Dalí fut l’un des peintres les plus emblématiques du XXe siècle. Et un sacré personnage médiatique, philosophant sur tout les sujets, à propos de ses visions intra-utérines ou de politique. Mais saviez-vous qu’en 1973, il avait publié un livre de recettes, que ressort Taschaen?

 

Un ouvrage rabelaisien

« Nous entendons ignorer les tables où la chimie a pris la place de la gastronomie. Si vous êtes un disciple de ces peseurs de calories qui transforment les joies d’un repas en punition, refermez ce livre, il est trop vivant, trop agressif et bien trop impertinent pour vous.” La mise en garde de Dalí est claire. En 1973, quand il publie ses “Dîners de Gala”, l’artiste catalan sait qu’il va choquer avec ce recueil de recettes orgiaque et dionysiaque. Une livre étonnant que Taschen vient de rééditer en fac-similé, sans même une préface moderne pour recontextualiser.

dali,les dîners de gala,art et cuisine,recettes,recettes historiques

Dans l’œuvre prolifique du touche-à-tout Salvador Dalí (peinture, sculpture, cinéma…), l’ouvrage est anecdotique – même si l’on a vu une copie de l’ouvrage original, tiré à environ 400 exemplaires, partir aux enchères à 25000 dollars…. Il nous nous permet néanmoins de comprendre un peu mieux la psyché d’un surréaliste froid, que l’on découvre ici au contraire gourmand, quasi rabelaisien. “J’attribue à toute espèce de nourriture en général, des valeurs esthétiques et morales essentielles”, expliquait-il, affirmant même que “la mâchoire est le meilleur instrument de connaissance philosophique”.

dali,les dîners de gala,art et cuisine,recettes,recettes historiques

La gastro-esthétique dalínienne

Dalí (1904-1989), qui rêvait à six ans d’être cuisinier, publie ce livre en hommage à sa femme et à sa muse Gala (1894-1982) à l’âge de 68 ans. C’est un homme d’âge mur, un artiste riche aussi, qui a mangé dans les plus belles maisons françaises. “Quant à la grande cuisine, elle ne fait pas parte de ma nature originelle, mais de ma nature profonde, ornementale, surajoutée, nécessaire au déploiement du génie dans les zones raréfiées de l’esthétisme pure”, confie-t-il en esthète. Et d’ajouter: “La svelte anatomie d’une bécasse nue sur un plat atteint, dirait-on, les proportions de la perfection raphaélite.”

dali,les dîners de gala,art et cuisine,recettes,recettes historiques

Dans sa préface savante de 1973, le “géniologue” Pierre Roumeguère, spécialiste de Picasso, Freud et Dalí, disserte sur la “gastro-esthétique” dalínienne. Deux termes que l’on pourrait penser presque contradictoires (surtout à l’époque) mais indissociables chez un artiste dont l’art est lié à un “élan viscéral”. Des viscères, naît chez lui l’illumination, au sens religieux du terme. Art, religion, gastronomie s’entremêlent en effet indistinctement chez Dalí. Comme lorsque, à propos de la première recette de ses “Dîners de Gala”, un riche “bouillon de Bamako” prétendument inspiré du Napolitain Giambattista della Porta (1535-1615), il affirme: “Cette recette nous raffermit gastronomiquement dans la sublime loi fondamentale de notre religion catholique apostolique romaine et roumaine: avaler Dieu vivant comme cela se pratique dans le sacrement de l’Eucharistie.”

dali,les dîners de gala,art et cuisine,recettes,recettes historiques

Toiles et dessins originaux

Concrètement, “Les dîners de Gala se divisent en 13 chapitres (hors d’oeuvre, oeufs, entrées, poissons, aphrodisiaques…). Illustré par un détail du “Jardin des délices” de Jérôme Bosch, chacun est introduit par une réflexion — à la troisième personne du singulier, cela va de soi — de Dalí (ou un extrait de “Pantagruel” ou de “Gargantua”). Du style: “Quelqu’un a écrit que partir c’est toujours “mourir un peu”. Dalí dit que, sans nul doute, manger — spécialement des repas gastronomiques — c’est toujours “mourir beaucoup”. (…) Le spectre de la mort crée des délices suprêmes, des expectations salivaires. C’est pour cette raison que le plus grand raffinement gastronomique est celui de manger des êtres “cuits et vivants”.”

dali,les dîners de gala,art et cuisine,recettes,recettes historiques

Comme toujours chez Dalí, on est dans le grandiloquent, l’exagération, l’association libre d’idées, qui va du drolatique au philosophique. Il confie par exemple ses fantasmes cannibales, où les écrevisses s’accompagnent (sur sa toile du moins) “de têtes coupées ou de troncs de petits martyrs au sang chaud, ceci en hommage à Gilles de Rais”.

dali,les dîners de gala,art et cuisine,recettes,recettes historiques

136 recettes vintage

Omniprésent — que ce soit en photos ou à travers des dessins et une dizaine d’aquarelles originales signées “Gali”, essentiellement des natures mortes —, Dalí n’a pas été jusqu’à créer les 136 vraies recettes de ce recueil. Réalisées par “un chef désireux de garder l’anonymat le plus secret”, celles-ci offrent un voyage dans le passé, au temps où la cuisine était encore classique, opulente. Les plus curieux pourront essayer de refaire ces préparations d’un autre âge (à l’instar des passionnés de l’“Historical Cooking Project”). Comme ces “oeufs de mille ans” chinois, en version pickles, ces tripes d’autrefois, cette tête de mouton grillée ou ces alouettes farcies à la vapeur…

dali,les dîners de gala,art et cuisine,recettes,recettes historiques

Les passionnés se jetteront également avec gourmandise sur les recettes (illustrées celles-là) offertes à Dalí par quatre grandes maisons qu’il aimait fréquenter. “Maxim’s” a ainsi refait pour lui le menu donné en 1971 à Persepolis pour le Shah d’Iran à l’occasion du 2500e anniversaire de la fondation de l’empire perse par Cyrus le Grand. A découvrir dans des compositions photographiques surchargées, tellement baroques qu’elles en deviennent surréalistes. Entre le “paon à l’impériale” et des “oeufs de cailles aux perles de Bandar Pahlavi” (comptez environ 30 g de caviar par personne…).

dali,les dîners de gala,art et cuisine,recettes,recettes historiques

“La Tour d’argent” donne, elle, ses huîtres gratinées “à la Brolatti” ou son “caneton rôti Marco Polo”. Tandis que Lasserre fournit ses “mesclagnes landais Mère Irma” (des escalopes de poulet farcies de foie gras et truffées, servies avec une crème aux morilles) ou un impressionnant pintadeau “Viroflay”… Autant de délices vintage devant lesquels on salive en lisant…

dali,les dîners de gala,art et cuisine,recettes,recettes historiques

Envie de lecture?

dali,les dîners de gala,art et cuisine,recettes,recettes historiques

=> “Les dîners de Gala”, publié chez Taschen (326 pp., env. 50€).

 

Dali, le comestible entre symbolique et plaisir

La nourriture a occupé une place centrale dans l’œuvre de Salvador Dalí, pour qui “la beauté sera comestible ou ne sera pas” ! La première œuvre qui le fait connaître hors d’Espagne est ainsi une corbeille de pain, peinte en 1926. Le pain qui deviendra un des symboles fétichistes récurrent dans l’œuvre dalinienne, jusqu’à recouvrir les murs de son musée-château dans sa ville natale de Figueras, en Catalogne. Un château dont les crenelures sont, elles, réalisées avec des œufs géants… Symbole chrétien de la résurrection du Christ, emblème de pureté et de perfection, l’œuf évoque chez Dalí le paradis perdu. Un des premiers souvenirs que l’artiste prétendait garder de sa vie intra-utérine ou le paradis initial, lui faisait penser à un œuf ou plutôt à des “Œufs sur le plat sans le plat”, d’où le titre de cette œuvre réalisée en 1932. Tandis que l’une des créations picturales les plus connues de Dalí, la montre molle, est, elle, née de l’observation d’un camembert coulant…

dali,les dîners de gala,art et cuisine,recettes,recettes historiques

Côtelettes d’agneau, homard, lard grillé, grenade… La mise en scène de la nourriture ne manque pas dans l’œuvre du peintre espagnol. Tandis que dans ses autobiographies aussi, il est souvent question de gastronomie. Dans “La vie secrète de Salvador Dalí”, le peintre dit souffrir d’un fantasme obsessionnel qui lui ordonne de tout manger. Ou avoue : “Toutes mes prises de conscience se matérialisaient en gourmandises, et toutes mes gourmandises devenaient prise de conscience.”

dali,les dîners de gala,art et cuisine,recettes,recettes historiques

Si les denrées alimentaires servaient les délires métaphoriques d’un des plus éminents représentant du surréalisme en évoquant tour à tour la naissance, la résurrection, la fertilité, la sensualité…, il ne faut pas non plus oublier la simple dimension plaisir chez Dalí. Lui qui pouvait s’enfiler 30 oursins en un seul repas, l’un de ses mets favoris. Ou qui déclarait, après s’être réfugié à Arcachon pendant la Seconde guerre mondiale : “C’était un des derniers endroits que les Allemands auraient atteints s’ils gagnaient. […] Bordeaux signifiait naturellement le vin de Bordeaux, le civet de lièvre, le foie de canard aux raisins, le canard à l’orange, les huîtres de claire d’Arcachon…”

dali,les dîners de gala,art et cuisine,recettes,recettes historiques

Le saviez-vous?

La marque de sucettes espagnoles « Chupa Chups »créée en 1958 dans les Asturies a demandé en 1969 à l’artiste Salvador Dali de lui créer un logo… Toujours le même aujourd’hui!

dali,les dîners de gala,art et cuisine,recettes,recettes historiques