Ce lundi 29 juin 2020, la Chambre de Commerce Belgo-Italienne, en collaboration avec les Chambres de Commerce Italiennes du Luxembourg et des Pays-Bas, organisait une rencontre en ligne avec le chef italien, Massimo Bottura, dans le cadre du projet « Italian Taste » dont le but est de promouvoir le « Made in Italy » dans le monde à travers ses produits phares (DOP et IGP) et de lutter contre l’ « Italian sounding » et la contrefaçon des produits oeno-gastronomiques italiens.
Miser sur le plus connu des chefs italiens
A cette occasion, le chef de l’« Osteria Francescana », restaurant trois étoiles Michelin à Modène nous recevait dans sa cuisine, comme il l’a fait pendant tout le confinement lors de son désormais iconique direct en famille sur Instagram TV: « Kitchen Quarantine ». Au menu aujourd’hui, des plats faciles à réaliser qui mettent particulièrement en valeur des produits phares d’Emilie-Romagne et qu’il affectionne. Comme le vinaigre balsamique qu’il glisse dans une salade de jeunes pousses et de fleurs du jardin ou le Parmigiano Reggiano, qu’il ajoute à un pesto menthe-basilic pour accompagner des pâtes.
Tandis que le plus célèbre des chefs italiens (voir ci-dessous) s’était aussi prêté volontiers au jeu des questions avec les divers représentants des chambres de commerce et quelques journalistes et blogueurs du BeNeLux. Des questions qui touchaient à sa carrière, aux produits italiens, à la durabilité et bien entendu à l’« Italian sounding ».
Concernant ce dernier Massimo Bottura est très clair: « Je voyage beaucoup et je me suis déjà retrouvé dans des situations embarrassantes. J’ai eu dans les mains un Parmigiano slovaque ou un parmesanito sud-américain. Pourquoi nous copie-t-on dans le monde entier? Vous avez déjà vu des produits d’autres pays aussi copiés? Non. Nos produits sont tellement bons, de tellement grande qualité. Lorsqu’on achète italien, on achète de la qualité, on achète un rêve. Si tu frottes quelques gouttes d’huile d’olive sur ta main tu sens les fleurs, le terroir où est né cette huile. Quand tu manges une mozzarella di Bufala, tu la brises, tu l’écrases, un lait en sort et tu te dis mais cet animal est extraordinaire! Ce lait, ce n’est pas du lait mais l’expression de l’animal. L’Italie c’est ça, c’est un rêve! Nous devons défendre notre identité et protéger nos produits car l’ « Italian sounding » est une des pires choses qui puissent exister pour notre économie, nos paysans. »
Soixante milliards d’euros pour les faux produits italiens
L’Italie est le leader européen absolu dans le domaine des excellences agroalimentaires avec 299 produits AOP, IGP et STG reconnus par l’Union Européenne.
Un « Made in Italy » qui est un gage de qualité pour les consommateurs mais qui doit faire de plus en plus face à une concurrence déloyale. Celle des produits italiens contrefaits qui violent les marques déposées et les appellations d’origine mais aussi celle plus subtile et donc très nuisible des produits qui par leur nom, leur emballage ou leur couleur évoquent des marques italiennes véritables ou l’Italie sans avoir aucun lien avec le pays. Si les premiers produits sont le plus souvent retirés de la vente et les producteurs malhonnêtes lourdement sanctionnés, les second échappent souvent à toute sanction…
Selon les estimations de Federalimentare, le trafic de produits frauduleux représenterait environ 60 milliards de chiffre d’affaires, dont 54 milliards seraient liés à l’ « Italian sounding ».
En l’espace de neuf ans, de 2001 à 2010, ce phénomène aurait même augmenté de 180%. On estime ainsi que son incidence actuelle est de 25% sur l’exportation totale du secteur.
Chaque année, en raison de l’augmentation de l’agro-piraterie, l’agriculture italienne perd environ 3 milliards d’euros sur les marchés internationaux et 6 produits sur 10 en vente sur les marchés mondiaux sont le résultat de ce phénomène.
Parmi les produits les plus touchés, il y a les fromages AOP tels que le Parmigiano Reggiano et le Grana Padano, mais aussi le Provolone, le Gorgonzola, le Pecorino Romano, l’Asiago ou la Fontina. Viennent ensuite les charcuteries, de Parme à San Daniele, suivies des pâtes, sauces, pâtisseries, huiles, vins et biscuits.
Il va sans dire que ces produits contrefaits sont des produits de mauvaise qualité qui ne suivent pas les cahiers des charges stricts des produits qu’ils imitent. Mais les consommateurs pourtant floués sont bien souvent séduits par le prix de ces imitations italiennes qui peuvent être jusqu’à 80% moins chères.
L’émotion de la cuisine italienne
Afin de sensibiliser les consommateurs et combattre ce phénomène, le Ministère italien du Développement économique en collaboration avec Assocamerestero a donc lancé en 2016 une campagne de promotion stratégique (événements, workshops et masterclass) pour la valorisation des produits italiens à travers des actions menées par les Chambres de commerce Italiennes à l’étranger sur les territoires-cibles.
Le projet « True Italian Taste » (www.trueitaliantaste.com) a débuté aux Etats-Unis, au Canada et au Mexique, puis en 2017 à Bruxelles, Barcelone, Madrid, Londres… et enfin en Asie.
Et qui mieux qu’un chef italien de la trempe de Massimo Bottura, ambassadeur de la cuisine italienne dans le monde, pouvait porter ce message?
Lui qui sait se montrer si lyrique quand il s’agit d’évoquer la cuisine de son pays: « J’ai toujours cherché à créer une synergie entre nos équipes et les éleveurs, les pêcheurs, les paysans. Toutes les personnes qui font partie de notre monde. Les vrais héros de nos restaurants. Ceux qui travaillent dans l’ombre et qui nous mettent à disposition des matières premières qui nous permettent de communiquer des émotions à travers nos plats. Car la cuisine italienne est une cuisine faite d’émotions où les chefs doivent seulement effleurer la matière première pour la laisser s’exprimer. »
Manger est un acte culturel
Pour le grand chef italien, en plus d’avoir un bon palais, la chose la plus importante pour un chef c’est la culture: « La culture permet de rendre visible l’invisible. C’est l’expression de qui tu es.
Ann Wei Wei prend un vase qui a 2000 ans et le brise, son idée c’est de dire voici mon passé. Un passé qui doit être reconstruit au travers d’une pensée contemporaine. Les traditions sont toujours bien présentes en moi car pour faire une cuisine d’avant-garde il faut tout connaître et puis tout oublier. Il faut toujours avoir les yeux et les oreilles ouverts pour assimiler de la culture.
A « l’Osteria Francescana », je comprime dans des bouchées mastiquables mes passions, assis sur des siècles d’histoire, car ma cuisine est profondément italienne, filtrée à travers un cerveau et une pensée contemporaine. Je cherche à regarder la tradition de manière critique et jamais nostalgique pour amener le meilleur du passé dans le futur. »
Ses produits italiens phares? « L’Emilie-Romagne est ses produits sont dans mon coeur. Mais dans l’un de mes plats phares, le croccantino de foie gras, le foie gras représente ma formation française classique. Il est entouré de poudre de noisettes du Piémont et d’amandes de Noto en Sicile et le coeur est un vinaigre balsamique de 50 ans. Visuellement, le foie gras ressemble à une glace traditionnelle italienne. C’est donc un plat qui parle de mon histoire avec des produits du Piémont, de la Sicile et de ma région. » Mais le chef pourrait parler des heures de l’excellence des produits italiens, des câpres de Pantelleria ou des citrons de Sorrento.
« Un plat comme « Oups! J’ai fait tomber la tarte au citron » nous dit-il encore, « est un plat qui est né pour exprimer la poésie du Sud de l’Italie. »
De la qualité des produits italiens
Pour le chef italien il est impossible de faire des compromis sur la qualité. « Quand tu achètes des ingrédients tu dois mettre le prix! Une huile d’olive, un vinaigre balsamique, un Parmigiano Reggiano, il est fondamental que ces produits soient de haute qualité. Le Parmiggiano Reggiano c’est un fromage au lait cru écrémé, 550 litres de lait compressés dans une forme de 40kg. C’est un miracle de la nature qui permet de l’affiner si longtemps sans l’ajout de conservateurs.
Même un pain peut être une oeuvre d’art. J’ai cet artisan de Matera dans les Pouilles qui me fait un pain particulier pour mon nouveau menu. On ne peut pas le réduire à un simple pain. On l’a servi avec du miel de Casa Maria Luigia, du sel de Cervia et c’est un des services du menu.
J’ai fait un livre qui s’appelle le « Pain est d’or » car on doit rendre au pain la valeur extaordinaire qu’il mérite! Il vaut mieux renoncer au dernier iPhone ou à la télévision dernier cri qu’aux livres ou aux ingrédients de haute qualité. La qualité c’est ce qui sauvera l’Italie!
Encore aujourd’hui j’ai des émotions quand je découvre des produits italiens d’exception. Nous faisions des tests avec cet agneau qu’on voulait cuire de manière agressive dans le four à bois avec une croûte d’épices et d’herbes aromatiques pour le bbq de la « Casa Maria Luigia ». Nous avons senti le monde dedans, l’herbe, on aurait presque dit un végétal. Ce genre de découvertes c’est ce qui nous maintient en vie et nous pousse à faire des choses nouvelles » s’enthousiasme Massimo Bottura.
Combiner produits locaux et authenticité italienne
Mais pour Massimo Bottura, proposer une cuisine italienne authentique ne signifie pas pour autant ne pas pouvoir travailler en circuits-courts: « Ce que j’ai dit à mon équipe de l’Osteria Gucci à Los Angeles c’est qu’il est fondamental qu’ils approfondissent les relations avec les paysans, les pêcheurs, le Farmers Market de Santa Monica, ou le marché aux poissons de Santa Barbara. Mon ami Luca Fantin fait une cuisine italienne sensationnelle au Japon. Il cuisine des spaghettis avec des oursins d’Hokkaido exceptionnels. Mon chef à Los Angeles fait une carbonara de la mer avec des oursins de Santa Monica et des vongole fumées à la place du guanciale. C’est une cuisine profondément italienne avec des produits locaux mais il y a des produits uniques et irremplaçables. A Los Angeles, on ne pourra jamais réaliser la « Oups! J’ai fait tomber la tarte au citron ». Si tu n’as pas de citron de Sorrento, tu ne peux pas exprimer cette douceur, cette acidité controlée si spécifique. Mais tu pourras travailler un produit local autrement.
Pareil pour le Parmigiano Reggiano qui est intouchable. Un prosciutto di Parma ça n’a rien à voir avec le Cinco Jotas espagnol. Sa douceur et sa facilité de mastication sont uniques.
Sur un pain à peine toasté, tu mets quelques tomates et un filet d’huile d’olive, une fine tranche de Parma. C’est waouw! C’est l’expression de l’Emilia, du soleil, du sud, et de l’huile toscane. C’est ça la cuisine italienne! »
Qui est Massimo Bottura?
Ce n’est pas anodin d’avoir choisi Massimo Bottura, pour défendre les produits italiens, lui qui représente l’excellence italienne mais aussi l’avant-garde culinaire du pays.
L’ « Osteria Francescana » a ainsi été élu meilleur restaurant du monde en 2016 et 2018 dans la fameuse liste des « World’s 50 Best Restaurants ».
Un chef italien qui est aussi à la tête d’un bistrot italien contemporain, « Franceschetta58 », toujours à Modène, et de plusieurs osterie en collaboration avec le couturier Gucci (une adresse étoilée à Florence, et une autre à Los Angeles).
En 2019, le chef a également ouvert la « Casa Maria Luigia », une maison d’hôtes (12 chambres) où il explore une cuisine plus brute, millénaire, avec des cuissons au feu de bois.
Tandis qu’on ne peut pas parler de Massimo Bottura sans évoquer le projet « Refettorio Ambrosiano » né durant Milan Expo 2015, une cuisine communautaire où des chefs du monde entier, amis de Bottura, transformaient des surplus alimentaires en repas délicieux pour les nécessiteux. Un projet centré sur l’humain réalisé en collaboration avec l’Eglise qui s’est ensuite développé de manière pérenne à Milan, Paris, Rio de Janeiro, Londres…
Enfin, Massimo Bottura a créé la ligne de produits « Villa Manodori » il y a 20 ans qui comprend des huiles d’olives et des vinaigres balsamiques.
Quelques scoops…
Massimo Bottura a profité de ce direct pour livrer quelques scoops.
Dès ce jeudi, il ouvrira ainsi les réservations à la « Casa Maria Luigia » pour déguster un menu particulier. « C’est le rêve de ma vie, un lieu qui allie, art, musique, nature et la nourriture. Et là nous ouvrirons les réservations du jeudi, vendredi et samedi pour un nombre de places limitées où nous proposons tous les classiques de l’Osteria Francescana, des 5 âges du Parmigiano Reggiano à Oups! J’ai fait tomber la tarte au citron. »
Autre révélation, une troisième « Osteria Gucci » ouvrira en avril dans le quartier commerçant de Ginza à Tokyo.
Avec Ferrari, Massimo Bottura participe également à un projet de restauration d’un établissement historique abandonné en face des usines Ferrari de Maranello. Ce restaurant qui ouvrira en février ou mars est « la renaissance d’un mythe » précise Bottura. Un lieu où Enzo Ferrari passait tout ses dimanches dans les années 50…
A propos de Gelinaz! dont il a été l’un des 4 chefs fondateurs, Massimo Bottura a avoué plancher sur une nouvelle idée avec le journaliste chef d’orchestre du projet, Andrea Petrini…
Tandis qu’un nouveau refettorio a ouvert à Mérida au Mexique dans un ancien couvent et un autre sera bientôt inauguré à Sidney.
Enfin, si « l’Osteria Francescana » affiche tous les jours complet, Massimo Bottura avoue « une volatilité des réservations » inédite due à la situation particulière créée par le COVID-19. Il est donc parfois possible de dénicher une table à la dernière minute « car beaucoup d’étrangers qui doivent arriver en avion à Bologne ou à Milan ne peuvent pas le faire et annulent leur table. »