Au fil de la nuit blanche

 

Imaginez une journée qui semble ne pas avoir de fin… Ce phénomène astronomique, le fusionnement du crépuscule du soir et de celui du matin, connu sous le nom de « nuits blanches », a lieu de début juin à mi-juillet à Saint-Pétersbourg. C’est le moment idéal pour visiter cette ville somptueuse, construite par le tsar Pierre Legrand en 1703.

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A cette époque de l’année, la ville est en effet baignée d’une incroyable lumière et offre ainsi un spectacle nocturne impressionnant. Que l’on admire la levée des ponts sur la Néva jusqu’au petit matin ou que l’on embarque pour une croisière à bord du « Volga-Volga ». Ce bateau-restaurant offre des vues à couper le souffle sur les nombreux palais de la ville et sur la forteresse Pierre et Paul, première construction fondatrice de Sankt Pieter Burkh.

Avec le début de la coupe du monde de football en Russie, l’occasion est parfaite pour se pencher sur la place de la gastronomie russe, et plus particulièrement pétersbourgeoise, sur l’échiquier mondial.

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Des saveurs internationales

C’est dans ce cadre enchanteur qu’a eu lieu, du 5 au 9 juin derniers, la seconde édition des « Gourmet Days ». Ce festival culinaire accueillait une sélection pointue de chefs du monde entier (cf. encadré) dans les restaurants les plus courus de Saint-Pétersbourg. Une façon comme une autre pour le softpower russe de se déployer, en attirant des journalistes du monde entier.
Neufs chefs internationaux ont ainsi proposé un menu combinant les saveurs de leur pays, leur style de cuisine, des produits ramenés dans leurs valises mais aussi des ingrédients russes et de saison, dénichés sur les marchés locaux. Un mélange détonnant!

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Le chef Maksut Askar du restaurant « Neolokal » à Istanbul a utilisé du caviar à la place de son habituel taramasalata dans un plat…

Maksut Askar, chef du « Neolokal » à Istanbul, qui offre une nouvelle vision de la cuisine anatolienne en s’inspirant des recettes traditionnelles, a ainsi proposé sa cuisine savoureuse à un public russe conquis. Il a notamment servi son fameux houmous arc-en-ciel, avec poudre de pastrami, épices et oeuf de caille.

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Un plat de Maksut Askar: flétan russe, saucisse de fruits de mer et sauce à base de pommes de terre et céleri.

Mais a remplacé le tarama qui accompagne habituellement sa bonite séchée par du caviar et substitué le loup de mer par du flétan local, dans un plat original avec une saucisse aux fruits de mer et une sauce à base de pommes de terre et céleri. Tandis que son boeuf russe mariné au yaourt et aux épices et ensuite grillé s’accompagnait d’un tartare de poivrons grillés et olives, et de freekeh (une variété de blé récolté vert). Un plat enthousiasmant jouant délicatement sur les saveurs fumées (cf. photo ci-dessus).

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En cuisine chez « Mr Bo » avec l’Indienne Garima Arora, du restaurant « Gaa » à Bangkok.

Garima Arora du restaurant « Gaa » avait aussi fait le voyage jusqu’à Saint-Pétersbourg. Avant d’ouvrir son propre restaurant à Bangkok, cette jeune femme originaire de Mumbai a travaillé cinq ans au « Noma » à Copenhague et trois ans chez « Gaggan » à Bangkok. Sa cuisine indienne, riche d’influences thaïes, joue pourtant plus sur la gourmandise que sur les effets de mode.

Relevant le challenge de proposer un tout nouveau menu en Russie, elle a étonné avec une mise en bouche composée d’une feuille de betel, de crème de piment, de fraises des bois et de caviar. Suivront une délicieuse brioche farcie au keema pav (agneau parfumé aux épices) et surtout un cake à la banane sous forme liquide aussi innovant que bluffant!

Ces dîners internationaux ont aussi démontré la richesse des produits locaux et ont permis aux chefs-hôtes d’échanger avec leurs invités sur leurs héritages culinaires respectifs.

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Une mise en bouche détonnante de Garima Arora qui allie influences thaïe et russe: une feuille de bétel avec fraises des bois, piment et caviar.

Des chefs russes à découvrir

Ces « Gourmet Days » ont en tout cas permis de définitivement casser l’image du restaurant russe installé dans un palais, avec en corollaire un service guindé et une cuisine datée. Car une nouvelle génération de chefs a fait son apparition, qui utilise fièrement produits locaux et revisite la tradition avec créativité et modernité.

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Igor Zorin, le chef du « Repa », le restaurant lié au théâtre Mariinsky. Parfait pour un dîner chic avant ou après l’opéra!

Le plus âgé d’entre eux, Igor Zorin, est depuis avril 2017 le chef exécutif du « Repa », un restaurant lié au célèbre théâtre Mariinsky, où l’on vient dîner avant ou après l’opéra. Comme son nom l’indique — « repa » signifie navet en russe —, le chef y fait la part belle aux légumes-racines, très importants dans la cuisine locale. Zorin sert par exemple un délicat et élégant consommé de navet avec une purée de navet, des herbes aromatiques et des fleurs. Un repas associé à de très bons vins russes, notamment de Krasnodar, dans le sud du pays.

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La superbe décoration inspirée par le thème du ballet de la designer russe Alena Akhladullina au « Repa ».

La cuisine de l’ambitieux Evgeny Vikentev est plus moderniste. Au « Hamlet+Jacks », le jeune a beaucoup voyagé et notamment travaillé pour Albert Adrià à Barcelone. Cela se ressent dans des assiettes d’une belle maîtrise, qui ont toutes un ancrage russe et une histoire à raconter.

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Evgeny Vikentev, l’excellent chef du « Hamlet + Jacks ».

Comme ce saumon passé au nitrogène et effeuillé, qui rappelle la façon dont on consomme ce poisson en Sibérie, accompagné de fromage stracciatella local, de pêches et de poutargue d’omul, un poisson du lac Baïkal. Vikentev ouvrira au mois d’août un restaurant à Berlin. Preuve que la cuisine russe contemporaine commence à s’exporter en dehors de ses frontières!

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Tartare de boeuf, crème de cerfeuil, consommé de champignons, cranberries, sarrasin et mousse des bois locale, selon Evgeny Vikentev.

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La déco urbano-industrielle de « Hamlet+Jacks ».

La petite trentaine, Dmitriy Bogachev est, lui, le chef de « Mr Bo », un restaurant original qui propose des plats russes infusés de saveurs asiatiques. Comme ce délicieux consommé de champignons aigre-doux au boeuf, marmelade de piments et persil (photo ci-dessous).

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Le jeune Dmitriy Bogachev vient d’ouvrir « Mr Bo », il y propose une cuisine russe matinée de saveurs asiatiques.

Mais la star montante de la scène culinaire péterbourgeoise est sans aucun doute Dmitriy Blinov. Avec le chef Renant Malikov, ce trentenaire a ouvert en 2014 « Duo Gastrobar », un restaurant intime qui se veut accessible à tous et qui a pris le parti, au point d’en faire une force, de travailler quasi exclusivement avec des produits locaux. Un joli pied-de-nez à l’embargo alimentaire russe qui a débuté au même moment suite aux sanctions imposées au pays par l’Union européenne et les Etats-Unis.

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La star montante de la gastronomie pétersbourgeoise, le chef Dmitriy Blinov qui possède trois restaurants: Duo Gastro Bar, Duo Asia et « Tartar Bar ».

Fort de ce succès, Blinov a ouvert deux ans plus tard le « Tartar Bar » (photo ci-dessous). Plus spacieuse, l’adresse est spécialisé dans les propositions crues, envoyées sous la forme de petites assiettes à partager bien senties. Au menu, tartares, tatakis, carpaccios mais aussi des plats d’abats préparés de manières inhabituelles. A l’image de cette excellente cervelle de veau, servie avec une sauce au malt et épeautre.

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Voilà une belle brochette de chefs russes qui semblent avoir tout compris de la gastronomie de demain, proposant une cuisine réalisée main dans la main avec les producteurs locaux et qui réinvente son histoire.

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Tartare de chevreuil avec sulugini (un fromage géorgien) et radis vert. Une excellente entrée en matière signée Dmitriy Blinov au « Tartar Bar ».

Envie d’en savoir plus?

http://gourmetdays.ru.

 

Une mise en lumière de Saint-Pétersbourg

 

Au XIXe siècle, Saint-Pétersbourg était considérée comme l’une des capitales gastronomiques de l’Europe. A l’époque, la ville possédait 6000 restaurants! Et il suffit de jeter un oeil aux menus de réception données par les tsars conservés précieusement dans les archives de la librairie de l’Hermitage, pour constater le raffinement culinaire d’une cour cosmopolite, qui faisait appel à des chefs de toute l’Europe. Au menu: potage tortue à la française, poulardes à la florentine, petit pois à l’anglaise…

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Si au XVIIIe siècle, les chefs étrangers étaient la norme. Mais au XIXe siècle, comme dans d’autres pays d’Europe où le nationalisme prévaut, vont apparaître les premiers livres de cuisine russe, avec des recettes comme le boeuf Stroganoff ou la salade Olivier (connue chez nous sous le nom de salade russe). Une période faste pour la cuisine russe et pour Saint-Pétersbourg, qui connaîtra ensuite une période de vache maigre pendant la période soviétique…

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« Beef Zavod », la steakhouse-boucherie incontournable de Saint-Pétersbourg.

Mais depuis dix ans, les changements sont au rendez-vous dans l’ancienne Leningrad, ville désormais ouverte sur le monde et où commencent à fleurir les concepts en tout genre. De « Smoke BBQ », qui sert de la brisket comme au Texas, à « Locale », un foodmarket en plein air où l’on déniche de la nourriture de tous les pays.

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« Locale », un tout nouveau foodmarket qui vient d’ouvrir dans la rue Rubinstein, une des rues où l’on trouve le plus grand nombre de restaurants au m2 à Saint-Pétersbourg.

En passant par un « Atelier Tapas & Bar », qui propose des tapas hispano-russes, ou « Beef Zavod », une steakhouse-boucherie servant d’excellentes charcuteries et des steaks d’Aberdeen Angus russe cuits sur des grills argentins.

A chaque fois, on est frappé par l’impressionnant décor de ces restaurants branchés, dont les cartes s’ouvrent aux vins nature, aux bières artisanales du cru comme aux cocktails.

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Ambiance garantie à l' »Atelier Tapas & Bar » où, au son de Manu Chao, on partage des petits plats aux saveurs russo-hispaniques.

Des chefs internationaux de haut vol
à Saint-Pétersbourg

 

Les chefs invités à Saint-Pétersbourg étaient:

  • James Lowe (« Lyle’s », Londres)
  • Anthony Genovese (« Il Pagliaccio», Rome)
  • Alejandro Peyrou (« Açougue Central » de Alex Atala, Sao Paulo)
  • Pablo Salas (« Amaranta », Toluca de Lerdo au Mexique)
  • Ayo Adeyemi (« Tippling Club », Singapour)
  • Garima Arora (« Gaa », Bangkok)
  • Maksut Askar (« Neolokal », Istanbul)
  • Will Horowitz (« Ducks Eatery », New York)
  • Nino Redruello (« Fismuler », Madrid).

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Un voyage à Saint-Pétersbourg ne s’envisage pas sans une visite de l’Hermitage, l’un des plus grands et des plus riches musées au monde.