C’est gravé dans sa chair… Hans Neuner est fier de ses origines tyroliennes! « Tiroler Blut is ka Nudlsuppn », s’est fait tatouer sur l’avant-bras le chef du restaurant « Ocean » en Algarve, au sud du Portugal. L’expression signifie littéralement qu’être né au Tyrol n’a rien à voir avec un bol de nouilles chaudes… Pour le chef, cela signifie avant tout qu’en tant que Tyrolien, il ne doit jamais baisser les bras et que quoiqu’il arrive, il pourra trouver refuge, chez lui, auprès des siens. Un chef fier, profondément attaché à sa région de naissance, et à sa famille, qui dirige un restaurant, la « Weidachstube Neuner », non loin d’Innsbruck.

Le Vila Vita Resort & Spa, une oasis luxuriante en Algarve.

Juste au-dessus de cette formule typiquement tyrolienne, Hans Neuner s’est aussi fait tatouer des perceves (pouces-pieds), ces petits crustacés au pédoncule comestible, une des spécialités de l’Algarve, sa région d’adoption. Preuve, s’il en est, de l’affection que le chef de 42 ans porte également au Portugal. Car c’est bien là, au luxueux Vila Vita Parc (complexe hôtelier appartenant au groupe allemand Vila Hotels situé sur la côte atlantique, entre Lagos et Faro), qu’il a trouvé l’écrin parfait et les moyens adéquats pour imposer sa cuisine. Quand Neuner débarque en Algarve en 2007, la région manque cruellement de dynamisme en matière de gastronomie… « Je suis venu en Algarve justement parce qu’on me conseillait de ne pas venir. Je voulais relever ce challenge. Je me suis dit que j’allais gagner une étoile en deux ans et puis retourner au pays. Je n’avais pas prévu que l’histoire dure si longtemps… », raconte le chef, qui a décroché son premier Macaron en 2009.

Inventer une cuisine gastronomique portugaise

En gagnant sa seconde étoile deux ans plus tard, Hans Neuner est devenu le deuxième chef doublement étoilé dans l’histoire du Portugal, le premier, Dieter Koschina, est également Autrichien et bosse en Algarve, à Albufeira. Et, chose étonnante, Neuner décroche la timbale en étant à contre-courant des modes de l’époque, proposant une cuisine gastronomique portugaise. « J’ai été le premier chef étoilé au Portugal à cuisiner des plats inspirés par les recettes portugaises traditionnelles avec des ingrédients portugais, explique-t-il. J’ai ainsi été le premier à mettre la murène au menu par exemple. » En Algarve, traditionnellement, on fait sécher ce poisson à la texture étrange avant de le frire et de le déguster. Au « Ocean », il sert la murène en mise en bouche en la présentant sur un cadre tapissé de sa peau colorée…

Au restaurant « A Eira do Mel », on mange la murène frite traditionnelle.

Formé dans de grands palaces européens, Hans Neuner trouve au « Ocean » son premier poste de chef exécutif. Et, il le dit lui-même, il a d’abord joué la carte de la sécurité: « Quand je travaillais en Allemagne, tout venait de France. Alors, les premières années, j’ai fait pareil. Je pratiquais plutôt une cuisine franco-germanique. Je servais par exemple un pigeon fumé avec des chanterelles. En Algarve, il n’y a pas de fournisseurs Horeca, il faut donc trouver des producteurs soi-même et cela a mis quelques années pour construire des relations solides avec eux. » Pas facile non plus pour cet Autrichien de revisiter une cuisine portugaise qu’il ne connaît pas. « L’inspiration vient des gens que je côtoie, de restaurateurs comme José Pinheiro (le chef du formidable restaurant traditionnel estampillé Slow Food « A Eira Do Mel » à Vila do Bispo, NdlR). Un jour il m’a cuisiné des petites abalones au beurre de chèvre, un plat formidable! Il m’a beaucoup appris sur la cuisine portugaise. »

Raffiner la tradition portugaise

L’Allemand Florian Rühlmann, sous-chef du restaurant « Ocean » et collaborateur d’Hans Neuner depuis 20 ans, raconte aussi comment la transmission s’est faite à travers les membres de l’équipe portugaise: « On leur demandait de cuisiner des plats de leur grand-mère pour la brigade. On a ainsi pu goûter à beaucoup de plats traditionnels. Certains plats pouvaient se retrouvaient ensuite à la carte, en version plus raffinée. »

La cuisine gastronomique portugaise que pratique Hans Neuner est d’une simplicité toute relative, car la virtuosité technique est toujours là. Mais ce qui frappe surtout, ce sont les saveurs franches et intenses de ses plats. Le chef a en effet une vrai réflexion sur le goût. « J’enlève de mes plats les saveurs inutiles, commente le chef. Je sale tous les poissons pendant quelques minutes, en fonction de leur taille et de leur poids. En éliminant l’eau, on concentre les saveurs et on apporte une texture plus ferme au produit. On fait aussi maturer tous les poissons dans des frigos adaptés, pour leur amener plus de longueur en bouche. »

Des producteurs locaux en or

Après quelques années, Hans Neuner a fini par dénicher de nombreux producteurs portugais, avec qui il a construit des relations de confiance, même si certains produits doivent encore venir de France comme le boeuf, le veau ou l’agneau par manque de circuits internes de distribution dans le pays ou pour une question de qualité. En Algarve, il travaille ainsi, en voisin, le porc noir de Monchique, presa et pluma mais aussi chouriço.

A Monchique, on fait fumer les chouriços au bois d’arbousier chez « Evangelista de Oliveira ».

Et il assaisonne ses plats avec l’exceptionnelle fleur de sel, que Jorge Raiado commercialise sous la marque « Sal Marim ». Un produit récolté et trié à la main avant de le faire sécher au soleil, comme on le fait depuis l’Antiquité dans la réserve naturelle de Castro Marim. La fleur de sel n’est pas lavée pour préserver son terroir et sa richesse en iode et en sels minéraux.

Pour ses poissons, le chef se fournit à la criée de Sagres, à la pointe Sud du pays. « En Algarve nous sommes privilégiés car nous avons les meilleurs poissons, lance-t-il. Mais nous soutenons la pêche artisanale. Et pas question de ne travailler que des poissons chers! » Pedro Bastos, directeur général de Nutrifresco, une société de distribution, renchérit: « Les chefs ne doivent pas vouloir à tout prix cuisiner du turbot, mais plutôt le poisson disponible, celui qui fait vivre la pêche artisanale. »   Grâce à l’un des amis d’Hans Neuner, un chef japonais, deux pêcheurs de Sagres se sont initiés à la méthode Ikejime, une technique d’abattage du poisson qui consiste à neutraliser le système nerveux de l’animal vivant, avant de le saigner. Cette pratique ancestrale japonaise a pour effet de réduire le stress et la douleur du poisson, mais aussi de préserver sa chair plus longtemps, pour une qualité gustative supérieure. De quoi permettre aux pêcheurs de mieux valoriser leur pêche.

Une pêche traditionnelle

Hans Neuner défend également un savoir-faire traditionnel, perpétué par deux pêcheurs seulement sur le port de Sagres. Carlos Galvão et Pedro Vale Verde pratiquent en effet toujours la pêche à la ligne en eau profonde, un travail rude qui représente près de 16h de travail par jour. Pedro Bastos fait le point: « Les prix devraient être plus élevés pour les poissons pêchés à la ligne, vu travail que cela représente, mais il faudrait des clients prêts à payer des prix plus élevés… » « Le gouvernement devrait mieux soutenir ces pêcheurs, ajoute Neuner. Il faut aussi les mettre en lumière pour sauver ce type de pêche, leur rendre leur fierté et donner envie aux jeunes de se lancer. »

Pedro Bastos, directeur général de Nutrifresco, avec Hans Neuner à la criée de Sagres.

Le superbe marché au poisson de portimão.

Pour ses volailles, son huile d’olive et ses vins, c’est un peu plus au nord, en Alentejo, que s’approvisionne Hans Neuner, au « Herdade dos Grous », une magnifique ferme biologique et un domaine viticole de plus de 700 hectares à Albernoa, une propriété également chapeautée par le groupe Vila Vita.

Mais c’est à une demi-heure de là, au Lugar do Olhar Feliz, splendide jardin privé ibéro-mauresque de 5 hectares de Jean Paul Brigand, ancien mathématicien d’origine bourguignonne, et de la Canadienne Ann Kenny,  qu’Hans Neuner trouve les perles qui vont donner originalité et relief à ses créations. Le chef peut ici piocher allègrement dans une collection de plus de 350 agrumes (sudachi, yuzu, kabosu, shikuwasa…), cueillir des très parfumées poires nashi de la variété kosui ou des fleurs d’hibiscus. La découverte est constante. Ce jour-là, ce sont des fleurs de baselle rouge, une sorte d’épinards, qui garniront le panier du chef et qui se retrouveront un peu plus tard dans ses assiettes… Mais bientôt, avec l’aide de Jean-Paul, Hans Neuner aura son propre jardin de 2 hectares dans l’enceinte du Vila Vita Resort, les assiettes du chef prendront alors une autre dimension…

Bio d’Hans Neuner

Avant de débarquer au Portugal, Hans Neuner a travaillé dans des hôtels prestigieux, comme le Carlton à Saint-Moritz, en Suisse, ou le Dorchester à Londres, mais aussi au restaurant « Tristan » à Majorque, avant de rejoindre son mentor, Karlheinz Hauser, à l’hôtel Adlon de Berlin puis au « Süllberg » à Hambourg. C’est en 2007, qu’il devient chef exécutif du restaurant Ocean et décroche une première étoile en 2009 avant d’obtenir la consécration en obtenant deux étoiles au guide Michelin.

Un soir au Restaurant Ocean

C’est la splendide vue sur l’océan Atlantique qui frappe d’abord, lorsqu’on pénètre dans l’univers chic et confortable du restaurant « Ocean », au coeur de l’oasis luxueuse qu’offre le Vila Vita Parc Resort & Spa. Le reste se passe dans les assiettes, où Hans Neuner étonne par sa capacité à s’approprier un terroir qui n’est pas le sien. D’abord avec cette entrée en matière réussie, ce poulet piri-piri, plat populaire dans tout le Portugal et particulièrement en Algarve, dont le chef offre tous les ans une nouvelle version. Le plat, est ici décomposé en 3 volets: sandwich à la tomate et à la crème de basilic, peau de poulet croustillante et beignet de poulet grillé.

Si la présentation est un peu ampoulée, on est bluffé par le raffinement de cette mise en bouche. Sentiment qui se répète avec ce pâté de crabe, lui aussi basé sur une préparation traditionnelle, customisé avec du caviar et une incroyable brioche réalisée avec les carcasses de crabe. 

Le meilleur de l’océan

C’est d’ailleurs quand il revisite les plats traditionnels portugais, souvent d’origine pauvre, avec élégance et en préservant leur intensité gustative, qu’Hans Neuner offre le meilleur. A l’image de cette açorda, une soupe de pain et bisque à la coriandre cachée sous un carpaccio de crevettes carabineros.

Mais il peut aussi être épatant lorsqu’il met en valeur des produits locaux comme le pouce-pied, dans une assiette qui mêle habilement poivrons rôtis, coques et bouillon de coques puissant, couteaux et fleurs de baselle rouge, récoltées quelques heures plus tôt dans le jardin de Jean-Paul Brigand.

Son rouget barbet, Hans Neuner le cuit à la vapeur et le sert presque cru, avec une tuile au fromage des Açores (un St Georges de 36 mois), des olives, des fleurs de courgettes, et se sert du foie et autres abats du poisson pour confectionner une crème très savoureuse,  tandis que du chouriço de Monchique relève la sauce.

Enfin, il propose un très savoureux porco preto (porc noir ibérique) avec une crème à la moutarde, du caviar d’aubergine, artichauts, basilic et ras el hanout.

 

Le goût des voyages

Mais Hans Neuner aime voyager, dans sa jeunesse il a d’ailleurs passé de nombreux mois dans les cuisines de bateaux de croisières luxueux à travailler avec des chefs invités de renom comme Michel Bras ou Nobu Matsuhisa. « Une des raisons pour lesquelles j’ai voulu être chef c’était pour voir le monde », raconte Hans Neuner, qui propose quelques plats influencés par l’Asie ou l’Amérique du Sud.  Comme cette délicieuse crêpe garnie d’un tartare de thon des Açores, de XO sauce et de citron caviar.

Ou avec ce poulpe servi en deux temps, dans un esprit mexicain. Dans une première préparation, il est grillé et accompagné d’avocat, de purée de cactus, de poivrons verts, de haricots mungo, de baby maïs, de tomates et d’une sauce à la crème aigre.

Dans une seconde, il se love dans un taco assaisonné de sauce barbecue fumée et mis en scène avec humour  sur un vrai cactus!

Le souvenir du Tyrol

De son Autriche natale, le chef a gardé dans ses tiroirs, le raifort, et la livèche qu’il utilise parfois dans ses bouillons. Et il fait notamment venir un caviar de truite de son cher Tyrol, qu’il associe à de la langoustine et à un assaisonnement dashi, citronnelle, coco et kalamansi dans une assiette très esthétique. 

Photo Filipe Farinha.

Un chef conscientisé

Au moment du dessert « pollution de la mer », réalisé en collaboration avec son pâtissier, Marcio Bathasar, c’est le côté engagé de Hans Neuner qui prend le dessus. Dans l’assiette, un hippocampe semble perdu dans les « déchets », en fait une délicieuse association de papaye, cardamome et noix de cajou. L’idée de ce dessert est née d »une image forte de Justin Hofman pour « National Geographic », qui montrait un hippocampe en train de nager avec un cotton tige… « J’avais peur que ce dessert effraye les clients et puis je me suis dit tant pis, qu’au moins ils auraient le message », explique Hans Neuner.

Un chef qui se sent investi d’une mission, qui défend les producteurs locaux et la pêche artisanale mais aussi une façon plus durable de consommer. « Les gens doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas consommer tout ce qu’ils veulent tous les jours, sinon on va avoir besoin d’une autre planète! La façon dont on mange, c’est la façon dont on change la planète », revendique Hans Neuner.

Envie de tenter l’expérience?

R. Anneliese Pohl, 8400-450 Porches, Portugal.
Fermé lundi & mardi.
Rens.:
www.restauranteocean.com.