Rencontre avec Euphrasie Mbamba, jeune chocolatière « Bean to Bar » originaire du Cameroun qui, à Ciney et Rochefort, régale avec ses créations siglées Sigoji, à travers lesquels elle défend une vision engagée de son métier, vis-à-vis des cayaoculteurs en Afrique.

Élue “meilleur chocolatier” Wallonie par le Guide des chocolatiers 2019 du Gault&Millau, Euphrasie Mbamba s’est lancée dans l’aventure du chocolat il y a quelques années seulement. D’abord seule dans sa cuisine, puis en suivant des cours du soir au Cefor à Namur – “J’ai arrêté après un an, ça n’allait pas assez vite” –, avant de s’offrir une formation coûteuse chez Callebaut, puis chez des chocolatiers français. En 2014, cette traductrice allemand-anglais qui bossait pour une filiale de la Commission européenne ouvre enfin sa première boutique à Schaltin, dans le Condroz – où elle suit son mari, originaire de la région et lassé de Bruxelles. Sigoji – contraction des prénoms de ses deux fils, Simeo et Hugo, et de la baie de goji (utilisée dans sa première praline) – est né.

Le succès est rapidement au rendez-vous et la jeune femme déménage à Ciney, avant d’ouvrir un second point de vente à Rochefort.

Souvenirs d’enfance

Un sacré bout de chemin pour cette chocolatière de 43 ans d’origine camerounaise. “Je dis toujours que je suis comme Obélix : le chocolat, je suis tombée dedans”, sourit-elle. Jusqu’à l’âge de 10 ans, Euphrasie Mbamba a en effet grandi chez ses grands-parents, cacaoculteurs au Cameroun. “Je connaissais bien les fèves; je jouais avec. Je connaissais la matière première, mais pas le produit fini. Le chocolat est une invention occidentale. En Afrique, on utilise la pâte de cacao, qu’on mange en salé, mais pas en sucré, mais aussi les fèves et la chair fraîche des cabosses. En Afrique, le chocolat existe, mais c’est produit de luxe. Mon grand-père n’aurait jamais pu m’en offrir. Au village, on ne savait même pas ce qu’était le chocolat…”, se souvient-elle. C’est en rejoignant sa mère en Belgique à 16 ans qu’elle découvre le chocolat et comprend le lien avec les fèves de son grand-père…

“Quand je mange un chocolat à 70% de cacao, cela me renvoie à la plantation de mon grand-père, où les maisons étaient en terre battue. Quand il pleuvait, il se dégageait une odeur très particulière; on avait envie de manger cette terre! Quand je croque dans du chocolat noir, je retrouve vraiment le parfum de mon enfance”, confie-t-elle avec nostalgie.

Le “pavé cinacien”, fourré de praliné aux noisettes du Piémont, la spécialité d’Euphrasie Mbamba.

Une chocolatière engagée

Euphrasie Mbamba est l’une des rares femmes à percer dans l’univers du chocolat, avec par exemple Hilde Devolder à Gand ou Mina Apostolidis à Rhode-Saint-Genèse. “C’est vrai que ça bouge un peu. Il y a beaucoup de petites artisanes, mais ce sont toujours les hommes les plus connus malheureusement, comme chez les chefs”, se désole la chocolatière.

Son autre grande fierté, c’est évidemment d’être une chocolatière africaine. “Je suis très fière d’être l’une des pionnières. Aujourd’hui, il y en a une au Canada et une en France.  Au Salon du Chocolat, j’ai aussi rencontré un jeune Camerounais qui s’est lancé près de Charleroi. Je suis aussi une jeune femme qui s’est lancée au Cameroun : Hakam Chocolate.”

Cette identité africaine ne se borne pas chez la jeune femme à la fabrication du chocolat, elle se retrouve aussi dans son travail avec les producteurs. Mme Mbamba fait ainsi partie des “Chocolatiers engagés”, un réseau d’une trentaine de chocolatiers français (dont Euphrasie Mbamba est la seule Belge) lancé il y a quelques mois. Lesquels s’engagent à rémunérer les cacaoculteurs au juste prix, grâce à la création de plantations coopératives au Cameroun, où les producteurs reçoivent également une formation professionnelle aux bonnes pratiques agricoles.

Comme pour tous les commerçants, l’année a été très difficile pour Sigoji. “En ce moment, la situation est morose. On ne se sait pas où on va aller; on essaye de sauver la casse… Il n’y a pas assez de monde en magasin pour conserver tout le personnel”, confie Euphrasie Mbamba, qui a jonglé avec le chômage Covid et les mi-temps pour éviter de licencier l’un de ses neuf employés. “Nous, les chocolatiers, on fait la moitié de notre bénéfice à Pâques (où on a perdu 20-30 % de notre chiffre d’affaires) et en fin d’année. C’est très difficile. D’autant que ce ne sont pas seulement les particuliers qui manquent ; ce sont aussi les cadeaux de société qui ne se font pas…”