michele Conforte, Andrea Lorenzon pratique ici une cuisine vénitienne bien sentie et pas chère (lunch 2-3 serv. à 27-36€), revisitée juste ce qu’il faut pour la différencier des osterie classiques et servie avec d’excellents vins nature italiens droits comme des “i”.
On adore les traditionnels bigoli in salsa, préparés avec des produits choisis : oignons cuivrés de Montoro, anchois de Sicile et une pointe de cannelle. Plus moderne, le filet d’espadon est présenté dans une sauce dans l’esprit du vitello tonnato, avec des câpres de l’île de Pantelleria et des petites tomates fraîches. Simple mais très savoureux !
Tout comme la cassata en dessert, alliant ici crème de ricotta di bufala, amandes de Noto (une sentinelle Slow Food), pistaches de Bronte et fruits confits. Tandis qu’avec le café (ici en version slow et non ristretto), on a droit aux biscotti della mamma. On adore !
Calle Pestrin Castello, 30122 Castello, Venise.
Rens. : www.covinovenezia.com ou +39.041.241.2705.
Musée Correr => Harry’s Bar
Institution. Jusqu’au 26 novembre, dans le cadre de la Biennale, se tient au musée Correr – musée municipal de Venise qui contient des œuvres témoignant de la vie quotidienne de Venise à travers les siècles – l’expo “The Home of My Eyes” de Shirin Neshat. L’artiste découverte ici à Venise avec l’installation vidéo “Turbulent”, avait décroché le Lion d’or en 1999.
Après avoir admiré le cycle de 55 photographies inédites en Europe de l’artiste iranienne basée à New York, on ne manquera pas de faire un tour au Harry’s Bar, juste derrière la place Saint-Marc. Si l’on veut manger dans la salle originale du rez-de-chaussée, il faudra montrer patte blanche: pas de shorts ou de chaussures ouvertes. C’est le prix à payer pour découvrir cette institution qui fut fréquentée par Braque, Chaplin, Welles… Et où sont nés deux grands classiques vénitiens: le Bellini (à 21 €, alliant prosecco et jus de pêches fraîches en saison) et le carpaccio, avec sa sauce “universelle” (mayonnaise, jus de citron et sauce Worcestershire; 45€). Tous deux y sont encore parfaits!
Quatre-vingt-six ans après sa création par Giuseppe Cipriani, le “Harry’s Bar” reste en effet incontournable: on s’y régale d’une cuisine traditionnelle préparée dans les règles de l’art (les tripes à la sauce tomate sont divines, 54 €/2 pers.).
Alors oui, c’est cher, mais on fera comme les habitués (dont un ancien consul de Belgique, qui organisait les séjours à Venise de la reine Paola): on commandera des demi-portions, amplement suffisantes tant la cuisine est généreuse. Et cela permettra de ne pas faire l’impasse sur les excellents desserts du “Harry’s Dolci”, comme ce gâteau à la crème meringuée (16 €)…
Calle Vallaresso, 1323, 30124 San Marco, Venise.
Rens.: www.cipriani.com ou +39.041.528.5777.
Pont de la Constitution => Zanze XVI
Gastro. Terminé en 2008, le Pont de la Constitution – quatrième seulement à avoir enjambé le Grand Canal, pour relier la gare Santa Lucia à Piazzale Roma – a divisé les Vénitiens. Certains ayant par exemple reproché à Santiago Calatrava le minimalisme de son dessin, jurant avec le cadre médiéval de la ville. Aujourd’hui, le pont créé par l’un des architectes contemporains les plus en vogue – on lui doit la gare de Liège-Guillemins ou un monument à Ground Zero à New York – fait partie du paysage et attire toujours les curieux.
A deux pas, le long d’un canal tranquille donnant sur les agréables jardins Papadopoli, on trouve l’une des tables les plus prometteuses de Venise : Zanze XVI. Ouverte il y a quatre mois par l’équipe du “Feva”, restaurant étoilé du chef Nicola Dinato à Castelfranco, dans le Veneto, cette belle adresse qui allie tradition et modernité affiche clairement ses ambitions.
En cuisine, on retrouve un jeune chef au talent explosif : Luca Tartaglia, qui vient de passer trois ans à “L’Astrance”*** de Pascal Barbot à Paris. Et cela se sent dans ses menus raffinés (60-80€), qui mettent superbement en valeur des produits locaux et de saison sélectionnés avec soin.
Travaillant en étroite collaboration avec une boucherie du Veneto, “Zanze XVI” tire également merveilleusement parti du potager installé à Castelfranco. D’où viennent par exemple de superbes tomates, transformées ici en un consommé tiède, servi sur un joli assortiment de la mer parfaitement cuits (moules, seiche, palourde…). Tandis que le merlan était accompagné d’une jeune aubergine fondante, d’une belle sauce tomate et de paprika fumé.
Ou la parfaite association entre les saveurs italiennes, une touche de modernité, et une technique à la française maîtrisée !
Fondamenta dei Tolentini, 231 Santa Croce, 30135 Venise.
Rens. : www.zanze.it ou +39.041.715.394.
Libreria Acqua Alta => Alle Testiere
Classique. Ville connue pour son travail sur le papier – les touristes s’arrachent toujours ces beaux carnets recouverts de papier marbré et ces plumes en verre de Murano à l’ancienne –, Venise possède quelques belles librairies. La plus inattendue est certainement la “Libreria Acqua Alta”, près du campo Santa Maria Formosa.
Une véritable caverne d’Ali Baba, où l’on retrouve, entassés partout (jusque dans une gondole ou une baignoire), des montagnes de livres traitant de Venise mais aussi d’art, de cinéma ou de cuisine… Une belle façon aussi d’imaginer Venise sous l’acqua alta, envahie par les eaux…
Ambiance plus zen, non loin de là, Alle Testiere, l’une des adresses classiques incontournables de Venise. Touristes et habitués viennent s’y régaler d’une cuisine de la mer bien faite (mais pas donnée). L’antipasto misto (28€) permet de goûter aux formidables canocchie (squilles ou crevettes-mantes), à des langoustines crues mais aussi à un baccalà mantecato divin. Tandis que les petites seiches de la Lagunes grillées (26€) sont excellentes.
Jusqu’au dessert – un tiramisù évidemment (9€), un classique vénitien –, l’enchantement est de mise. D’autant que la carte des vins permet également de se faire plaisir… Et même de rester à Venise, avec un “Orto”, un vin produit sur l’île de Saint-Erasme, le potager de Venise.
Calle del Mondo Novo, 5801, 30122 Castello, Venise.
Rens. : www.osterialletestiere.it ou +39.041.522.7220.
Fondaco dei Tedeschi => Ruga Rialto
Osteria. Inauguré il y a un an, le “Fondaco dei Tedeschi” est un centre commercial accueillant les plus grandes marques du luxe. On y trouve également une très belle épicerie et “Amo” (cantine imaginée par les frères Alajmo, triplement étoilés aux “Calandre” à Padoue, et designée par Philippe Starck).
Si l’on n’a pas les moyens pour un shopping haut de gamme ou de découvrir l’étrange pizza brevetée cuite à la vapeur des Alajmo (28 €), on y fera quand même une halte pour découvrir la superbe cour intérieure de l’immeuble construit au début du XVIe siècle à côté du Rialto pour les marchands allemands et réaménagée avec soin par le studio d’architecture hollandais OMA. Les jours de beau temps, on montera surtout sur sa terrasse panoramique, qui offre une vue à couper le souffle sur le Grand Canal et les toits de Venise !
Après quoi, il suffira de traverser le Rialto pour aller prendre l’aperitivo au Ruga Rialto, osteria typique où les vieux Vénitiens viennent encore prendre leur verre de vin ou de prosecco au bar avec un ou deux cicchetti. Sarde in saor, friture de poisson, salade de poulpe au céleri, baccalà mantecato, moscardini (petits poulpes)… Tout est bon et pas cher.
Véritable âme des lieux, le vieux chat noir Chicco, est mort en 2016 à 16 ans mais il est toujours un peu là… Le patron, Giorgio, a en effet dressé un autel à sa mémoire. Pour répondre aux réticences de l’Afsca italienne face à ce chat qui se promenait pépère entre les tables ou se prélassait sur le bar, il avait même déniché un vieil édit de la Sérénissime, qui obligeait toutes les restos et cafés à avoir un félin (de préférence une chatte enceinte) pour chasser les souris… Chicco, tu nous manques aussi !
Ruga Vecchia San Giovanni, 692, 30125 San Polo, Venise.
Rens. : www.osteriarugarialto.com ou +39.041.521.1243.