Première étape d’un voyage gourmand en Andalousie, entre Méditerranée, Atlantique et villages blancs des montagnes. La semaine prochaine, on rentre un peu plus dans les terres à la découvertes des grandes villes d’Andalousie: Séville, Cordoue et Grenade, au riche passé musulman…

Sur les routes d’Andalousie

« On ira tous tous tous à Torremolinos. Tous tous tous, à Torre-molinos !” En 1992, Jean-Luc Fonck et son groupe Sttellla tapaient juste raillant la Costa del Sol, “où il y a plus de Belges que d’Espagnols”… La première chose qui frappe en arrivant à Malaga, c’est en effet combien les collines donnant sur la Méditerranée ont été défigurées par les hôtels et la foultitude d’appartements destinés aux touristes.

L’impression subsiste quasiment jusque Gibraltar, en passant par Marbella et Estepona, où s’étendent à perte de vue des milliers de kilomètres carrés de serres en culture intensive. Paradoxalement (ou pas), on ne mange quasiment pas de légumes en Andalousie, où les produits de la mer sont rois.

Sur les plages de Málaga, les restaurants, comme El Balneario, proposent tous des espetos de sardinas, de délicieuses brochettes de sardines cuites verticalement à la braise. Tandis qu’on se régale d’ajo blanco, la soupe froide aux amandes mondées typique de l’Andalousie et de l’Estrémadure.

Si l’on est à la recherche d’une ambiance un peu plus locale et authentique, direction, au centre de Málaga, La Cosmopolitana malaguena, qui propose des tapas un peu plus travaillés ou originaux. Comme des dés de cabillaud frits au shiso ou du tartare de thon almadraba cru à l’oeuf frit.

Des villages blancs

L’ambiance trop touristique de la Costa del Sol donne rapidement envie de bifurquer pour rentrer dans les terres et dans la montagne. À Ronda, capitale spirituelle de la corrida moderne, qui possède la plus vielle arène d’Andalousie, construite en 1785, le poisson cède la place à la viande. Avec notamment le fameux rabo de toro a la rondeña, soit de la queue de taureau façon carbonnades, que l’on peut par exemple déguster au Abacara. Installé d’un un charmant hôtel du centre-ville, ce restaurant propose une vue panoramique sur l’impressionnant gouffre de Ronda!

Ronda constitue la porte d’entrée idéale pour partir à la découverte des pueblos blancos, les villages blancs (à cause de la chaux utilisée pour peindre les maisons) qui peuplent la sierra de Cadiz et celle de Ronda. Setenil de las Bodegas, Olvera (photo ci-dessous), Zahara, Grazalema, Vejer de la Frontera… Tous sont plus beaux les uns que les autres !

Située en haut d’une impressionnante falaise, Arcos de la Frontera offre une parfaite escale. Juste en face de l’église San Pedro, la Taberna San Pedro permet de découvrir le Payoyo, fromage de chèvre et de brebis typique de la spectaculaire sierra de Grazalema, tout en s’initiant à la culture du xérès. Originaire de la région de Jerez, le patron est en effet un passionné et possède une carte magnifique.

Une étude que l’on poursuivra évidemment en redescendant vers Jerez de la Frontera, qui a donné son nom au sherry. Dans les tabancos de la ville, on pourra s’initier au monde du fino, de l’amontillado et de l’oloroso (cf. ci-dessous), tout en applaudissant un spectacle de flamenco. Avec un vrai coup de cœur pour El Pasaje, tabanco historique datant de 1925 qui propose une belle sélection de xérès mais aussi de bons tapas (mojama, carne mechada, artichauts marinés au pedro ximénez…).

La Belle (de) Cadix

De Jerez, on retrouve le chemin de la mer en redescendant vers le port de Cadix. Outre sa somptueuse cathédrale (construite grâce au commerce de l’or avec l’Amérique latine), la ville propose un très joli centre historique. À l’emblématique Faro de Cádiz, on s’accoudera au bar pour profiter des meilleurs poissons de l’océan Atlantique. Mention spéciale pour les délicieuses croquettes d’anémone de mer (ortiguillas), une délicatesse de la région, et pour les tortillitas de camarones, les classiques beignets de petites crevettes roses.

Même ambiance, mais choix encore plus complet de poissons et de charcuteries, du côté de Sanlúcar de Barrameda, à l’embouchure du Guadalquivir, à la génialissime Casa Balbino. Avec notamment de beaux coquillages, des petits escargots de terre ou d’excellentes cigalas (langoustines).

C’est aussi près de Cadix, à El Puerto de Santa María, que l’on trouve le meilleur restaurant d’Andalousie, le très impressionnant Aponiente d’Angel Léon, chef andalou triplement étoilé qui propose une vision très personnelle et très technique de la cuisine de la mer (cf. ci-dessous).

Le souffle de l’Atlantique

En redescendant vers Gibraltar, on tombe sur Tarifa, petit port donnant sur le Maroc à l’atmosphère déjà orientale. Situé sur la très venteuse plage de Bolonia (un paradis pour les surfeurs), le restaurant familial Las Rejas vaut à lui seul le détour, pour les traditionnelles tortillitas de camarones, mais surtout pour son arroz de carabineros. Soit du riz préparé façon paella, dans lequel le serveur écrase la tête de ces grosses crevettes d’un rouge écarlate meilleures que du homard ! Et qui laissent un souvenir impérissable…

 

Aponiente: la passion de la Mer

Installé près de Cadix, dans une ancienne usine marémotrice de la zone industrielle d’El Puerto de Santa María, Aponiente est l’un des restaurants les plus intéressants d’Espagne. Triplement étoilé depuis 2017, le chef Ángel Léon y développe, à 42 ans, sa vision très personnelle de la cuisine andalouse avec, comme ligne d’horizon, le travail des produits de la mer, issus de pêches durables.

Des charcuteries de la mer

À l’apéritif, le xérès est évidemment au rendez-vous, pour accompagner les charcuteries de poissons sur lesquelles le chef travaille depuis 9 ans déjà.

On adore sa mortadelle de loup de mer, sa soubressade de maquereau mais surtout, un peu plus tard durant la soirée, son embutido de thon almadraba local, une sorte de grosse saucisse servie avec une sauce gélifiée aux arêtes de poisson.

Tandis que Léon propose un grand classique de la cuisine de Cadix, les tortillitas de camarones (beignets de crevettes), dans une version plus croustillante avec de mini-crustacés tout juste prélevés dans leur aquarium.

Des saveurs audacieuses

Très espagnole dans son esprit, la cuisine d’Aponiente se veut une expérience totale, proposant une quinzaine de tapas explosifs (menus à 195 et 225€), où le chef épate par son audace. On n’a pas toujours l’occasion, dans un trois-étoiles, de manger des pouces-pieds, une crème caramel aux œufs de poisson ou un parfait aux intérieurs de coquilles Saint-Jacques, aux saveurs très intenses de foie. Tandis que le chef propose des escargots de mer très puissants dans un gaspachello blanc, avec une gelée au sang de praires (photo).

Tandis qu’on est en plein dans la “cocina extraterrestre” avec cette technique de cristallisation et de cuisson instantanées du poisson, grâce à un mélange de sels et de vinaigre mis au point par le chef. Et dont l’effet visuel est très avant-gardiste. Elle permet par exemple de fixer les pouce-pieds à l’assiette pour qu’ils soient plus facilement mangeables.

Si l’on regrette l’absence d’un vrai plat, qui viendrait couronner toutes ces petites dégustations, Aponiente propose une véritable aventure, sous la houlette d’un chef au talent certain et à la philosophie claire.

 

La redécouverte du sherry

Chez nous, le sherry semble appartenir au passé, à ces alcools, comme le porto, réservés à l’apéritif du grand-père ou de la grand-mère. En Espagne pourtant, la tradition du petit verre de xérès avec les tapas reste fortement ancrée, même chez les jeunes. La boisson redevient d’ailleurs à la mode un peu partout dans le monde, comme le goût pour les saveurs oxydatives.

Un passage dans le triangle d’or constitué par Jerez de la Frontera (qui a donné son nom au jerez, sherry en anglais ou xérès en français), Sanlúcar de Barrameda et El Puerto de Santa María s’impose pour visiter une bodega, comme par exemple Lustau à Jerez.

C’est nécessaire si l’on veut s’initier aux arcanes de cet univers viticole complexe. Il n’existe en effet pas un xérès mais toute une gamme, des plus secs aux plus doux, des plus simples aux plus complexes.

Un vieillissement particulier

Trois cépages sont autorisés dans la production de sherry : le palomino fino (90 %), très sec, le pedro ximénez (PX) et le moscatel, ces deux derniers étant utilisés pour produire des vins doux. On compte par ailleurs deux grands types de sherry : le fino et l’oloroso.

Fabriqué à partir de palomino, le fino est obtenu en ajoutant au vin blanc pâle une eau-de-vie neutre pour le fortifier à 15,5 %. Le fino est conservé dans la partie froide de la cave dans des fûts remplis à 80 %, où se développe un fin voile de levure appelé flor, qui permet une oxydation très lente. Ce qui le rapproche du vin jaune du Jura. L’assemblage se fait selon la technique de solera, où les fûts d’âges différents sont empilés les uns sur les autres, la rangée supérieure (criadera) étant réservée au vin de l’année.

L’amontillado est un fino plus vieux et plus alcoolisé (16,5 %), qui a perdu son voile et s’est donc oxydé.

Produit à partir de vin plus coloré, l’oloroso est fortifié entre 18° et 20°, ce qui empêche la formation du voile. Il est vieilli 8 à 12 ans en fûts selon la méthode oxydative, dans la partie chaude de la cave. Le résultat est un sherry plus riche, plus sirupeux et plus doux. Cette catégorie comprend l’oloroso, le palo cortado (à mi-chemin entre oloroso et fino), le cream mais aussi, selon les cépages utilisés, le moscatel et le PX (pedro jiménez).

Manzanilla et Montilla-Moriles

Située sur l’océan, la petite ville de Sanlúcar de Barrameda produit un fino particulier, non fortifié, aux notes plus salines et plus fraîches, appelé manzanilla, qui a obtenu sa DO (Denominación de Origen) en 1933, en même temps que le Jerez.

La manzanilla pasada est, elle, l’équivalent d’un amontillado. Chez Barbadillo, la visite guidée est particulièrement bien faite et se termine par une belle dégustation de manzanillas.

Depuis 1945, il existe en Andalousie une troisième DO consacrée aux vins oxydatifs, montilla-moriles, produite dans deux villages au sud de Cordoue. À Montilla, Marques, petit vignoble en bio, produit de fabuleux vins. Notamment un merveilleux amontillado et un impressionnant oloroso, très sec.