Le chef français multi-étoilé s’est éteint lundi à Genève des suites d’un cancer. Il avait 73 ans.
« Bon appétit bien sûr ! » Eternel sourire aux lèvres, Joël Robuchon a, durant un quart de siècle, de 1996 à 2009, incarné le visage de la cuisine française au petit écran. Dans « Cuisinez comme un grand chef » sur TF1 d’abord, puis dans « Bon appétit bien sûr ! » sur France 3. Malgré son statut de star internationale de la cuisine, le chef français ne mettait pourtant pas en avant dans ses émissions son propre talent, mais bien celui d’un collègue, invité à partager une recette dans un moment convivial au charme franchement suranné.
Si l’on ne s’en tient qu’à cette image médiatique désuète de successeur de Maïté, Robuchon pouvait sembler être un cuisinier d’un autre temps. Il n’en est rien ! Jusqu’à sa mort, ce lundi à Genève des suites d’un cancer à l’âge de 73 ans, il était au contraire l’un des chefs les plus influents au monde. Et ce même alors qu’il avait pris sa retraite des fourneaux dès 1995. Il était alors au sommet de sa gloire, après que son restaurant « Joël Robuchon » avait été élu « meilleur restaurant au monde » par l’ »International Herald Tribune ».
Un retraité très actif
Si Joël Robuchon avait l’élégance de ne plus se présenter comme un cuisinier, assumant avoir renoncé à la création culinaire, il est resté restaurateur jusqu’au bout. Au début des années 2000, il a ainsi développé un concept d’ »Ateliers » et de « Tables de Joël Robuchon », qui lui a permis de cumuler une trentaine d’étoiles Michelin. Inspirés des bars à tapas espagnols, ces restaurants conviviaux, organisés autour de grands comptoirs derrière lesquels cuisinent les chefs, ont apporté une touche de spontanéité à la haute gastronomie qui fera florès. Car dès l’ouverture du premier « Atelier » à Tokyo en 2003, le succès a été fulgurant, le chef déclinant sa marque concept à Londres, Las Vegas, New York, Hong Kong, Taipeh et bien sûr Paris… Ou quand, derrière ses airs ringards de petit provincial étriqué, Robuchon fut celui qui contribua à dépoussiérer la gastronomie française, au moment où celle-ci devait faire face à une campagne internationale de French bashing…
Fils d’une famille modeste
Rien ne prédisait pourtant Robuchon à un tel succès. Contrairement à beaucoup de ses collègues, celui-ci n’est pas issu d’une lignée de cuisiniers. Né en 1945 dans une famille très modeste de Poitiers, il se découvre une passion pour la cuisine vers l’âge de 12 ans, lorsque ses parents, fervents catholiques, l’inscrivent au petit séminaire de Mauléon, où il donne un coup de main en cuisines aux religieuses. A 15 ans, il troque la soutane pour la toque et devient apprenti pâtissier dans une grande maison, le « Relais de Poitiers » à Chasseneuil-du-Poitou. Compagnon du devoir, Robuchon sillonne alors la France pour parfaire son apprentissage. Il passe notamment par « Le Camélia de Bougival » de Jean Delaveyne. Pionnier de la Nouvelle cuisine, ce dernier fut son mentor (mais aussi de Michel Guérard ou Alain Senderens).
A 28 ans seulement, Robuchon prend la tête de sa première brigade, veillant sur les 90 cuisiniers de l’hôtel Concorde Lafayette à Paris. Son parcours est alors un sans-faute. Meilleur ouvrier de France en 1976, il décroche ensuite deux étoiles à l’hôtel Nikko à Paris. Avant d’ouvrir son propre restaurant en 1981, le « Jamin », où il décroche, en trois ans, il décroche une, deux et puis trois étoiles !
Un modèle pour de nombreux restaurateurs
Star en France, Robuchon prête son nom à l’industrie agroalimentaire et multiplie les livres de cuisine, mais il continue de briller aux fourneaux. En 1989, il est ainsi sacré, avec son ami Paul Bocuse, le Suisse Frédy Girardet et l’Allemand Eckart Witzigmann « cuisinier du siècle » par le magazine « Gault et Millau », tandis qu’il ouvre sa première enseigne à l’étranger, le « Château restaurant Taillevent-Robuchon » à Tokyo. En 1995, après une année d’ouverture seulement, il décide de renoncer définitivement aux casseroles, en fermant son restaurant parisien « Joël Robuchon », dont il confie les clés à celui qu’il juge le meilleur chef français de l’époque, un certain Alain Ducasse, qui suivra ses traces en créant, lui aussi, un empire gastronomique mondial.
Comme Bocuse, Robuchon aura été l’un des modèles du chef international qui décline son nom comme une marque. A travers ses émissions de cuisines et ses livres de recettes – on lui doit notamment une superbe réédition en 1996 du « Grand Larousse gastronomique » -, il aura également marqué des générations de cuisiniers amateurs. Car, à côté de créations subtiles comme la gelée de homard, les raviolis de langoustine ou la crème de chou-fleur au caviar, quelle recette retiendra-t-on de Robuchon ? Sa purée, à la carte de tous ses restaurants ! Le secret de son incroyable onctuosité ? Le chef utilisait minimum 250 g de beurre pour 1 kg de pommes de terre !
Un plat simple et généreux, à l’image d’un chef perfectionniste qui, malgré les honneurs et la notoriété, aura su conserver simplicité et modestie.
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