Qui l’eut cru? En une quinzaine d’années, sous l’impulsion du « Noma », la capitale danoise s’est imposée comme une destination incontournable pour les foodies.
Avec ses 6 millions d’habitants à peine, le Danemark est un pays de moyenne importance en Europe. Proportionnellement, son influence culturelle est pourtant considérable. Il suffit de mesurer l’impact global d’une marque comme Lego — qui séduit désormais quasi autant les adultes nostalgiques que les plus petits…
Mais le soft-power danois passe aussi par le cinéma — qui, ces 30 dernières années, a imposé de grands noms comme Lars Von Trier (Melancholia) ou Thomas Vinterberg (Drunk), fondateurs du très influent mouvement Dogma en 1995 —, par les séries télé (avec des succès planétaires comme The Killing, Borgen ou The Bridge) ou encore par le design, avec un géant comme Arne Jacobsen (1902-1971), dont les fauteuils Egg ou Swan restent indémodables. Bref, il y a mille et une raisons de visiter Copenhague!
Leader de tendances
Depuis une bonne quinzaine d’années et la montée en puissance du mouvement de la cuisine nordique, grâce à un certain René Redzepi — dont le Noma (cf. ci-dessous) a été élu meilleur restaurant du monde dès 2010 —, la gastronomie fait également partie des produits d’appel de la capitale danoise. Ainsi, en octobre 2021 à Anvers, non seulement le Noma retrouvait sa place en tête de l’influent Fifty Best mais, sur la deuxième marche, on trouvait un autre restaurant copenhagois, le Geranium de Rasmus Kofoed (cf. ci-dessous)!
Le fait que ce soit désormais du Nord que viennent les tendances culinaires ne doit rien au hasard. L’immense talent de Redzepi et autres chefs danois ou suédois joue évidemment, mais il faut aussi compter avec le soutien des pouvoirs publics au rayonnement de cette gastronomie. Ainsi, l’office de tourisme de Copenhague aide (nuits d’hôtel, carte de transport en commun, location de vélo…) les journalistes internationaux à venir découvrir la ville et ses richesses.
C’est que, avec une croissance de 249% entre 1990 et 2019 et un PIB par habitant de 57140€ en 2021, le Danemark est l’un des pays les plus riches au monde et il a su maintenir à un haut niveau ses politiques sociales. Ainsi, durant la crise Covid, les restaurants danois ont été très largement soutenus — et même encouragés à rester fermés jusque fin février 2022 s’ils le souhaitaient…
Un restaurant ovni
Tous deux triplement étoilés au guide Michelin, le « Noma » et le « Geranium » valent à eux seuls de passer un week-end gourmand à Copenhague… Mais un week-end ne suffit pas à découvrir l’ensemble de la scène gastronomique, vibrante, de la ville. Le succès international du « Noma » a en effet donné un coup de fouet à la haute gastronomie locale, avec des tables tout aussi courues et acclamées telles que Kadeau**, AOC**, Jordnær**, Kong Hans Kælder**... Ou encore Alchemist**, un véritable ovni. Installé à côté du très intéressant musée Copenhagen Contemporary, dans un ancien entrepôt de l’ex-quartier portuaire en plein boom de Refshaleøen, l’Alchemist propose une aventure sensorielle totalement inédite, mais avec un ticket d’entrée dissuasif: de 510€ jusqu’à 1750€ par personne, si l’on veut profiter de la sélection complète des boissons!
À 30 ans, Rasmus Munk semble avoir pris le contrepied de la tendance nordique, pour inscrire ses pas dans ceux de Ferran Adrià du temps d’elBulli. Déjà doublement étoilé, le jeune chef ne propose pas à ses hôtes un repas, mais une « expérience ». Et l’on ne parle donc pas ici de « plats », mais de 50 « impressions », mêlant musique, happening et une incroyable installation vidéo. La plus grande partie du repas se déroule en effet sous un immense dôme, où sont projetées des paysages visuels et sonores en rapport avec ce que l’on mange, pour aborder des thématiques comme la pollution des océans ou l’élevage des poules en batterie… L’expérience est totalement bluffante! Même si la cuisine en tant que telle est inégale, passant de propositions tout simplement géniales à des bouchées paraissant déjà vieillies par leur surjeu sur les textures…
Les enfants de René
Ouvert depuis 20 ans, le Noma a vu passer dans ses cuisines des centaines de jeunes cuisiniers venus des quatre coins du monde, pour qui l’expérience aura été déterminante. Certains sont rentrés dans leur pays d’origine pour ouvrir leur propre restaurant, d’autres ont choisi de rester à Copenhague. Ce sont notamment ces « bébés Redzepi » qui apportent sa vitalité à la scène culinaire locale.
Ancienne cheffe pâtissière du Noma, Rosio Sanchez se propose ainsi, dans son bistrot Sanchez, de relire sa cuisine mexicaine natale de façon moderne. Tandis que Philipp Inreiter a retenu de son passage chez Redzepi l’utilisation d’ingrédients uniquement locaux pour imaginer Slurp, cantine sans réservation qui sert parmi les meilleurs ramens du monde (hors Japon évidemment)!
Quand Louise Bannon, qui a également travaillé en pâtisserie au Noma, s’en allait ouvrir la Tir Bakery à la campagne, dont un comptoir vient d’ouvrir à Copenhague. Elle y propose des pâtisseries de haut vol à base de farines fraîchement moulues à partir de céréales anciennes cultivées de façon durable.
Le matin, on ne manquera pas en effet de faire le tour des pâtisseries de Copenhague. Et pas que pour le traditionnel kanelbulle (roulé à la cannelle)… Parmi les immanquables, la Hart Bageri (ouverte par le Noma, encore lui, en collaboration avec Richard Hart, l’ancien boulanger du génial Tartine à San Francisco), la formidable Lille Bakery, installée depuis 2018 dans un ancien garage de Refshaleøen.
Ou encore Andersen & Maillard, du côté de l’agréable cimetière Assistens, bel espace boisé où l’on peut découvrir les tombes d’Hans Christian Andersen, Niels Bohr ou Søren Kierkegaard.
À midi, c’est smørrebrød!
C’est d’ailleurs « Andersen & Maillard » qui fournit le rugbrød (pain de seigle) au fantastique Selma. Sponsorisée par le brasseur itinérant Mikkeller — qui a, de son côté, lancé la mode des microbrasseries au Danemark, avec d’excellentes bières signées par exemple Amager Bryghus ou Alefarm Brewing—, l’adresse propose une parfaite mise à jour des smørrebrøds!
Installé dans l’ancien Noma, juste de l’autre côté de l’Inderhavnsbroen (la nouvelle passerelle reliant le Nyhavn au Christianshavn), Barr relit, lui aussi, avec bonheur ce classique danois (et suédois).
Garnies de hareng, de poisson fumé, de langue de veau, de tartare de boeuf, de bleu danois…, ces tartines variées sont incontournables à midi. Restée dans son jus quasiment depuis 1877, Schønnemann est l’une des plus anciennes tavernes de la ville, où touristes et Danois se régalent de ces smørrebrøds en version 100% classique, avec une pinte de bière ET un shot d’aquavit ou de schnaps.
Même programme du côté de chez Told & Snaps, au Nyhavn.
Une gastronomie durable
Ce qui frappe aussi à Copenhague, c’est l’attention à la durabilité, que ce soit dans les transports publics, les hôtels et évidemment les restaurants. Là encore, avec son locavorisme, Redzepi — qui a décroché, comme l’Alchemist, une étoile verte Michelin — a ouvert le chemin.
Ainsi, au très rock’n’roll Kødbyens Fiskebar, dans le quartier un peu excentré de Vestebro, on sert le meilleur de la pêche danoise: huîtres sauvages, moules ou homard du Limfjord, dans le Jutland, oeufs de lump des côtes danoises… Avec une carte des vins hallucinante (comme souvent à Copenhague), tendance nature, cela va sans dire. Un Bib gourmand amplement mérité.
Tout comme celui du Marv & Ben, petit bistrot proposant un menu court — ça change… — à base de produits locaux et inspiré de classiques danois, qui ravit la clientèle, essentiellement locale.
L’attention à la durabilité est telle que l’une des chaînes de hot-dogs les plus populaires de la ville — qui en raffole tout autant que New York ou Berlin — est DØP. Soit « Den Økologiske Pølsemand », la « saucisse bio » !
Car oui, même en termes de street-food — on pense notamment aux excellents burgers de chez Gasoline Grill ou du Popl du « Noma » —, Copenhague a de quoi séduire les foodies…
« Noma », toujours contemporain
En 2010, le Noma succédait à elBulli à la tête du classement World’s Fifty Best, marquant le passage de flambeau entre la cuisine ultra-technique (« moléculaire », disait-on alors) développée par le Catalan Ferran Adrià et la cuisine nordique réinventée de René Redzepi. Lequel a su imposer, un peu partout dans le monde, son approche locavore, sa volonté de pureté des produits et sa passion pour la fermentation.
Une décennie plus tard, force est de constater que la cuisine du Noma, qui a déménagé en 2018 tout à l’est de l’ancien quartier hippie de Christiania, dans un décor campagnard, n’a rien perdu de sa modernité, ni de sa pertinence.
À la réouverture du restaurant au lendemain du confinement, en février dernier, le menu Océan (390€, jusqu’au 21 mai) offrait un moment de pur bonheur. Celui-ci s’ouvrait par un ludique « Embrasser le crabe ». Soit deux carapaces de crustacés réunies en une flasque accueillant un puissant bouillon de crabe à l’huile de cèpe.
Composé d’une petite vingtaine de propositions s’enchaînant, avec un rythme impeccable, sur plus de trois heures, le repas laisse l’impression générale d’une immense maîtrise des saveurs. Mais aussi d’une forme de maturité pour le chef de 44 ans. Laquelle impressionne lorsque l’on reçoit, en guise de plat final, une « simple » langoustine (en provenance des viviers du Noma), dont chaque partie (corps, pinces, pattes et cervelle) a été travaillée différemment, avant de reformer le crustacé sur assiette, servi avec un beurre blanc au garum de moule (pour le côté fermenté) et un petit coing acidulé. Tout simplement magique!
« Geranium », le challenger
Si le Michelin a récompensé Rasmus Kofoed de trois étoiles dès 2016 — René Redzepi aura dû attendre 2021… —, force est de constater que son Geranium, installé au sommet du stade du FC Copenhague, n’a pas encore tout à fait la renommée internationale du Noma. Il n’en est pas moins déjà classé 2e au Fifty Best et compte bien rafler la première place dès l’année prochaine. Le chef et ses investisseurs font d’ailleurs tout pour cela, notamment en invitant de nombreux journalistes du monde entier à découvrir le nouveau menu 2022.
À 47 ans, Kofoed affirme avoir largement repensé sa cuisine, d’inspiration classique française — il a gagné le prestigieux Bocuse d’or en 2011, après avoir été formé notamment en Belgique, au Scholteshof de Roger Souvereyns.
Après avoir imaginé durant la crise sanitaire Angelika, un pop up végétalien, Kofoed a désormais banni la viande de sa cuisine. Sur trois bonnes heures, son menu (390€) propose une vingtaine de dégustations ultra-techniques d’un très grand raffinement. Ainsi, ces magnifiques ravioles de céleri-rave fermenté, algue, crème aigre et caviar.
Ou ces pousses de chou-fleur frites, servies dans un jus de chou fermenté avec une vinaigrette à la truffe blanche. Ou un puissant velouté de champignons des bois à la bière brune, avec un jaune d’oeuf fumé et jets de houblon fermentés. Grandiose!