Caviar… Le mot évoque immédiatement la fête, le champagne, le luxe ostentatoire… Pourtant, quand on débarque chez Royal Belgian Caviar à Dottignies, près de Mouscron, l’environnement est nettement moins glamour. On imagine de grands bassins en plein air, où s’ébattent de majestueux esturgeons… On découvre, dans un zoning industriel, d’immenses hangars, qui hébergent une gigantesque ferme piscicole ultra-moderne. C’est ici qu’est produit le premier caviar 100% belge.
Le contraste est total avec l’mage exclusive d’un ingrédient rare. A 1000€ le kilo minimum, il s’agit en effet toujours d’un luxe quasi inaccessible. Même si l’on peut quand même se faire plaisir, en s’offrant, pour une vingtaine d’euros, une petite boîte de 10 grammes de perles noires et goûter un produit mythique, dont l’histoire a bien changé.
De la pêche à l’élevage
Il est loin le temps, en effet, où les caciques du régime soviétique dégustaient le caviar à la cuillère en lampant de la vodka… La chute de l’URSS et la révolution islamique en Iran ont mené à une dérégulation totale du marché dans les années 90, avec une explosion de la pêche en mer Caspienne, d’où provenait la quasi totalité du caviar. A tel point que, dès 2000, la Cites (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction) a interdit la pêche des esturgeons sauvages, même s’il reste un peu de braconnage au Kazakhstan, en Roumanie et en Russie. Les 27 espèces d’esturgeons sauvages sont en effet toutes en voie de disparition, même si un programme de remise en liberté a été initié en mer Baltique par exemple…
En Belgique, le précurseur de l’élevage d’esturgeons est la société flamande Joosen-Luyckx, qui a tenté l’aventure dès les années 90 et qui a commercialisé ses 100 premiers kilos de caviar en 2002. Basée à Turnhout, cette grande minoterie fondée il y a plus d’un siècle avait, alors, déjà un pied dans l’univers du caviar, puisqu’elle a développé en 1990 Aqua Bio, une marque de farines destinées à l’aquaculture des carpes, des truites mais aussi des esturgeons…
Toute la chaîne de production
Royal Belgian Caviar a d’abord travaillé avec une ferme aux Pays-Bas, avant de racheter en 2009 les installations piscicoles construites par Vitafish à Dottignies. En 2016, cette boîte wallonne s’était lancée à grands frais dans l’élevage de tilapias, avant de faire faillite trois ans plus tard. Depuis, ce sont donc des esturgeons qui nagent dans les 3000 m3 de bassins: des sibériens, des russes, des croisés et, bien entendu, de majestueux bélugas. Pouvant peser jusqu’à deux tonnes en mer Caspienne, ces poissons osseux préhistoriques, présents sur Terre depuis près de 250 millions d’année, sont de dangereux carnassiers. En Campine, où Royal Belgian dispose de grands étangs pour ses géniteurs, tous les canards ont disparu, dévorés par les bélugas…
Hyper technologiques — avec un contrôle informatisé de la température de l’eau, de son oxygénation, de son renouvellement (via un forage dans la nappe phréatique)… —, les installations hennuyères offrent l’avantage d’une maîtrise totale de la chaîne de production et de la qualité. Chez Royal Belgian Caviar, tout se fait en effet en interne: la fabrication de l’alimentation des esturgeons (des granulés à base d’huile de poissons sauvages, de céréales, de vitamines et de minéraux), la fécondation et l’éclosion des oeufs. Jusqu’à l’abattage des poissons à Turnhout.
Jusqu’à 18 ans d’élevage
Mais la phase la plus longue est évidemment celle de l’élevage, qui dure de 6 à 18 ans, selon les types d’esturgeons. Dans les bassins, l’eau est simplement traitée aux UV et à l’ozone et nettoyée grâce à un filtre composé de bactéries. L’esturgeon étant un poisson particulièrement résistant, aucun antibiotique n’est nécessaire. Lequel serait d’ailleurs contre-productif puisqu’il tuerait au passage ce filtre biologique…
Sélectionnées avec soin par Thierry Bay, le directeur de la ferme, les femelles destinées à l’abattage sont placées pendant six semaines en chambre réfrigérée, dans des petits bassins d’eau pure. Durant cette phase d’affinage, les poissons ne sont pas nourris — en Sibérie, les esturgeons peuvent jeuner trois à six mois sous la glace —, le temps qu’ils brûlent une partie de leur graisse et qu’ils se nettoient (pour éviter le goût vaseux que l’on retrouve souvent dans les caviars de mauvaise qualité).
Un poisson de 150 kg donnera environ 23 kg de caviar. Une fois les poches récupérées, les oeufs sont tamisés, lavés, légèrement salés et mis directement dans les boîtes en fer destinées à la commercialisation (de 10 grammes à 1 kg). Royal Belgian n’utilise pas en effet les grosses boîtes-mères de transport de 2 kg, pour éviter les manipulations du caviar et surtout que les oeufs du fond ne soient écrasés. Quant à la chair des esturgeons, elle sera revendue dans le circuit des delicatessens, notamment à une chaîne de supermarchés russes en Allemagne.
Avec 4 tonnes de caviar produites annuellement (dont 150 kg seulement de prestigieux béluga), Royal Belgian est un acteur important du marché. Un tiers environ est vendu en Belgique, notamment dans les restaurants étoilés (cf. ci-dessous), tandis que le reste part à l’export. C’est ainsi qu’on trouve l’or noir du Hainaut jusqu’au Japon, en Australie ou aux Etats-Unis…
Le caviar des chefs
Une bonne partie de la production de Royal Belgian Caviar est destinée aux restaurants étoilés. En Belgique, nombre de chefs sont en effet ravis de pouvoir travailler un caviar local. Au Lunch-Lounge Het Gebaar* à Anvers, le chef Roger Van Damme propose par exemple un macaron au caviar osciètre.
A Anvers toujours, au Jane**, Nick Bril ne jure que par le Platinum, qu’il sert par exemple avec une queue de homard pochée au beurre.
Au Hof Van Cleve***, le dernier trois-étoiles belge, Peter Goossens, ne prend, lui, que de l’osciètre, qu’il dépose par exemple sur un joli carpaccio de langoustines crues.
Tandis qu’au Hertog Jan***, qui ferme ses portes ce 22 décembre, Gert De Mangeleer utilisait, lui, le plus abordable Gold Label, qu’il associait notamment avec des légumes crus.
Au Oak* à Gand, le chef Marcelo Ballard propose une très jolie composition, pleine de couleurs, à base du Belgian Royal Caviar.
La gamme Royal Belgian Caviar
Gold Label
A environ 1500€ le kilo, il s’agit du caviar d’entrée de gamme. Issu d’un esturgeon sibérien abattu à 6 ans, ce caviar vert foncé à noir offre une bouche crémeuse très salée, n’explosant pas réellement en bouche.
Platinum
Issu d’un croisement russe-sibérien de 7-8 ans, ce beau caviar au goût noisette et crémeux explose joliment en bouche. Et offre une jolie couleur vert olive à vert foncé. Un excellent caviar.
Osciètre
C’est l’un des caviars classiques, issu d’un esturgeon russe (originaire de la mer Caspienne) de 9 à 10 ans. Avec ses reflets verts ou dorés et ses gros grains, c’est sans doute le meilleur caviar de la gamme Royal Belgian, offrant des saveurs salées et de noix caractéristiques et une belle minéralité.
White Pearl
Un caviar blanc issu d’esturgeons de type Stellatus (comme le Sevruga) mais albinos. Très cher car très couteux en termes de main d’oeuvre (il faut en effet trier soigneusement les grains blancs des noirs), ce caviar est un peu trop crémeux, fondant sur la langue plutôt que d’exploser en bouche.
Béluga
A 4000€ le kilo, le béluga est le roi des caviars. Récoltés sur des esturgeons Huso Huso âgés de minimum 18 ans, ces gros grains de couleur grisâtre offrent des touches crémeuses et onctueuses. Même si on note une finale un peu salée…
Les caviars Royal Belgian sont distribués chez un grand nombre de détaillants en Flandre mais aussi, plus sporadiquement, à Bruxelles (notamment chez « Rob » et au « Belgo Mart ») et en Wallonie. Tandis que la marque réserve un caviar « Classique » (du Baeri) aux enseignes Delhaize Le Lion. Liste complète des points de vente: www.royalbelgiancaviar.be/fr/distributeurs.
La dégustation
Vu son prix exorbitant, on ne peut souvent s’offrir qu’une toute petite boîte de caviar. Pour profiter au mieux de ses parfums subtils, on le goûtera donc pur, déposé sur le haut de la main, entre le pouce et l’index, pour le réchauffer très légèrement.
Si l’on a plus de moyens, on peut aussi utiliser le caviar en cuisine, toujours à froid évidemment et sur une base neutre. Sur un blini avec de la crème aigre par exemple, ou dans une classique pomme de terre moscovite.
Le caviar se déguste traditionnellement avec de la vodka, pour se rincer la bouche, mais un vin blanc riche (un beau bourgogne par exemple) viendra approfondir ses saveurs.
D’autres caviars à découvrir
Ce samedi 15 décembre, de 11h à 19h, la boutique uccloise de La Villa Lorraine propose une dégustation de ses caviars en prévision des fêtes, issus d’élevages chinois. Jusqu’au 31 décembre, le traiteur propose des « promotions » sur le Baeri (985€/kg), le Russian Osciètre (1190€/kg) et le Dauricus Impérial Gold (1490€/kg).
1095 ch. de Waterloo 1180 Bruxelles. Rens.: www.lavillalorraine.be.
Depuis quelques années, la jeune Mehri Ghaleghovand a repris l’activité d’importation de caviar de son père. A la tête de Cyrus Caviar, elle propose des caviars élégants, issus d’esturgeons élevés en rivière en Chine. Agés de 8 à 16 ans, ceux-ci sont nourris à base de poissons et de crustacés.
Rens.: www.cyruscaviar.com. Disponible aussi chez Oldorientexim: 86 rue de l’enseignement 1000 Bruxelles.
Ce mercredi 19 décembre, de 17h à 21h, rendez-vous également chez Titulus Pictus, très chouette cave à manger à Ixelles, pour une dégustation, par Catarina, du caviar Perle noire (un caviar français produit aux Eyzies de Tayac en Dordogne), d’oeufs de truite et de chair d’esturgeon. Avec de beaux accords avec les champagnes de Pierre Gerbais.
167A chaussée de Wavre, 1050 Bruxelles. Rens.: www.titulus.be ou www.caviar-perle-noire.com.