Ça nous est tous arrivé! Lors d’un week-end à la campagne, petit passage à la ferme pour acheter du beurre et ainsi soutenir les producteurs locaux… Mais voilà, au bout de quelques jours seulement, le beurre, mal baratté, pas malaxé (et donc dur comme de la pierre), devient rance… La faute au surplus d’eau qu’il contient encore…
Né dans le beurre!
C’est l’un des constats fait par Lionel Maisin et Max Godfriaux, installés à Thorembais-Saint-Trond. Les deux amis, qui se sont rencontrés il y a trois ans, ambitionnaient, chacun de leur côté, de créer une épicerie fine, pour proposer produits locaux et artisanaux. Mais un jour que Max invitait son pote à visiter l’entreprise familiale, Lionel a une idée… « Il y avait plein d’ateliers à l’arrêt… Et j’ai vite compris qu’à côté de l’activité industrielle qui régnait ici, il y avait aussi tout le savoir-faire des arrières-grands parents et des grands-parents de Max. Max est né dans le beurre, c’est ce qu’il connaît. Et puis la base de la gastronomie française, c’est le beurre! J’ai pensé que ça serait bien de refaire un beurre 100% belge de qualité. Max était d’accord, et c’est parti comme ça! », raconte le jeune homme qui, à même pas 30 ans, a déjà vécu mille vies.
Max Godfriaux vient en effet d’une famille de grossistes en beurre et produits laitiers. Ici, à Thorembais-Saint-Trond, où la société Godfriaux & Cie est établie, les immenses frigos contiennent jusqu’à 8000 tonnes de produits… C’est l’un des stocks principaux de La Laiterie des Ardennes (Solarec), pour le beurre et les produits laitiers, qui sont exportés dans le monde entier.
Une histoire de famille
Si la famille de Max a toujours conditionné du beurre, avant, c’était différent… « Quand j’étais petit, on pratiquait encore les anciennes techniques. Mes arrières-grands-parents parcouraient les fermes du Brabant wallon pour acheter du lait et du beurre et ils les vendaient sur le marché de Charleroi. Il fallait faire un voyage de deux jours aller-retour en charrette à cheval… Quand mon arrière-grand-père Camille est revenu paralysé de la guerre 14-18, c’est sa femme Arsène Fallize qui a pris le relais seule. Puis, dans les années 1950, l’aînée, ma grand-mère, Nelly Fallize, une femme à la main de fer, a élargi la gamme, avec des oeufs, de la crème et des fromages » raconte Maxime Godfriaux qui, pour l’instant, travaille toujours dans l’entreprise familiale.
Mais Nelly ne se contentait pas d’acheter du beurre et de le revendre. Sa spécialité était le malaxage. Un processus mécanique inventé au XIXe siècle qui donne au beurre sa fibre et son arôme et qui augmente sa « tartinabilité », ainsi que sa durée de conservation. C’est aussi le moment idéal pour aromatiser le beurre avec du sel ou des épices.
Dans les années 1970, comme beaucoup d’autres, l’entreprise Godfriaux abandonne le malaxage du beurre. « Cela prenait trop de temps! Philippe, mon père, s’est consacré au conditionnement. Il a construit un premier congélateur de 200 tonnes et puis les autres…. L’Etat belge offrait alors beaucoup d’aide pour le stockage, pour faire grossir le PIB de la Belgique. Moi, je veux revaloriser ce qu’il a abandonné! », explique Max Godfriaux.
Le meilleur beurre possible
Le projet Belgian Butter est né le 2 février 2021 et la première production a démarré le 12 décembre de la même année. Les deux jeunes gens ont choisi de collaborer avec La Laiterie des Ardennes en travaillant le label « lait de pâturage », une appellation qui signifie que les vaches passent minimum 180 jours par an dehors, dans les pâturages wallons. Ce qui garantit un plus grand bien-être pour les vaches, mais aussi un bénéficie environnemental (capture carbone, fertilité des sols…) et une meilleure qualité du lait (micro-nutriments). « Nous avons voulu travailler exclusivement avec du beurre d’été et même de premier jet! En mai-juin, lorsque l’herbe repousse après l’hiver, les vaches mangent ces premières pousses d’herbe. Le lait est alors de meilleure qualité, riche en matières grasses, et il va donner un beurre plus jaune, qui a plus de parfum », s’enthousiasme Lionel Maisin.
Mais, parce qu’ils veulent uniquement utiliser ce beurre exceptionnel, ils sont obligés de le congeler — une pratique très courante en fait, les industriels pouvant même congeler le beurre jusque trois ans… Belgian Butter travaille ainsi le beurre fin (congelé) et extra-fin (frais), en fonction de la saison. C’est pour l’instant le seul moyen de s’assurer une qualité constante, car pour le beurre d’hiver, aucune certitude que les vaches n’aient pas été nourries avec de l’ensilage… « C’est la meilleure qualité que l’on puisse trouver actuellement. La meilleur base possible, que l’on retravaille avec des techniques d’antan. On ne prétend pas être les meilleurs, mais on aspire à le devenir! », lance le passionné Maisin.
Une coopérative et un label
Pour l’instant, le cheval de bataille de Belgian Butter est le malaxage. Dans les anciens ateliers de la grand-mère de Max Godfriaux, qui sont en cours de réaménagement, les deux compères utilisent encore l’ancienne malaxeuse en inox… Une machine dont Jean-Yves Bordier, la star du beurre français basée à Saint-Malo, est même venu chercher les plans, avant de lancer sa production… Et ici, comme chez Bordier, on procède à l’aromatisation du beurre lors du malaxage, puis au façonnage manuel. Moulage, tapage (avec des palettes pour former pyramides, galets, bonbons…) ou tamponnage (logo), notamment pour créer de jolis beurres soyeux sur mesure pour les chefs.
Mais ce n’est pas tout… « On a eu une vision. Mais c’est un projet sur 10 à 15 ans… Il y a d’abord un bon produit, et puis le réseau à construire… », réfléchit Lionel Maisin, plein d’ambition pour l’avenir… « Avec Max, on voudrait créer une coopérative. Elle comprendrait une dizaine de fermes et on établirait ensemble un cahier de charge pour un élevage vertueux, qui permettrait de travailler du beurre d’hiver par exemple. Surtout, on choisirait des races comme la Jersey ou la Froment du Léon, deux races bovines qui ont la capacité de mieux capter le bêta-carotène de l’herbe et dont le lait donne une couleur très jaune au beurre. On parle de couleur bouton d’or… », explique le jeune homme. Ce serait aussi une manière de revaloriser le travail des agriculteurs et d’augmenter le prix payé pour leur lait. Tous les maillons de la chaîne, du producteur au revendeur final, auraient des parts égales dans la coopérative.
En fin de course, l’objectif serait aussi de créer un label réunissant d’autres producteurs indépendants (de glaces, gaufres…) qui utiliseraient le lait et les sous-produits de la production du beurre. Un beau projet en perspective, pour remettre en valeur le patrimoine laitier belge!
Travailler avec les meilleurs artisans belges
Comme le beurre Bordier, le Belgian Butter n’est pas au lait cru, en tout cas pour l’instant. « Nous avons souhaité réaliser un beurre pasteurisé, car sa conservation est beaucoup plus longue et son goût est plus constant. Les chefs veulent de la régularité! Même si certains souhaiteraient du lait cru… Ils veulent le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière! », plaisante Maisin.
Belgian Butter est déjà présent sur pas mal de grandes tables belges aux quatre coins du pays: Bon Bon** à Bruxelles, Toma* à Liège, L’Eau Vive** à Arbre, La Table de la Manufacture Urbaine à Charleroi, Benoit et Bernard Dewitte* à Kruisem, Vrijmoed* à Gand… « Ce sont des clients, mais aussi des ambassadeurs de nos produits. Et grâce à eux, on a plein de nouvelles idées pour créer des saveurs originales: poudre de fraise de Wépion, vanille bleue, tagète… Tout ça, c’est grâce à notre mentor, Rudy Smolarek, de chez Ingrédients du Monde à Mons, qui nous a ouvert son incroyable carnet d’adresse! », s’enthousiasme Maisin. C’est aussi avec l’aide de l’épicier des grands chefs, Rudy Smolarek, que Max et Lionel ont créé leurs premiers beurres aromatisés, qui varieront en fonction des saisons. Cet hiver: réglisse, iodé, et piment fumé.
Mais Belgian Butter collabore également avec d’autres artisans belges: les sculpteurs sur bois Alain Lodomez (à Verviers) et Julien Feller (à Martelange), l’imprimeur Handley à Jezus-Eik, qui utilise encore des techniques à l’ancienne. Le duo est également à la recherche d’un céramiste ou d’un coutelier.