A l’occasion de la première édition des « Taste Masters », organisés par le Gault&Millau Pologne du 11 au 12 mai 2019 à Varsovie, découverte de la scène culinaire polonaise.

Depuis cinq ans, Varsovie connaît une révolution culinaire, avec une explosion d’ouvertures de restaurants en tous genres. Mais la capitale polonaise est aussi au fait des tendances; elle est ainsi reconnue comme l’une des villes les plus « vegan friendly » d’Europe.

Un dynamisme qui ne se limite pas à la capitale puisque, lors de la première édition des « Taste Masters » organisés par le Gault&Millau Pologne, 50 chefs venus des quatre coins de la Pologne ont démontré que tout le pays vivait une renaissance (cf. ci-dessous). Car la cuisine polonaise et ses chefs reviennent de loin…

 

Une histoire agitée 

On ne peut comprendre l’évolution de la cuisine polonaise sans parler de l’histoire du pays. Si le royaume de Pologne naît au XIe siècle, c’est au XVIe qu’il connaît son apogée, en liant son sort au grand-duché de Lituanie, à travers la république des Deux Nations. Mais suite à de nombreux conflits, la république est dissoute entre 1772 et 1795. Le territoire polonais est alors partagé entre la Prusse, l’Empire russe et l’Autriche.

Justyna Adamczyk, CEO du Gault&Millau Pologne et organisatrice des Taste Masters explique: « Nous avons perdu le pays pendant 133 ans! Nous l’avons récupéré après la Première Guerre mondiale mais, pendant le XIXe et le début du XXe siècle, nous avons été sous la coupe des Russes, des Allemands, de l’Autriche. Dans le secteur russe, il était interdit de parler polonais. Nous avons préservé les traditions polonaises au travers de la nourriture, à l’intérieur des maisons. Pas de littérature, de musique ou d’art. Alors, la nourriture préservait la continuité de la communauté et de nos traditions. Varsovie a été effacée pendant la Seconde Guerre mondiale, puis Staline nous a tués une seconde fois. Donc, pendant plusieurs décennies, il n’y avait rien à manger et la culture des restaurants n’existait pas. Les quelques restaurants d’État n’étaient accessibles qu’aux riches membres du parti communiste. » 

Il faut attendre 1989 pour que le parti communiste soit tenu en échec et que la république parlementaire soit restaurée. Un reliquat de ce passé communiste sont les bars mleczny, ou bars à lait — la viande était rationnée à l’époque —, où l’on goûte toujours à cette cuisine roborative et bon marché destinée aux travailleurs.

 

Pas d’écoles de cuisine…

Il y a six ans, Justyna Adamczyk (photo ci-dessous) quittait son job de chasseuse de tête pour de grandes entreprises pour prendre la tête du Gault&Millau Pologne nouvellement créé. Elle se sentait investie d’une mission: « Je devais promouvoir la culture culinaire, polonaise mais nous n’avons même pas d’écoles de cuisine! A peine quelques cours après l’école primaire, où les étudiants apprennent à découper un saumon avec un faux saumon… La plupart des chefs polonais se sont formés en Allemagne, en France ou en Angleterre, où ils ont commencé par laver les assiettes avant de monter les échelons. Quand j’ai commencé à travailler pour le Gault&Millau, on ne parlait pas des chefs en Pologne, seulement des propriétaires de restaurants. Nous avons changé ça en mettant en avant les chefs dans nos pages. Les propriétaires de restaurants m’en ont voulu, mais je leur disais: ‘Quand vous allez au Noma, vous demandez qui est le propriétaire? Non, vous allez chez Redzepi.’ Dès la première édition, certains chefs primés ont enfin été conscients de leur valeur. Avant, les chefs touchaient seulement 1000€. Aujourd’hui, leur paye tourne autour de 3000 à 5000€. Nous avons changé la donne! »

© Gault&Millau Polska

Fiers de leurs racines

Tel le phénix, Varsovie renaquit de ses cendres, après avoir été quasiment rayée de la carte en 1944 par Hitler et Himmler. Une reconstruction exceptionnelle, effectuée par ses habitants en seulement cinq ans et saluée par un classement de son centre historique par l’Unesco en 1980. Elle démontre surtout la volonté de fer du peuple polonais d’assurer la survie de sa culture. 

Après avoir longtemps été brimée par le régime communiste, inscrire la cuisine polonaise dans l’Histoire, redécouvrir les influences qui l’ont façonnée à travers les siècles, c’était aussi pour certains chefs un travail de légitimation.

Ainsi, Bogdan Galazka règne en maître sur le plus grand château du monde, la forteresse de Marienbourg (ci-dessous), datant du XIIIe siècle, à Malbork, à environ 3h au nord de Varsovie. Dans son restaurant Gothic, il sert le fruit d’un travail de douze ans sur la cuisine médiévale. Malbork est en effet située sur la route de l’ambre, une résine fossilisée qui a fait la richesse des chevaliers teutoniques, qui l’échangeaient contre de précieuses épices. Dans les assiettes de Bogdan, on retrouve ainsi des influences orientales comme cette délicieuse glace au safran ou cette mousse au halva.

Les chefs Bogdan Galazka à gauche et Aleksander Baron à droite. © Gault&Millau Polska

Le chef Maciej Nowicki s’est quant à lui intéressé à la cuisine polonaise du XVIIe au XIXe siècle, en suivant les traces de son mentor, l’historien culinaire Jaroslaw Dumanowski. Nowicki travaille au musée du château de Wilanów, où il développe un jardin d’anciennes variétés de plantes et travaille sur des recettes historiques, pour éduquer les jeunes générations. « Il est important que nos enfants connaissent et respectent notre héritage », confie-t-il.

Le chef Maciej Nowicki à droite et la cheffe Flavia Borawska à gauche.

Quelques chefs à suivre

En quelques années seulement, les chefs polonais ont su créer une scène culinaire variée, en s’inspirant de leur patrimoine culinaire mais aussi des saveurs internationales et, surtout, en faisant appel aux excellents produits des artisans et producteurs polonais.

Au centre de Varsovie, évoquons le N31 de Robert Sowa, qui sert une cuisine classique à la technique irréprochable matinée d’influences internationales. Ou encore Elixir, où l’on viendra tenter l’expérience d’un dîner où chaque plat est associé à une vodka, la boisson nationale polonaise.

Gâteau de pommes de terre, crème et caviar polonais de Robert Sowa au N31.

On est aussi bluffé par le talent de Flavia Borawska, qui évolue dans le très élégant Opasly Tom (ci-dessous), dont les propriétaires sont aussi à l’origine du très beau marché fermier Forteca, le mercredi matin. La jeune femme revisite avec brio les classiques polonais comme les pierogi, farcis ici avec du sandre et des poireaux et nappés d’une sauce au beurre et au citron.

Mais c’est sans doute Aleksander Baron, de chez Zoni, qui marque le plus les esprits, avec une cuisine en liens étroits avec les producteurs locaux et l’histoire du pays, très créative aussi. A l’image de ce faux-filet de Red Angus polonais injecté de koji pour lui donner plus d’umami.

Ci-dessus, le bar du « Zoni » et l’un des plats du chef Aleksander Baron, à base d’oie fermentée.

Déjà à la tête du restaurant Warszawska dans l’hôtel Warszawa, Dariusz Barański vient, lui, d’inaugurer, au sixième étage du bâtiment, le Szóstka, un restaurant végétarien. Le chef, qui a appris à confectionner charcuteries et fromages en Italie, a décidé de se consacrer à la « cuisine du futur ». Pour ce faire, il travaille avec des maraîchers des alentours de Varsovie, qui lui fournissent les plus beaux légumes.

Dariusz Barański du « Szóstka » propose une cuisine végétarienne simple et contemporaine. Tomates polonaises, ricotta maison, shiso et huile de verveine citronnelle.

Enfin, au nord du pays, à Gdánsk, le jeune et timide Pawel Stawicki sert une cuisine contemporaine très prometteuse au Mercato de l’hôtel Hilton.

Tarte à la tomate, fromage, ketchup de champignons, pickles au « Mercato » à Gdánsk.

 

50 chefs polonais en action

Le Gault&Millau Pologne fête cette année son 5e anniversaire et inaugurait, avec ses « Taste Masters », un événement d’envergure — le premier du genre —, sorte de vitrine du savoir-faire des chefs polonais. Les 11 et 12 mai derniers, à la Villa Intrata, musée du palais Wilanów situé aux abords du centre-ville de Varsovie, 50 chefs venus de toute la Pologne ont ainsi cuisiné pour le plus grand plaisir des Varsoviens, venus en nombre à cet événement accessible (35€/jour; 58€/deux jours) et élégant qui avait investi les jardins du palais. 

Dans une atmosphère bon enfant, un verre de vin polonais à la main, on a ainsi pu découvrir la vibrante scène culinaire du pays avec des chefs qui ont fait son histoire, comme le Suisse Kurt Scheller, qui a formé toute une génération de cuisiniers polonais. Ou des stars de la télé, comme le Franco-Polonais David Gaboriaud (ci-dessous).

Mais l’événement permettait aussi de découvrir des chefs talentueux comme Wojciech Harapkiewicz du « restauracja Babinicz » à Szczawno-Zdrój, Artur Skotarczyk, du « Muga » à Poznań, ou Rafal Grzegorzek, du « Décompresja » à Polanica-Zdrój.