Les Canadiens sont fous de sirop d’érable. Au Québec, il existe tout un folklore autour de ce sucre 100 % naturel . Durant l’hiver, les Québécois se doivent d’aller visiter une cabane à sucre et de succomber à ses spécialités culinaires!
=> A la découverte de la scène culinaire montréalaise…
Un rituel obligé
« A la cabane à sucre, au moins une fois par an, tu te rendras !” Ce commandement (l’un des dix fièrement affichés à “La tablée des pionniers” à Saint-Faustin, près du Mont-Tremblant), rares sont les Québécois qui ne le respectent pas ! Une fois que la sève d’érable commence à couler à la fin de l’hiver, ils se pressent en effet avec joie dans les cabanes pour fêter dignement le temps des sucres, autour d’un repas traditionnel gargantuesque.
Quelle bonne odeur !
A une petite heure de route au nord de Montréal, de délicieux effluves s’échappent de la cabane à sucre des “Fendilles sucrées”. Nous sommes à Saint-Esprit, petite localité de Lanaudière, qui compte pas moins de 17 cabanes. C’est beaucoup même si, dans le temps, elles étaient une soixantaine !
Pour arriver à la propriété de la famille Grégoire, il aura fallu emprunter un chemin qui serpente à travers les bois d’érables. Impossible de ne pas voir qu’on est au cœur d’une érablière ! Le réseau de tubulures bleues s’étend à perte de vue entre les arbres. C’est à l’aide de ces tuyaux de plastique qu’est aujourd’hui récolté l’or du Québec. Même si, pour la carte postale, on continue de pendre quelques sauts en fer-blanc aux arbres…
Dans la famille Grégoire, je demande le père, Clément. De son accent chantant, il règne sur les 6 000 érables et leurs 8 000 entailles et s’occupe de la production du sirop (8 000 à 10 000 litres annuels; 1 arbre correspondant à environ 1 kg de sirop), qui s’étire sur une vingtaine de jours à la fin de l’hiver. Le reste de l’année, M. Grégoire le consacre à l’entretien des arbres mais aussi à la culture de bleuets, d’asperges, de fraises, de céréales…
Des arbres qui pleurent
Dans cette érablière, achetée en 2003, on trouve huit sortes d’érables : le rouge, le noir, le piqué, l’argenté… Tous permettent de faire du sirop, même si certaines variétés sont plus productives que d’autres. A la mi-février, l’acériculteur entaille les arbres qui ont minimum 40 ans (dont le tronc a un diamètre d’au moins 8 pouces). Selon son âge, l’érable pourra être entaillé jusqu’à trois fois. Dans chaque entaille (ou fendille), est ensuite inséré un chalumeau en plastique, qui permettra à la sève de s’écouler.
Reste à attendre le dégel de la mi-mars… Mais attention, l’érable est capricieux ! La nuit, le pied de l’arbre doit geler tandis que, le jour, les températures doivent être printanières pour avoir la chance de voir les érables pleurer… Il faut donc être au bon endroit et au bon moment, les températures pouvant sacrément varier d’un endroit à l’autre du Québec.
Liquide et limpide comme de l’eau, la sève est récupérée, grâce au réseau de tubulures, dans une grande cuve, située dans la cabane. A ce stade, on découvre une eau délicatement sucrée (2-3 % de sucre).
Les choses sérieuses peuvent alors commencer. Grâce à une machine permettant l’osmose inversée (utilisée par toutes les érablières commerciales), le taux de sucre est concentré à 10 %. Ce qui permet de diminuer considérablement le temps d’évaporation.
Passant dans un gigantesque évaporateur horizontal à la large surface de bouillage (toujours alimenté au feu de bois aux “Fendilles sucrées”), l’eau passera par différents paliers de concentration de sucre. Au bout d’1 h 30 à 2 h, on obtient enfin ce liquide sirupeux à la belle couleur dorée titrant à 67 % de sucre…
Au final, pour obtenir 1 litre de sirop, il aura fallu 40 litres d’eau d’érable… Une fois filtré, le sirop peut être mis en “cannes” (des boîtes de conserves normalisées au Québec). En cette fin mars, le sirop de Clément Grégoire est encore clair – sa couleur a été contrôlée grâce à un spectrophotomètre –; en fin de saison, il sera nettement foncé…
Un dîner à la cabane
Les Grégoire vendent 70 % de leur production à la coopérative Citadelle. Le reste sera écoulé sur place et lors des repas de la cabane, servis de début mars à fin avril. Carole Grégoire et sa fille Rachel s’occupent de cette dimension gourmande de l’entreprise familiale, proposant le festin typique du temps des sucres : soupe aux pois jaunes, oreilles de crisses (grattons de porc), omelette soufflée, fèves au lard, porc grillé et caramélisé à l’érable. Sans oublier la tarte au sirop.
Pour un prix dérisoire de 22 $, on vient ici d’un peu partout pour célébrer, en famille ou entre amis, l’arrivée du sirop nouveau, dont on arrosera tous les plats ! Et cela se passe à peu près comme ça dans toutes les cabanes à sucre du Québec, avec quelques variations sur la technique de fabrication du sirop et/ou dans le menu, qui intègre souvent des spécialités locales (comme ici de délicieuses crêpes soufflées, photo ci-dessous).
Mais une chose est sûre, un sirop produit en Lanaudière n’aura pas le même goût qu’un sirop produit en Beauce. Comme le bon vin, le sirop d’érable est en effet le reflet de son terroir…
Un savoir-faire appris des Amérindiens
Les Canadiens l’oublient parfois mais le secret de l’arbre confiseur, ce sont les Amérindiens qui le leur ont transmis, comme on le découvre à la Maison des cultures amérindiennes, au Mont-Saint-Hilaire. Selon une légende, les Indiens auraient eu la puce à l’oreille en observant chiens et écureuils se délecter de ce jus coulant des branches cassées des érables. Et, très vite, ils ont appris à récolter la sève, en insérant des planchettes dans des entailles pratiquées dans les troncs d’arbres.
Dans des poteries d’abord, puis dans des chaudrons en cuivre troqués avec les premiers colons, les Amérindiens faisaient bouillir l’eau d’érable pendant de longues heures directement sur un feu de bois. Le sirop était prêt quand, en soufflant à travers une cuillère percée, il faisait des bulles. Filtré dans un tamis en fibres de tilleul, le sirop était coulé dans des moules en écorce de bouleau. Une fois cristallisé en bloc, ce sucre se conservait toute l’année, utilisé comme source d’énergie lors des grands déplacements ou comme médicament. Tandis que les Indiens consommaient déjà l’eau pure d’érable, réputée purgative.
Les colons français ont d’abord imité les Amérindiens, avant de développer des techniques nouvelles pour la récolte, en employant des chalumeaux et des sauts (chaudières) en bois puis en fer-blanc, ainsi que de grands chaudrons en fonte pour la cuisson. Au XVIIIe siècle, les Canadiens adoptent réellement le sirop d’érable. Sa production s’intensifie alors peu à peu. En 1872, l’évaporateur horizontal – toujours utilisé aujourd’hui – fait ainsi son apparition. Viendront ensuite les chalumeaux en aluminium et enfin les tubulures en plastique…
- Maison des cultures amérindiennes. 510 Montée des Trente, Mont-Saint-Hilaire, QC J3H 2R8.
Rens.: +1.450-464-2500 ou www.maisonamerindienne.com.
Ouvert tous les jours de 9h à 17h (13h à 17h samedi et dimanche).
Pas que du sirop !
Avec l’eau d’érable, on produit bien entendu le sirop, extra-clair, clair, médium, ambré ou foncé (en fonction du moment où la sève est récoltée et non de son taux de sucre). Au Québec, les connaisseurs considèrent que les meilleurs sirops sont les clairs et les extra-clairs (quasiment pas exportés). Mais il faut avoir le palais fin pour les apprécier…
En faisant bouillir le sirop plus longtemps, on obtient d’autres produits : le beurre d’érable (baratté à température ambiante), la tire (le fameux sirop qu’on fait couler sur la neige avant de le déguster comme une sucette), un sucre mou, un sucre dur et enfin un sucre granulé.
Mais les Québécois sont en train de réinventer leur terroir, en créant de plus en plus de nouveaux produits à base d’érable. On a ainsi pu ainsi goûter au vinaigre à l’érable de la Cabane du Pic Bois ou à une très intéressante vinification de la sève d’érable, un délicieux apéritif fabriqué par le Domaine Acer. Tandis que diverses maisons proposent des liqueurs de whisky canadien à l’érable.
Un repas à la cab
ane à sucre se termine par la tire sur neige, comme ici à « La tablée des pionniers », près du Mont-Tremblant. On en trouve aussi aux pieds de bien des pistes de ski.
Légendes amérindiennes
De nombreuses légendes amérindiennes racontent comment fut découvert le sirop d’érable…
Légende algonquine
(…) un chef retira son tomahawk de l’érable dans lequel il l’avait planté la veille. Aussitôt la sève se mit à couler. La femme du chef goûta cette eau venue de l’arbre, la trouva bonne et décida de s’en servir pour cuire la viande. Le plat ainsi concocté offrit un goût sucré et un doux arôme qui ne manquèrent pas de séduire son mari. Heureux de cette découverte, le chef nomma ce sirop Sinzibuckwud, mot algonquin qui signifie « tiré des arbres ».
Légende de l’arbre confiseur
Nokomis, la déesse terre, héroïne de nombreuses légendes amérindiennes aurait été la première à percer le tronc des érables pour en recueillir la sève. A l’origine, le sirop était prêt à manger, mais… Manabush, le petit-fils de Nokomis, constatant avec étonnement que la sève était un sirop prêt à manger, lui dit : « Grand-mère, il n’est pas bon que les arbres donnent du sucre aussi facilement. Si les hommes peuvent ainsi, sans effort, recueillir ce délicieux sirop, ils deviendront fainéants. Ainsi, ne serait-il pas préférable qu’avant de déguster ce sirop exquis, les hommes soient obligés de fendre du bois et de passer des nuits à en surveiller la cuisson ? » Aussitôt dit, aussitôt fait, Manabush grimpa au faîte d’un érable, les bras chargés d’un vaisseau rempli d’eau et versa le contenu à l’intérieur de l’arbre. Le sucre fut dissout et devint clair comme de l’eau… Désormais, l’on doit travailler dur pour passer de l’eau au sirop d’érable.
Un article intéressant et amusant à lire aussi bien en version papier que sur le blog. Quelques petites nuances en plus…sur l’un ou l’autre support. Vous avez vu de Bien jolies choses et rencontré des « personnages »